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Six ans après

21 avril 2000

Les cérémonies de commémoration du génocide rwandais ont fait l’objet d’un traitement plus que discret de la part des médias français. Le premier ministre belge Verhofstadt a saisi l’occasion de cet anniversaire pour « demander pardon » au nom de son pays. Un monument à la mémoire des dix casques bleus belges assassinés au premier jour du génocide a du même coup été inauguré. Au delà de cet acte de repentance non dénué d’arrières pensées politiciennes (car il incrimine surtout le gouvernement précédent), Verhofstadt s’est bien gardé de faire la lumière sur la nature et les formes concrètes du soutien belge au pouvoir génocidaire.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU s’est livré pour sa part au même genre d’autocritique, affirmant que « l’ensemble de la communauté internationale doit reconnaître sa part de responsabilité ». Des propos qu’il est bien difficile de prendre au sérieux au moment même où les puissances qui disposent de sièges permanents au conseil alimentent le conflit dans l’ex-Zaïre, cette « première guerre mondiale » africaine ainsi que l’a baptisée récemment le New-York Times. Les combats, qui impliquent directement 6 pays (Angola, Namibie, Zimbabwe et ex-Zaïre contre Rwanda et Ouganda) et une dizaine de mouvements armés auraient fait une centaine de milliers de victimes depuis la rébellion anti-Kabila de l’été 98. Derrière les seigneurs de la guerre qui s’activent à dépecer l’ex-Zaïre, il n’y a que les aveugles (et les journalistes français) pour ne pas voir la main des puissances impérialistes rivales, France et Etats-Unis au premier chef. Alors comment ne pas sourire lorsque l’ONU propose l’expédition d’une dérisoire force de paix de 5 500 hommes... lorsque les combats auront pris fin !

Du Rwanda...

Mais de la part des dirigeants français, on n’a même pas assisté aux hypocrites scènes de repentance belges et ONUsiennes. L’impérialisme français et ses dirigeants, droite et gauche confondues, portent dans le massacre de 800 000 tutsis et hutus modérés en 1994 une responsabilité infiniment lourde. Formation des milices, livraisons d’armes avant, pendant et après les tueries, encadrement des troupes génocidaires et assistance directe à l’état-major des forces armées rwandaises, mise en place de l’opération Turquoise pour sauver les débris des forces hutus extrémistes : cette complicité directe n’épargne ni les dirigeants civils et militaires, ni même un quotidien « de référence » comme Le Monde, dont un petit ouvrage [1] a récemment montré le travail de « désinformation » et de « manipulation » à l’époque du génocide, en connivence avec la DGSE (les services secrets français). La bien mal nommée « mission d’information parlementaire » sur le génocide, dirigée par le socialiste Paul Quilès, aura eu beau s’employer à étouffer ou travestir la vérité, il sera bien difficile à la République de garder près d’un million de cadavres dans ses placards sans que l’affaire ne finisse par s’ébruiter. D’autant que l’impérialisme français continue à entretenir des contingents de dizaines de milliers de miliciens hutus génocidaires en exil qui combattent à son service en différents point d’Afrique centrale [2].

...au Congo-Brazzaville

Cette attitude officielle à l’égard du génocide rwandais a ceci de grave qu’elle favorise la répétition des mêmes crimes à quelques milliers de kilomètres de là. La guerre qui ensanglante le Congo-Brazzaville depuis 16 mois reproduit, dans leurs grandes lignes, les mécanismes de la tragédie rwandaise. L’ancien dictateur Denis Sassou Nguesso est remonté sur le trône par la force des armes en 1997. Il a écrasé les milices de ses opposants avec l’aide d’une coalition militaire rameutée par la France : troupes angolaises, milices hutues rwandaises réarmées, mercenaires tchadiens, marocains, maliens, etc., avec un encadrement et un matériel français. La victoire du camp de Sassou Nguesso (largement subventionné par le groupe pétrolier Elf) s’est soldée, après une brève accalmie, par une campagne sans précédent de massacres dirigés contre les partisans des politiciens rivaux (Lissouba et Kolélas) et, d’une façon plus générale, contre les ethnies du sud. Le bilan se chiffrerait aujourd’hui en centaines de milliers de morts. D’après F.X. Verschave, spécialiste de la région, « il se confirme peu à peu que le bilan des crimes en tous genres commis au Congo-Brazzaville entre décembre 98 et fin 99 égale ou dépasse le total de ce qui est advenu, durant la même période, au Kosovo, à Timor et en Tchétchénie réunis » [3].

La participation directe de la France, sous le gouvernement de la gauche plurielle, aux atrocités de Sassou-Nguesso, de ses miliciens « cobras » et de ses divers alliés, ne fait aucun doute. Des Transalls tricolores fournissent les armements, des chars et des hélicoptères français interviennent depuis le Gabon voisin, des officiers français sont détachés, soit en « congé sans solde », soit même à titre officiel, des fonds de coopérations sont affectés aux cobras (sous prétexte d’en faire une « force de police régulière »), Sassou Nguesso s’affiche avec l’ambassadeur de France et embauche Jacques Attali à titre de conseiller privé

Sur fond de black out médiatique complet, l’Etat français poursuit en Afrique centrale la même politique qui a conduit depuis 6 ans aux massacres du Rwanda, à l’implosion du Zaïre et aux tueries du Congo-Brazzaville.

Julien FORGEAT


[1Le Monde, un contre pouvoir ?, Jean-Paul Gouteux, L’Esprit Frappeur, 1999, 20 F

[2voir à ce sujet : Noir Silence, F. X. Verschave, les arènes, 2000

[3Billet d’Afrique, Nº 80, avril 2000 (bulletin de l’association Survie qui étudie les agissements de l’État français en Afrique)

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