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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 87, mai 2013

Tunisie : Le gouvernement face à la rue et aux grèves

Mis en ligne le 30 avril 2013 Convergences Monde

La visite à Paris le 12 avril dernier du président tunisien Moncef Marzouki aura surtout été marquée par l’irruption de trois féministes du mouvement Femen au cri de « Libérez Amina » . Amina est cette jeune Tunisienne qui a fait parlé d’elle en posant seins nus sur Facebook avec l’inscription « Mon corps m’appartient, il ne représente l’honneur de personne » et est depuis claquemurée par sa famille. Une façon à elle de dénoncer la chape de plomb que le gouvernement islamiste veut imposer à la population tunisienne. Car si le caractère rétrograde et réactionnaire du pouvoir tunisien est en odeur de sainteté non seulement auprès des milieux de notables et affairistes tunisiens mais aussi des patrons français et autres, c’est qu’il cherche avant tout à faire oublier la révolution tunisienne qui a renversé Ben Ali il y a deux ans, et à étouffer la contestation sociale.

Face aux milices, la réaction populaire

Les luttes sociales ont effet repris des couleurs, après une année de trêve électorale. Et si la démagogie religieuse avait suffi il y a un an pour permettre à Ennahda, le parti islamiste, d’accéder au pouvoir, les prêches n’ont eu aucun effet pour mettre un terme aux combats incessants des travailleurs [1]. Ennahda a donc choisi la manière forte, en encourageant les agissements de milices protégées par la police, les mal-nommées « Ligues de protection de la révolution », chargées de semer la terreur parmi les femmes des quartiers pauvres, d’attaquer les piquets de grève et les sit-in de chômeurs. Le 4 décembre 2012, ces bandes avaient attaqué le siège de la confédération syndicale UGTT, et le 6 février 2013 Chokri Belaïd, militant syndical et l’un des dirigeants du Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution, une coalition de partis de gauche et d’extrême-gauche, a été assassiné. Accusé par le pouvoir d’encourager les sit-in, grèves et manifestations, son assassinat visait à terroriser les militants ouvriers et les travailleurs.

La réaction a été inverse. Des milliers de manifestants se sont rassemblés et les bureaux d’Ennahda à Sfax, Monastir, Béja, Gafsa et Gabès ont été incendiés et saccagés. Et des manifestations monstres, au cri de « Le peuple veut une nouvelle révolution », ont eu lieu le jour de l’enterrement de Belaïd, le 8 février. C’était une démonstration de force de la classe ouvrière et de la jeunesse, dirigée contre les islamistes d’Ennahda. Sous une telle pression populaire, l’UGTT avait appelé à une « grève nationale générale pacifique », alors qu’en décembre, lors du saccage de son siège, elle avait renoncé à son appel à la grève après quelque parlotte avec le gouvernement.

Mini-crise au sommet ?

Pour calmer la révolte, le premier ministre en place, Hamadi Jebali, membre d’Ennahda, avait tenté un remaniement ministériel, proposant un « gouvernement de technocrates », avec uniquement des personnalités « apolitiques ». Il aurait fallu une « union nationale », un dialogue entre tous les partis, pour « en finir avec la violence politique ». Manque de chance, son propre parti a rejeté sa proposition. Et voilà Ennahda en train de conspuer son premier ministre, tandis que l’opposition officielle l’encensait ! Mais si un semblant de fracture est apparu au sein d’Ennahda, il ne s’agit en rien de divergences quant à la politique à mener contre les travailleurs, il s’agit de désaccords sur la manière de refaire une virginité à Ennahda en associant au pouvoir des personnalités moins compromises.

Le plus significatif est l’attitude de « l’opposition ». Le parti Nidaa Tounès (l’Appel de la Tunisie) ne s’est pas privé de participer aux conciliabules pour la constitution d’un nouveau gouvernement. Mais peut-on parler d’opposition pour un parti où se retrouvent des cadres de l’ancienne dictature ?

L’UGTT avait, elle, signé un texte avec la Ligue tunisienne des droits de l’homme et l’Ordre national des avocats pour donner leur « accord de principe » à un gouvernement de compétences nationales. Oh ! Bien sûr en y ajoutant quelques conditions dont la dissolution des milices islamistes et la fin du népotisme pour les recrutements dans l’administration.

Le Front populaire, qui comprend le Parti des travailleurs tunisiens (ex- PCOT), et le Mouvement des patriotes démocrates (parti que dirigeait le militant assassiné) ainsi que la Ligue de la gauche ouvrière (organisation sœur du NPA), s’est abstenu de cautionner la mascarade. Mais ses dirigeants se sont sentis obligés de justifier l’attitude de la direction de l’UGTT en expliquant que les conditions qu’elle posait étaient en fait inacceptables pour Ennahda. Inacceptables ? À voir... C’était en tout cas un geste politique de la centrale syndicale envers les islamistes et surtout envers le patronat et une façon de semer l’illusion qu’un nouvel accord conclu entre des partis bourgeois, religieux ou laïcs, au nom du « dialogue national », pourrait apporter des réponses aux revendications démocratiques et sociales des Tunisiens. Alors que le patronat est à l’offensive en licenciant à tour de bras et en faisant augmenter les prix de plus en plus vite pour compenser les hausses de salaires obtenues par les nombreuses grèves.

