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Crise de la dette, crise du capitalisme !

Tribune : À propos des émeutes en Grande-Bretagne

Mis en ligne le 25 septembre 2011 Convergences Monde

Rappelons que Convergences Révolutionnaires, depuis sa création, ouvre ses colonnes aux autres courants révolutionnaires qui souhaiteraient y exprimer leur point de vue. Nous publions dans ce numéro une tribune des camarades d’Alliance for Workers Liberty portant sur les émeutes en Grande-Bretagne du mois d’août dernier.


Il n’est pas question ici de faire la morale, ni de sermonner ou condamner les jeunes qui ont participé aux émeutes. L’une de nos priorités est, au contraire, de les défendre contre la répression et la vindicte réactionnaire qui s’abat actuellement sur eux. Mais il est nécessaire de clarifier la nature de ces événements et de montrer ce qu’ils signifient pour la classe ouvrière et l’ensemble de sa politique, tout en proposant des objectifs.

Les émeutes qui ont débuté à Londres dans la nuit du 6 août et ont continué à travers le pays jusqu’au 10 août n’ont en aucune manière été progressistes. Ils démontrent certes la colère réelle ressentie par les jeunes de la classe ouvrière envers le gouvernement et la police – mais aussi l’échec du mouvement des travailleurs à organiser les jeunes sur une base politique. Le principal résultat de ces émeutes a été d’ouvrir la porte à un déferlement de propagande réactionnaire et de commentaires racistes, et à une vague de répression de la part du gouvernement et de la police.

L’assassinat par la police à Tottenham d’un jeune homme noir, Mark Duggan, a été l’étincelle déclenchant les émeutes. Duggan portait une arme, mais il ne l’avait pas sorti de la poche où elle était cachée lorsque la police l’a abattu. Au début, la police a menti au sujet de l’incident, affirmant que Duggan avait tiré le premier. L’expertise a par la suite réfuté cette affirmation.

Duggan provenait de la cité de « Broadwater Farm », qui a également été le cadre de graves émeutes en 1985 après qu’une descente de police eut causé la mort d’une femme. À la suite du meurtre de Duggan, les familles de la cité ont organisé une manifestation dans la nuit du samedi 6 août pour exiger la vérité. Au cours de la manifestation, un officier de police anti-émeute a commencé à frapper une jeune fille de 16 ans. La foule des manifestants s’est alors défendue et de violents affrontements s’en sont suivis. Après plusieurs heures, des boutiques du quartier étaient pillées et des voitures de police, des autobus et des bâtiments, incendiés.

La mort de Mark Duggan a mis le feu à une accumulation de matériaux inflammables.

Les inflammables de la révolte

Les meurtres de jeunes par la police, en particulier de jeunes hommes noirs, sont monnaie courante en Grande-Bretagne. Selon Inquest [1], 1413 décès en garde à vue ont été constaté depuis 1990. Aucun policier n’a été reconnu coupable d’homicide. Les pouvoirs de la police pour interpeller et fouiller font que les harcèlements de jeunes travailleurs et, en particulier, de jeunes des minorités ethniques sont devenus une réalité quotidienne.

Tottenham, l’un des arrondissements les plus défavorisés de Grande-Bretagne, a aussi énormément souffert des coupes budgétaires du gouvernement : au mois de mars dernier, le conseil municipal d’Harringey [2] a approuvé une réduction du budget de 84 millions de livres sur un budget total de 273 millions de livres. Pour parvenir à cette diminution brutale, le conseil a réduit notamment de 75 % le budget du service consacré aux jeunes : les centres de jeunes ont été fermés et les services à l’enfance réduits. Le taux d’enfants vivant dans l’extrême pauvreté ainsi que le taux de chômage du quartier est l’un des plus élevés du Royaume-Uni. Pour l’ensemble de Londres, le chômage des jeunes atteint déjà 23 %.

