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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 100, juin-juillet-août 2015

Turquie : la classe ouvrière montre sa force

27 juin 2015 Convergences Monde

Depuis plusieurs semaines, un mouvement de grèves secoue la Turquie. Parti de l’usine Renault Oyak de Bursa, il s’est rapidement propagé à d’autres entreprises de l’industrie automobile de la ville, pour toucher ensuite d’autres régions et d’autres secteurs.

Cette grève, de Renault Bursa, a été une bouffée d’oxygène dans le climat actuel de mise en concurrence des salariés orchestrée par le patronat. À Renault, la direction mène un chantage permanent à l’emploi pour faire baisser les salaires et intensifier le travail. Elle met en concurrence ses sites industriels et ses bureaux d’études implantés en France, en Roumanie, en Slovénie, en Espagne, en Turquie ou au Maroc pour l’attribution de véhicules à concevoir ou à fabriquer. Ce sont les sites où les coûts de fabrication ou d’études sont les plus bas qui se voient attribuer l’activité. Tant pis pour les autres, sommés de baisser leurs coûts ou de disparaître.

Cette vague de grèves, qui avait commencé aux usines Bosch en avril, avant de rebondir en mai dans l’industrie automobile et toucher ensuite d’autres secteurs (raffineries, électricité…) montre aussi que la force de la classe ouvrière est toujours intacte.

Un compte à régler

Déjà le 29 janvier, la grève massive de 15 000 ouvriers de la métallurgie avait paralysé 22 usines dans une dizaine de villes de Turquie, menaçant même de s’étendre : les grévistes étaient furieux contre le syndicat mafieux Türk Metal-Is majoritaire dans la métallurgie et garde-chiourme des patrons. Celui-ci venait de signer une convention collective imposant 3 % de hausse de salaire pour 3 ans et une baisse des salaires pour les nouveaux embauchés dans toutes les entreprises de la Métallurgie. Les travailleurs réclamaient 60 % de hausse de salaire pour compenser une inflation de 25 % par an. La grève ne dura qu’un jour, interdite, « suspendue » le lendemain par le gouvernement AKP d’Erdogan prétextant des raisons de « sécurité nationale ». Ce n’était que partie remise.

Les ouvriers de Renault donnent le signal de la révolte…

Une grève éclate ensuite en avril à l’usine Bosch de Bursa, la quatrième ville du pays avec ses deux millions d’habitants et aussi un de ses plus gros centres industriels. Les ouvriers obtiennent alors des hausses de salaire allant de 12 % à 60 %. À l’usine Renault-Oyak, située dans la même zone industrielle, les ouvriers réclament à leur tour ce que ceux de Bosch viennent d’obtenir. Mais la direction, secondée par le syndicat Türk Metal-Is, refuse de modifier la convention signée et reste sourde aux demandes d’augmentations. La colère gronde. Le renvoi de 14 ouvriers parce qu’ils venaient de démissionner du syndicat unique et obligatoire Türk Metal-Is est l’affront de trop. La direction tente alors l’apaisement en annulant les licenciements. Trop tard ! Le 14 mai, la plus grande usine de Turquie (plus de 5 000 salariés produisant 360 000 véhicules par an) est paralysée : tous les ouvriers se mettent en grève et une partie se barricade dans l’usine.

… qui se propage comme un feu de brousse

D’autres usines de Bursa s’engouffrent dans la brèche : Tofas (4 500 travailleurs qui produisent des Fiat), Coskunöz (2 000 travailleurs) et Mako (1 200 travailleurs) deux équipementiers de Renault. Les revendications sont les mêmes que celles avancées chez Renault : augmentation des salaires de 20 à 60 %, refus de tout licenciement, départ du syndicat détesté Türk Metal-Is et liberté pour les travailleurs de choisir leurs propres représentants.

La solidarité du côté des travailleurs

Des groupes d’ouvriers viennent devant l’usine en soutien aux grévistes barricadés à l’intérieur de l’usine Renault de Bursa. Le moral est bon : on danse, on bat du tambour, on joue de la clarinette dans une atmosphère de liesse. On apporte des couvertures pour la nuit, des commerçants donnent de la nourriture, des épouses leur bébé dans les bras parlent à leur mari à travers les grilles de l’usine, des jeunes collent des affiches de soutien. Un cortège défile avec un cercueil portant les initiales du syndicat Türk Metal-Is que les travailleurs veulent définitivement enterrer. Des milliers de voix, des affiches reprennent les slogans : « Renault, c’est partout, la résistance est partout – Plutôt mourir que reculer ».

