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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 17, septembre-octobre 2001 > DOSSIER : La santé malade du profit

DOSSIER : La santé malade du profit

Très chères molécules

Mis en ligne le 22 septembre 2001 Convergences Société

Des taux de rentabilité annuels de 20, 30, 40 %… : l’industrie pharmaceutique est une mine d’or pour ses actionnaires. A condition de soutenir une concurrence de plus en plus acharnée, qui amène les laboratoires à accroître le rythme de leur production de nouveaux produits – pour les marchés solvables, bien sûr. Les grands groupes estiment aujourd’hui devoir sortir tous les ans au moins deux ou trois molécules nouvelles d’un marché d’un milliard de dollars chacune. Ce « productivisme » accru les amène à comprimer autant que possible les frais de recherche – pourtant la principale activité socialement utile de cette industrie.

Cuisine contre recherche

En premier lieu, les laboratoires multiplient les avatars de médicaments déjà connus, commercialisés comme des nouveautés. Nouveaux dosages de vieilles molécules, copies d’autres possédant les mêmes effets thérapeutiques (quitte à obtenir des autorités sanitaires qu’elles modifient la posologie officielle)… En 1990, la revue médicale Prescrire classait 50 % des nouveaux médicaments du marché français dans la rubrique « n’apporte rien de nouveau  ». En 2000, le pourcentage montait à 80 %.

Plus fondamentalement, les groupes cherchent à externaliser leurs activités de recherche, et à en faire supporter le coût à des fonds publics, en parasitant universités et instituts de recherche. En 1980, aux Etats-Unis, la loi Bayh-Dole autorisait les inventions financées par l’Etat à être brevetées. Cette loi fut ensuite complétée par d’autres offrant des exemptions fiscales aux entreprises privées finançant la recherche universitaires, tout en incitant les partenaires universitaires à se montrer coopératifs [1].

Aujourd’hui, 40% des frais de Recherche et Développement de l’ensemble des trusts pharmaceutiques américains sont financés par l’institut national de la santé, organisme public… Une enquête américaine estimait en 1995 que 11 des 14 nouveaux médicaments les plus prometteurs de l’année étaient issus de recherches financées par l’Etat ! Quant au financement privé d’universités américaines, il était multiplié par 8, et le nombre de brevets déposés par les universités, par 20…

OPA sur les laboratoires publics

En France, on observe la même évolution des rapports entre recherche publique et entreprises privées [2]. Le plan U3M (« université troisième millénaire ») de l’ancien ministre de l’éducation Allègre prévoyait une série de dispositions visant à faciliter la création « d’incubateurs d’entreprises » au sein des laboratoires, en encourageant les chercheurs à se muer en patrons de start-up exploitant leurs travaux scientifiques (produits bien sûr grâce aux coûteuses infrastructures payées par des fonds publics). Le projet de réforme du CNRS de 1998 allait dans le même sens [3]. Un des aboutissements de cette politique, le projet Génoplante, créé par le même Allègre en février 1999, intéressant l’agro-industrie mais aussi la recherche pharmaceutique, offre à des groupes privés le concours d’impressionnants moyens scientifiques publics.

Dans le Tiers-monde, un matériau humain gratuit

Un troisième volet de la stratégie de minimisation des coûts scientifiques du business pharmaceutique concerne les dernières phases de l’invention de médicaments : tests, puis validation scientifique, pour arriver aux autorisations de mise sur le marché. De plus en plus, les laboratoires externalisent aussi leurs expériences concernant la nocivité des produits sur les êtres humains, dans le Tiers-monde cette fois, afin de gagner de l’argent et du temps (les brevets assurant l’exclusivité ont une durée limitée à 20 ans à partir du dépôt de la formule du produit, et non pas de sa mise sur le marché).

Ainsi un laboratoire comme Pfizer s’est servi d’épidémies comme celle de méningite qui a fait des milliers de victimes au Nigéria en 2000 pour organiser des expéditions de tests de ses nouveaux produits sur des enfants, non conscients de servir de cobayes, dans des conditions de sécurité n’ayant rien à voir avec ce qui est exigé dans les pays occidentaux – et avec une mortalité bien supérieure. L’exemple de Pfizer est loin d’être une exception, et certains Etats reprendraient ces pratiques pour leur compte. Ces expéditions se font sous couvert de missions humanitaires financées par ces groupes, qui plient bagages dès que leurs récoltes de statistiques sont suffisantes pour accélérer significativement le processus de validation des produits dans leur pays d’origine.

Moins sordide mais tout aussi rentable, les laboratoires privés se servent encore de leurs accointances avec le milieu scientifique pour faire valider scientifiquement leur production. Pour ne donner que ce chiffre, une enquête du Los Angeles Times prétend qu’entre 1998 et 2000, 19 des 40 articles de la rubrique « drug therapy » d’une des revues scientifiques de référence, le New England Journal of Medicine, étaient rédigés par des médecins payés par les laboratoires produisant les substances jugées.

Alors qu’ils demandent – et obtiennent – de sérieux allongements fiscaux au prétexte qu’ils auraient à supporter un pénible effort de recherche, les groupes pharmaceutiques se comportent donc comme toutes les entreprises privées, en se débarrassant de ce fardeau sur les finances, voire la santé, du public. Avec peut-être des conséquences plus choquantes encore que pour les autres industries.

Benoît MARCHAND


Gène de l’oseille

En décembre 1998, le Parlement islandais signait un accord avec l’entreprise privée DeCode Genetics, donnant à celle-ci pour douze ans accès à l’intégralité des fichiers médicaux des 270 000 Islandais, ainsi qu’à un arbre généalogique concernant 600 000 personnes. Grâce à cet énorme « matériau », l’entreprise estime pouvoir cerner les causes génétiques de nombreuses maladies, dont l’étude est commandée par plusieurs partenaires (privés eux aussi) en vue de traitements de maladies héréditaires. Ce n’est qu’un exemple des manœuvres de positionnement de nombreuses entreprises pharmaceutiques (des start-up aux géants comme Novartis) dans le secteur de la technologie génétique. Les experts n’attendent pas de retombées sérieuses avant plusieurs années. Mais les tentatives de breveter tel ou tel gène humain sont nombreuses, et on peut déjà s’inquiéter du contrôle pris par les entreprises privées sur les informations génétiques de populations entières.


[1Ainsi en novembre 1998 par exemple, l’université californienne (publique) de Berkeley passait un accord avec le groupe Novartis : contre une subvention de 25 millions de dollars, celui-ci s’arrogeait le droit de profiter du tiers des découvertes du laboratoire de microbiologie, et acquérait deux des cinq sièges du comité de recherche du département. Globalement, entre 1987 et 1999, la part de financement public de l’université passait de 50% à 34%.

[2Evolution qui ne concerne pas que l’industrie pharmaceutique bien sûr, même si pour celle-ci les enjeux financiers sont particulièrement important – voir CR n. 12 pour le cas de l’ « industrie de l’éducation ».

[3D’ailleurs, dès la même année, l’organisme de recherche signait 2630 contrats avec 1050 entreprises industrielles, et 1570 avec des EPIC (établissements publics à caractère industriel ou commercial).

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