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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 1, janvier-février 1999

Sept mois de mobilisation contre les licenciements chez Ralston

Mis en ligne le 1er février 1999 Convergences Entreprises

Les travailleurs de l’entreprise Ralston de Caudebec-lès-Elbeuf, à 20 kilomètres de Rouen, viennent de mener une lutte d’avril à octobre pour tenter de faire annuler un plan de licenciements particulièrement brutal puisqu’il concernait 334 personnes sur 539 salariés que comprend l’usine. Avec pour l’essentiel leurs seules forces, ils ne sont pas parvenus à empêcher l’application de ce plan mais ils ont réussi à arracher quelques concessions importantes, en particulier en matière d’indemnités de licenciement. Pourtant le principal acquis de leur lutte réside dans la façon dont ils ont relevé ce défi en adoptant un fonctionnement démocratique permettant en permanence le contrôle de leur lutte et libérant le dynamisme et l’esprit d’initiative de chacun d’entre eux.

Sur le plan syndical, la CGT est majoritaire dans l’établissement : 73,39 % au premier collège et 20 % dans le second collège, lors des élections de Délégués du Personnel de janvier 1998. Ce syndicat est animé par des militants d’extrême gauche autour de Voix des Travailleurs (l’un d’eux, secrétaire du syndicat, a milité à Lutte Ouvrière pendant plus de trente ans) et de la Ligue Communiste Révolutionnaire depuis que 130 travailleurs « rescapés » de la fermeture de l’usine de Louviers se sont retrouvés à Caudebec. Bien avant la baisse généralisée de sa capacité d’encadrement, l’appareil CGT régional n’a jamais réussi, à son grand dam, à trouver des relais solides dans le syndicat de Ralston. C’est une des raisons qui a expliqué son peu d’empressement à soutenir des travailleurs en lutte ayant pleine confiance dans l’équipe dirigeant la CGT de Ralston. La CFDT, très représentée dans le second collège, est animée par le demi permanent de la métallurgie de Haute-Normandie mais tous les syndiqués ne sont pas pour autant sur la ligne de Notat.

Sur le plan politique, la LCR et VDT ont fusionné leurs bulletins en novembre 1997. Un bulletin commun intitulé « Lutte des Travailleurs » sort depuis, tous les quinze jours, et est très apprécié des salariés. C’est en grande partie parce que les militants de la LCR et de VDT avaient commencé un travail politique commun dans l’entreprise, que la collaboration s’est déroulée dans un climat de confiance solide pendant toute la durée du conflit.

A l’annonce en mars 1998 de la suppression de 334 emplois (dont une centaine de mesures d’âge), les travailleurs qui n’ont pas derrière eux une tradition de grandes luttes montrent rapidement la volonté de relever le défi, sans se faire d’illusions sur leur capacité à faire céder une multinationale. La CGT et la CFDT de l’usine appellent à des assemblées générales pour proposer des actions. Il s’agit de se faire entendre le plus largement possible et de chercher à élargir la mobilisation. En fait les militant(e)s révolutionnaires de Ralston s’attachent, en tenant compte de l’état d’esprit des travailleurs de l’entreprise à avancer dans deux directions, sans précipiter les rythmes : unité et auto-organisation des salariés.

Le comité d’organisation

Pendant les trois premières semaines les militants révolutionnaires se sont efforcés de discuter avec les travailleurs les plus déterminés, pour leur proposer d’être vraiment acteurs du mouvement.

Dès la mi-avril un « comité d’organisation contre les licenciements » a été mis en place, sans l’opposition franche du responsable de la CFDT. Il se réunit à l’heure de la pause le lundi pour les équipes du matin et de l’après-midi, et des assemblées générales se tiennent le mercredi. Tous ceux qui le désirent, syndiqués ou non syndiqués, y participent. Dans l’équipe de nuit, les 40 personnes fonctionnent de fait en AG. Trois à quatre représentants participent aux réunions de l’équipe du matin (ils viennent d’avoir deux nuits de repos). Les contraintes de la vie quotidienne en équipe font que ce sont des délégué(e)s qui font le lien, assistant aux trois réunions deux fois par semaine, ce qui est un gros effort. Le comité, qui a réuni entre 50 et 70 volontaires suivant les moments a été dès le début reconnu par les AG sous la forme d’un vote à mains levées sur une liste de volontaires.

Il est à noter que parmi les plus actifs, on a vu des ouvriers et des ouvrières non syndiqués qui se sont révélés dynamiques et plein d’initiatives. Parfois plus que tel ou tel délégué, ayant du mal à retrouver ses marques mais au bout de quelques temps se ressoudant à l’ensemble des travailleurs du rang dans le cadre des AG.