La jeunesse ouvrière de Londres, Birmingham, Liverpool, Leeds, Nottingham, Bristol a été soumise à toutes les humiliations que les gouvernements travaillistes et conservateurs-libéraux ont pu imaginer. Dès lors, rien d’étonnant à ce que, parmi les jeunes victimes d’un tel dénuement, dans une société où on leur fait miroiter la consommation tout en les rendant pauvres, certains aillent piller les magasins.

Toutefois, l’effet de ces émeutes a été entièrement négatif. Les émeutiers ont détruit les logements de la classe ouvrière, ils ont attaqué les travailleurs des services d’urgence ; ils ont terrorisé la majorité non émeutière des résidents, ils ont divisé la population des arrondissements populaires par le pillage de petites boutiques.

Le racisme a été attisé par les émeutes. Les sentiments racistes anti-noirs au sein de la communauté turque dans le nord de Londres se sont accrus après le pillage de magasins turcs (malgré les efforts des turcs et kurdes socialistes). Pire encore, l’organisation raciste blanche-populiste, la Ligue de défense anglaise (English Defense League), a été capable d’utiliser les émeutes pour organiser rapidement des manifestations de rue de plusieurs centaines de personnes à Enfield et Lewisham, des banlieues ouvrières de Londres. La vague de sentiments réactionnaires, la propagande du gouvernement raciste et le désir de rétablissement de l’ordre ont peut-être permis à la Ligue de Défense Anglaise de croître.

Racisme, médias, police : le déferlement de la haine de classe

La presse et les politiciens conservateurs ont lancé une croisade de haine de classe contre les pauvres. Ils parlent d’une révolte de « racailles ». Certains d’entre eux dénoncent les émeutiers et les pillards comme des « rats sauvages ».

Des centaines d’entre eux ont déjà été emprisonnés, la plupart pour des délits mineurs.

Les femmes ayant de jeunes enfants sont emprisonnées pour des vols dérisoires. Une femme a ainsi été emprisonnée pour avoir « reçu » une paire de baskets volée ! La police perquisitionne violemment les appartements pour rechercher des biens pillés.

Alors que les politiciens font de violentes diatribes, les juges et les magistrats infligent des peines de prison pour des délits mineurs à des enfants et des adolescents. À la date du 14 août, 2 275 personnes avaient été arrêtées en lien avec les troubles et plus de la moitié d’entre eux avait moins de 18 ans. Le Daily Telegraph estime qu’une personne sur cinq ayant comparu devant le tribunal est un enfant. Au moins 1 000 arrestations sont encore prévues et promises.

Le Conseil conservateur de Wandsworth [3] a délivré un avis d’expulsion à une femme sous prétexte que son fils était accusé de vol pendant les émeutes. D’autres conseils menacent de faire la même chose. Cette sorte de « punition collective » est pourtant interdite par la convention de Genève, même dans les zones de conflit militaire ! Ajoutons que son enfant avait seulement été accusé, non condamné.

Les conservateurs surfent sur la vague de ressentiment et de peur générée par les émeutes et les pillages pour promouvoir leur propre agenda répressif et réactionnaire. Cet agenda est un avertissement et une préparation des classes dirigeantes aux réactions qu’ils attendent de l’ensemble de la classe ouvrière lorsque les réductions et coupes budgétaires commenceront vraiment à la mordre comme ils ont mordu la jeunesse ouvrière des cités.

Organiser les non-organisés !

Contrairement aux illusions de certains à l’extrême-gauche, les émeutes ne représentent pas une insurrection, ou les débuts d’une organisation. Elles ont été largement menées par de petits groupes de jeunes de 30 à 200 personnes. Ces groupes représentaient une infime minorité dans leur communauté, et ils n’ont fait aucune tentative pour avancer la moindre revendication. Cela contraste avec le mouvement étudiant de l’hiver 2010-2011, qui a vu des dizaines de milliers de jeunes issus de la classe ouvrière participer à des grèves dans les lycées et universités autour de la revendication d’éducation gratuite ! Les personnes interviewées à la télévision ont parlé de leur pauvreté — mais cela ne donne pas au mouvement un caractère politique. En revanche, les émeutes des années 1980, comme celles de Brixton par exemple, avaient souvent impliqué une plus grande proportion de la population et avaient vu des slogans politiques émerger. Ces événements sont différents.

