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Serbie : une opposition digne de Milosevic

3 septembre 1999

Depuis deux mois, à la suite du retrait de l’armée serbe du Kosovo, l’opposition serbe réclame le départ de Milosevic. Rassemblant de 10 à 25 000 personnes dans plusieurs villes de province et jusqu’à 150 000 le 19 août à Belgrade, cette vague de protestations ne connaît cependant pas une affluence aussi forte que lors des grandes manifestations de 1996 / 97.

Certains y voient le résultat des divisions de l’opposition tant, il est vrai, les candidats à la succession de Milosevic se pressent au portillon. A côté des anciens opposants de 1996, l’Alliance Civique de Vesna Pesic, le Parti Démocratique de Zoran Djinjic et le Parti Serbe du Renouveau de Vuc Draskovic, qui détient la mairie de Belgrade et aligne une quarantaine de députés au parlement, sont apparus plus récemment le « Groupe des 17 », des économistes serbes se présentant comme indépendants des partis et ayant les faveurs de l’OTAN, ou encore le général Momcilo Perisic et son Mouvement pour une Serbie Démocratique.

Certes, ces différentes cliques sont divisées. Certains, comme Draskovic, sont prêts à participer aux élections anticipées promises en novembre par le pouvoir, tandis que d’autres, comme Djinjic, continuent de réclamer d’abord la démission de Milosevic. Le Groupe des 17 lui se propose de former un gouvernement « d’experts » et essaye de négocier l’appui du parlement qui soutient pour l’instant encore Milosevic.

Pourtant, d’après un récent sondage, si 72 % des Serbes sont pour le départ de Milosevic, 40 % seulement se reconnaissent dans les partis de l’opposition. Il y a forcément à cela d’autres raisons que leurs différences tactiques. Et d’abord sans doute qu’aux yeux de la population leurs perspectives comme leurs programmes et leurs chefs ne sont ni clairs ni convaincants.

Que proposent-ils en effet à une population serbe qui, après sept années de guerre en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, puis onze semaines de bombardement de l’OTAN, vit aujourd’hui au rythme des tickets de rationnement et des files d’attente pour l’achat de viande ou d’essence, du chômage qui touche plus de la moitié de la population active, de la charité et du marché noir, tandis que 150 000 réfugiés serbes du Kosovo sont venus gonfler les rangs des quelques 600 000 autres de Croatie et de Bosnie ?

A Milosevic ils reprochent tous d’avoir perdu la guerre, pas sa politique au Kosovo. Tous jouent du nationalisme, que ce soit Perisic, surnommé le « chevalier de la Neretva », du nom d’une rivière qui coule dans la ville de Mostar en Bosnie qu’il a réduite à un tas de ruine en 1992, Djinjic, qui s’était illustré en apportant son soutien à Radovan Karadzic, un des responsables de l’épuration ethnique en Croatie, ou bien Draskovic, partisan de la Grande Serbie, royaliste, religieux, membre du gouvernement de Milosevic avant de repasser à l’opposition.

Aucun ne s’est prononcé pour le droit à l’indépendance du Kosovo, ni hier ni aujourd’hui. Bien sûr, dans la Serbie vaincue, les sentiments nationalistes doivent être encore exacerbés. Ainsi, le match de football qui a opposé l’équipe de Serbie à celle de Croatie au mois d’août à Belgrade a été l’occasion depuis les tribunes de conspuer Milosevic aux cris de « Slobo dehors », « bandit rouge », « tu as vendu le Kosovo », les footballeurs croates étant traités eux « d’oustachis » et menacés de mort. Mais que pratiquement toute l’opposition essaie de jouer sur ces sentiments, ou de composer avec, en dit long sur sa nature, et le fait qu’elle serait prête à la pire démagogie s’il était nécessaire. Mais alors quelle différence avec Milosevic ?

Et surtout l’opposition, comme les partis actuellement au pouvoir d’ailleurs, ne voient d’avenir qu’avec le capitalisme et des crédits de l’Occident, crédits qu’ils devront monnayer contre la mise en coupe réglée de l’économie serbe... et qu’ils sont prêts à placer en Suisse comme leurs confrères russes, ou bosniaques par exemple, le font avec l’argent du FMI. Mais là encore quelle différence avec Milosevic ?

Il ne reste plus à l’opposition serbe, composée en grande partie d’anciens apparatchiks, qu’à se présenter comme les champions de l’anti-communisme, à l’image de l’Eglise orthodoxe qui voit dans la période actuelle une occasion de « libérer la Serbie des chaînes du communisme »... après avoir été le chaud partisan de la politique de Milosevic au Kosovo.

C’est sans doute pour cela que Milosevic peut envisager aujourd’hui d’organiser des élections. Car s’il les gagnait « démocratiquement » ?

Certes, mis au pilori par les puissances impérialistes, portant la responsabilité d’une série de revers militaires, affaibli par le marasme économique du pays, Milosevic apparaît de plus en plus isolé. Même l’armée lui semble de moins en moins acquise : après des désertions massives durant la guerre, puis les manifestations de réservistes pour exiger le paiement de leur solde, le passage à l’opposition d’un certain nombre d’officiers montre que le loyalisme de l’état-major de l’armée a lui aussi ses limites.

Mais il bénéficie toujours du soutien du Parti Socialiste de Serbie, du parti de la Gauche Unie dirigé par sa femme et du Parti Radical de l’ultra nationaliste Vojislav Seselj, qui compte plusieurs ministres. Il contrôle les principaux médias et peut compter sur la loyauté des quelque 100 000 membres de la police. Alors, si la population serbe a juste à choisir entre deux maux...

Il n’y a pas à pleurer sur les divisions actuelles de l’opposition serbe. Tout au contraire il serait même souhaitable que se fasse un nouveau clivage dans ses rangs, celui qui donnerait naissance à un parti qui représenterait réellement les intérêts des travailleurs et des couches populaires serbes, contre les nationalistes, et tous les partisans du dollar ou de l’euro, en clair une opposition communiste et révolutionnaire.

Henri ALLARD

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