Strasbourg — Portbou : le jour le plus long
Mis en ligne le 29 janvier 2011 Convergences Entreprises
Vingt-huit heures de train pour aller de Strasbourg à Portbou et Nice. L’affaire a fait grand bruit. Comment un enchaînement – pas si incroyable – d’incidents de plus en plus ordinaires a-t-il entraîné le plus long des retards jamais enregistrés à la SNCF ? Nous avons pu mener notre enquête auprès de cheminots !
26 décembre, 21 h 23 : le train de nuit 4295 pour Portbou et Nice part de Strasbourg avec une heure de retard.
La rame utilisée était arrivée avec huit heures de retard à Strasbourg. En cause, un enchaînement très compliqué de manœuvres qui génère presque toujours des délais mais que la direction n’a jamais modifié par souci d’économie. La rame arrive en deux morceaux sur deux trains différents à Dijon, où les conducteurs doivent jouer à Tétris pour la reformer, avant de l’acheminer à Strasbourg. Problème : Dijon est en grève. La direction le sait pourtant depuis au moins cinq jours, durée du préavis obligatoire. Mais c’est au dernier moment que ces manœuvres délicates sont transférées à Lyon… où un seul conducteur de manœuvre est disponible, suppressions de postes obligent !
Ce retard de huit heures n’a eu comme conséquence qu’un décalage d’une heure au départ du 4295... parce que la direction a escamoté la maintenance, le ravitaillement et le nettoyage. La locomotive est donc fragile, il n’y a pas assez d’eau ni de nourriture à bord et les toilettes sont déjà sales.
26 décembre, 23 h 00 : escale à Belfort.
D’après le planning, le conducteur qui a acheminé la veille la rame à Strasbourg devait reprendre le train à Belfort. Impossible : avec tous les retards accumulés, il a fini sa journée le matin même à 9 h 00. Il est donc déplanifié, mais aucun remplaçant n’a été sollicité. Pépy, le PDG, a qualifié cela « d’erreur majeure » du service de commande et de planification du personnel. Mais ces services sont partout complètement débordés : leurs effectifs diminuent alors qu’ils ont mille fois plus de problèmes à gérer à cause des suppressions de postes de conducteurs. La direction fait fonctionner en flux tendu les services qui sont chargés d’organiser le flux tendu !
27 décembre, 6 h 35 : départ de Belfort après plus de sept heures d’attente.
Les équipes chargées de pallier les défections de dernière minute, les réserves, ont été les premières victimes des suppressions de postes. À cela s’ajoute la progression de la « séparation par activités » [1] : un conducteur affecté à une réserve « TER » ne peut plus dépanner un train « Grandes Lignes », même s’il a la formation pour le faire. Il a donc fallu attendre 2h50 pour trouver un conducteur autorisé à Lyon, à trois heures de route de Belfort.
27 décembre, 7 h 40 : deux heures d’attente en pleine voie.
Le 4295 est bloqué par un TER tombé en panne. Une attention spéciale doit être portée à la maintenance en période de grand froid. Mais là aussi, la conjugaison d’un matériel vieillissant et d’effectifs en chute libre implique des pannes de plus en plus fréquentes. Il n’est désormais pas rare qu’une rame entre à l’atelier pour maintenance, et reparte rouler aussi sec, sans même avoir été examinée ! Quant aux révisions en profondeur, autrefois programmées tous les six mois sur certains matériels, elles sont parfois espacées de plus d’un an. La direction appelle ça « augmenter le pas de visite », dans le cadre de sa politique de « risque calculé ».
27 décembre, 14 h 00 : deux heures d’attente à Tournus.
Cette fois c’est la locomotive du 4295 qui tombe en panne. Diagnostic : présence de neige et d’eau dans le moteur depuis Strasbourg. Car dans les opérations de maintenance escamotées au départ du train, figurait le séchage du compartiment moteur. Commentaire de la patronne de la branche Grandes Lignes : « On a peut-être essayé de trop bien faire ». En faisant courir des risques aux passagers ?
Ce « bug » du 26 décembre, fut seulement du concentré de toute la politique de la SNCF : séparation par activités et suppressions de postes. Concentré en une seule journée de ce que les cheminots, tous autant qu’ils sont, subissent toute l’année. Et ce n’est qu’un début, les dégâts continuent… du moins si on les laisse faire.
Raphaël PRESTON
[1] Voir le dossier du CR n° 67.
Mots-clés : SNCF