Les émeutes sont le produit de l’échec du mouvement ouvrier à créer des organisations appropriées à travers lesquelles les jeunes ouvriers pourraient s’exprimer. Les syndicats n’ont pas réussi à organiser les jeunes travailleurs à l’échelle nécessaire, en particulier dans le secteur privé. Les organisations politiques de la classe ouvrière, à l’instar des organisations de jeunesse du Parti travailliste, ont disparu. L’axe principal de la direction du Parti travailliste après les émeutes a été d’appeler à davantage de policiers dans les rues ! Même les organismes communautaires, comme ceux développés à la suite des émeutes des années 1980, ont dépéri.

C’est à notre tendance et à l’extrême-gauche en général que revient le travail de pousser le mouvement ouvrier à se renouveler et à créer le niveau d’organisation et de conscience qui peut permettre à la jeunesse ouvrière de lancer un véritable combat, et non une simple explosion de rage et de désespoir.

Edward MALTBY, militant d’Alliance for Workers Liberty


Le point de vue de Convergences révolutionnaires

Nous comprenons les réserves des camarades d’Alliance for Workers Liberty envers « les illusions de certains à l’extrême gauche  » qui voudraient voir dans ces émeutes ‘l’insurrection qui vient’ (et qu’il faut) pour armer notre camp social. Comme eux, nous sommes également conscients des carences du mouvement ouvrier. Mais nous sommes un peu surpris de la tonalité de leur contribution, laquelle insiste à plusieurs reprises sur le caractère « entièrement négatif » ou « aucunement progressif » des émeutes de ces jeunes de la classe ouvrière. Pourquoi vouloir à tout prix se démarquer de ces émeutes de la jeunesse des quartiers pauvres ? Surtout dans un contexte de guerre de classe, de mesures gouvernementales et administratives d’une violence inouïe contre les classes populaires ?

Une émeute est une émeute, un profond symptôme de la détresse de larges couches populaires, pas une étape consciemment programmée de la mobilisation ouvrière. Il s’agit d’un fait social révélateur, auquel les révolutionnaires, par delà leur solidarité de classe, doivent bien sûr être particulièrement attentifs. Positif ? Négatif ? Là n’est pas la question. Notre rôle ici n’est pas de distribuer des bons ou mauvais points.

Il nous semble tout aussi inapproprié d’opposer le « bon » mouvement étudiant britannique de l’hiver dernier auquel « des dizaines de milliers d’ouvriers jeunes ont participé autour de la revendication de l’Éducation gratuite », aux émeutes du mois d’août qui « n’ont fait aucune tentative pour articuler différentes revendications ». On peut, on doit, quand c’est le cas, reprocher au mouvement ouvrier organisé, aux partis et syndicats ouvriers, de ne faire aucune tentative pour articuler différentes revendications. Mais à une vague spontanée de violence sociale ? De la même façon, il nous semble particulièrement hasardeux de privilégier dans notre échelle de valeur les émeutes des années 1980 par rapport à celles du mois d’août.

Une de nos tâches consiste à trouver le moyen de nous adresser efficacement aux jeunes prolétaires révoltés et, surtout, à faire en sorte qu’un nouveau mouvement ouvrier révolutionnaire gagne une audience parmi eux. La question est donc de savoir qui pourra donner une perspective politique consciente et bien plus subversive à la révolte d’une partie de la jeunesse ouvrière. Une tâche bien difficile ? Sans aucun doute, nous le savons bien nous qui en France avons encore tout à faire sur ce plan, tout comme les camarades de Grande-Bretagne. Mais, en attendant, affichons sans réserve notre solidarité avec toutes les victimes de cette société d’exploitation, même quand leur réaction n’est pas exactement celle que nous souhaitons.

La rédaction


[1Une association britannique qui enquête sur les violences policières (en particulier lors des détentions). (Note des traducteurs)

[2Harringey est le district du nord de Londres dont fait partie Tottenham. (Ndt.)

[3Autre district du grand Londres. (Ndt)

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