Menaces, chantage et répression

Ce puissant mouvement de grève de 16 000 travailleurs affole les patrons et le gouvernement, à quelques jours des élections législatives du 7 juin. Aidés par leur syndicat Türk Metal-Is, ils font tout pour éteindre l’incendie. Dans les usines en grève, ils utilisent le chantage au licenciement, cherchent à convoquer individuellement les salariés pour les intimider.

Ils coupent même l’eau et l’électricité dans l’usine Renault occupée, verrouillent les toilettes. Mauvaise idée : les travailleurs entrent dans celles de la direction en faisant un trou dans la porte. Avec les politiciens de l’AKP, ils cherchent à gagner du temps par des commissions de conciliation. On fait même venir trois dirigeants français de Renault en renfort. La police traque les colleurs d’affiches et leur colle des amendes. Elle se positionne aux abords de l’usine Renault et menace d’intervenir si les travailleurs de l’extérieur cherchent à entrer. La propagande gouvernementale va bon train et le procureur de Bursa engage des poursuites pour cause de grève illégale.

Les patrons forcés de lâcher du lest

Vendredi 22 mai et après huit jours de grève, les salariés de Tofas et Mako imposent l’accord suivant : personne ne sera renvoyé pour cause de grève ; le syndicat Türk Metal-Is devra quitter l’usine et des élections seront organisées pour désigner les propres représentants des travailleurs ; une prime de 1000 livres turques (350 euros) leur sera versée à la reprise du travail et une autre de 2 400 livres en 2015 et en 2016 sous forme de mensualités.

Victoire des grévistes de Renault Bursa

Après treize jours de grève avec occupation, les travailleurs de Renault Oyak mettent fin à leur mouvement, suite à un même type d’accord qui garantit que nul ne sera sanctionné ni poursuivi pour fait de grève. La direction est forcée de reconnaître les délégués élus par les ouvriers comme interlocuteurs valables dans les négociations. Elle lâche aussi une prime immédiate de 1 480 livres turques (environ un mois de salaire), et une prime annuelle de 600 livres. Les salariés non affiliés à Türk Metal-Is bénéficieront de cet accord, renforçant l’hémorragie massive de milliers de travailleurs quittant ce syndicat. La direction s’engage aussi à revoir l’accord salarial d’ici un mois.

Des feux s’éteignent, d’autres s’allument…

Malgré l’énorme pression subie par les travailleurs en lutte – menaces de licenciement, de poursuites judiciaires, répression policière, propagande mensongère, précarité financière – le mouvement s’est aussi étendu à d’autres entreprises comme les deux sites du géant américano-turc Ford Otosan de 6 000 salariés à Kocaeli (nord-ouest) qui fabriquent des véhicules utilitaires où les ouvriers ont les mêmes revendications que ceux de Bursa. Ou la firme Türk Traktör (groupe turc Koc également propriétaire de Tofas) d’Ankara dont les ouvriers sont également en grève pour des hausses de salaire et contre des conditions de travail qui frisent l’esclavage. Et des grèves éclatent à Ismir, Istanbul, Eskisehir, Alexandrette, etc. Les travailleurs expriment leur solidarité par la grève des cantines, des débrayages, des déclarations à la presse ou des messages de soutien sur Facebook.

Et maintenant ?

En France, les médias ne parlent pratiquement pas de ces grèves. Ils se sont focalisés sur les élections qui avaient lieu le 7 juin en Turquie et qui ont marqué un recul de l’AKP, le parti islamiste du président Erdogan. Pourtant le mécontentement de la classe ouvrière n’est sûrement pas étranger à la baisse électorale du parti au pouvoir.

Mais ce ne sont pas ces élections qui apporteront un véritable changement. Pour cela, le meilleur moyen serait que les travailleurs maintiennent et renforcent les liens créés entre eux durant ces grèves, et qu’ils se coordonnent entre entreprises afin de défendre leurs acquis et d’imposer leurs revendications. La classe ouvrière turque a montré qu’elle en avait les capacités et l’énergie.

9 juin 2015, Charles BOSCO

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