Au final, Ennahda ne s’est même pas donné la peine d’élargir sa coalition. Le parti a bien dû céder quelques postes de ministres à des « technocrates », mais la nomination d’Ali Larayedh pour remplacer Jebali au poste de premier ministre en dit long. Larayedh est l’ancien ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire précisément celui qui a laissé toute impunité aux « Ligues de protection de la révolution » dans leurs exactions contre les travailleurs et l’opposition.

La grève des centres d’appel de Teleperformance

L’une des premières mesures du nouveau gouvernement Ennahda a été d’envoyer une note secrète au FMI dans laquelle, en échange d’un prêt de 1,35 milliard d’euros, il s’engage à mener des « réformes structurelles », telles que l’augmentation des prix du carburant, des privatisations (en premier lieu de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz), des mesures en faveur des banques et une réforme des retraites et de l’assurance maladie. Mais faire avaler les fatwas du FMI et des trusts pourrait bien ne pas être si simple.

En témoigne la grève de trois jours, tout début avril, dans les centres d’appel de Teleperformance à Tunis, qui a entraîné 80 % de salariés. Le point de départ : la demande de réintégration d’une demi-douzaine de salariés licenciés en février et les augmentations de salaires, avec l’application d’un accord salarial de 2010 sur lequel la direction s’asseyait allègrement. La direction du groupe français, qui occupe 5 400 salariés dans ses centres d’appel tunisiens pour le compte d’Orange, de SFR, de Numéricable ou d’Amazon, dénonçait alors « l’instrumentalisation de son métier pour des intérêts n’ayant pas de rapport avec l’entreprise », à savoir la hausse du chômage et des prix ! Le très officiel journal tunisien Le Temps, le 3 avril, craignait que de tels conflits fassent fuir les investisseurs : certes du fait que « les sociétés «  délocalisatrices  » cherchent le beurre et l’argent du beurre » ; mais aussi parce que cette « turbulence sociale depuis la Révolution n’a guère aidé à réconforter ces investisseurs en quête de sécurité et quiétude ». N’empêche que finalement c’est le directeur général financier de Teleperformance qui a rappliqué à Tunis pour lancer les négociations avec les grévistes, déclarant à la presse que « (Teleperformance est) un groupe qui cherche à optimiser ses coûts » mais « en respectant en même temps les lois de travail », et « (Teleperformance n’a) pas l’idée de quitter le marché tunisien ». Et pour cause, il rapporte trop, même avec des augmentations de salaires. Quand ces diables de travailleurs s’y mettent !

Ce qui attend les travailleurs, avec ce nouveau gouvernement islamistes-technocrates, ce sont de nouvelles attaques. Mais ils viennent de montrer qu’ils savent y réagir. Oui, comme le scandaient les foules lors des obsèques de Chokri Belaïd, il faut une deuxième révolution, sociale cette fois-ci. Pas seulement pour faire déguerpir les dictateurs du moment, mais pour en finir avec la misère et les patrons qui l’entretiennent et en profitent.

Le 20 avril 2013,

Maurice SPIRZ


Avec les islamistes, rien n’a changé

Dans Mediapart [2], le journaliste Pierre Puchot témoigne du délabrement de Kasserine, une ville de l’ouest du pays : 28 % des travailleurs de la ville sont au chômage, « des milliers de familles de la région n’ont pas l’eau courante », « toutes les routes sont à refaire, une partie n’est plus que sable et cailloux en attendant le bitume », « l’éclairage public n’est encore qu’un projet ». Le maire et son adjoint, bénévoles désignés par la population après la révolution, doivent gérer l’entretien de la ville et des services publics avec un million d’euros, 100 fois moins que la ville de Pau, de taille équivalente. Les 12 millions d’euros prévus dans le budget national pour l’hôpital, le développement agricole local et un complexe pour les jeunes ne sont jamais arrivés. Quant au gouverneur de la région, du parti Ennahda, il a fermé ses portes après avoir tenté sans succès de prendre le contrôle de la municipalité.

Voilà qui explique la colère contre les islamistes et le succès de la grève générale au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd dans ces régions déshéritées où les islamistes avaient pourtant fait leurs meilleurs scores il y a un an.

M.S.






[1Sur la remontée des luttes et la réaction du gouvernement, lire nos précédents articles : « Tunisie : La démocratie se gagnera dans la rue » paru dans Convergences révolutionnaires n° 83 de septembre-octobre 2012 et « Tunisie : les islamistes à la lanterne » paru dans Convergences révolutionnaires n° 85 de janvier-février 2013.

[2Pierre Puchot, « Tunisie : où est passé l’argent du développement des régions ? », Mediapart, 9 avril 2013.

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