Le comité fait ses propositions et organise les distributions de tracts, les collages et toutes les actions. Ce fonctionnement démocratique où tout le monde a sa place durera tout le temps du conflit. De même lorsque les camarades feront venir les médias, les conférences de presse auront systématiquement lieu devant l’usine, en présence des salariés réunis.

Leurs efforts pour élargir leur lutte en se liant à d’autres entreprises ne donnent pas de résultats convaincants. Un comité contre les licenciements à vocation régionale, est cependant créé : il regroupe essentiellement des syndicats « critiques » et réussit une manifestation de 500 personnes à Elbeuf, sans grande mobilisation de l’appareil CGT

Mais il est clair au retour des congés que la mobilisation marque le pas : un nombre non négligeable de travailleurs de Ralston n’est pas venu à la manifestation. L’opération escargot ne faiblit pas malgré les pressions des chefaillons, les AG hebdomadaires sont toujours aussi massives et attentives, même si quasiment personne en dehors des délégués ne se lance à y prendre la parole. Beaucoup disent qu’il faut maintenant agir dans la boîte, sans être encore prêts à faire grève.

Dans le comité d’organisation, on est bien conscient qu’il faudrait passer à la grève avec occupation mais à condition que le mouvement soit majoritaire et unitaire. Une quinzaine de salariés se verraient bien bloquant les portes, même à quelques-uns, pour obtenir « un gros chèque ». Un groupe de travailleurs de Caudebec notamment commence à perdre patience et envisage l’occupation du dépôt de Martot, dépôt européen du groupe à 4 kilomètres de l’usine, sans trop se soucier de l’avis de l’ensemble des travailleurs y compris ceux de Martot. Mais ils se laissent rapidement convaincre de ne pas s’enfermer dans un mouvement minoritaire avec une occupation qui serait tenue à bout de bras par quelques-uns comme le révèle le nombre faible des volontaires qui s’inscrivent pour le faire. Une militante de la CGT du Comité d’organisation pose clairement le problème à la réunion suivante du comité : mouvement « dur » minoritaire ou mouvement d’ensemble ? En fait, cela commence à préparer tout le monde à passer au cran supérieur. Dans le comité d’organisation, le souci d’agir le plus possible tous ensemble s’exprime nettement ainsi que la préoccupation d’avancer une compensation pour tous les licenciés de 500 000 francs.

La grève avec occupation

Devant l’annonce par la direction que l’indemnité conventionnelle de licenciement est intégrée dans les calculs du plan social, cela déclencha la colère de tout le monde. Le lendemain la grève fut votée. Le blocage total de l’usine commença le lundi suivant et l’occupation dura 11 jours. Tout naturellement le comité d’organisation devint de fait un comité de grève (même si formellement il n’en portait pas le nom) se réunissant chaque matin, examinant minutieusement tous les problèmes, évitant les chausse-trappes, évaluant l’évolution du rapport des forces, rendant des comptes à l’assemblée des grévistes qui se tenait dans la foulée.

La participation à cette grève avec occupation 24 heures sur 24 fut massive et très active. Il y avait toujours plus de présents au piquet que de volontaires inscrits et simultanément des actions étaient organisées sur l’agglomération par le comité. La grève a été marquée par des chansons, des commentaires de la presse et de nombreuses discussions. Elle a entraîné de nombreux gestes de solidarité et notamment un barrage filtrant organisé par des routiers CFDT et une collecte effectuée par les Ralston.

Les travailleurs ont finalement obtenu 130 000 francs pour les licenciés et 30 000 francs pour ceux en mesures d’âge. Ils n’ont pas obtenu ce qu’ils exigeaient : « Zéro licenciement ». Mais il y a eu de la joie, de l’émotion et de la fierté à l’issue du conflit, ces acquis inappréciables que procure une lutte collective menée consciemment, en toute démocratie.

Pierre BERGERAC

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Réactions à cet article

  • 21 mars 2006

    Bonjour,

    Depuis peu de retour en France (après sept ans d’éxil volontaire en Espagne), c’est avec émotion que j’ai lu votre article. Ancien « ralston », licencié en avril 99, j’ai moi-même fait partie du comité d’organisation.

    Je constate avec plaisir que les faits sont relatés tels que je les ai vécus.

    Vous parlez de la mobilisation des élus après avril 99. A ce sujet, ils ne restait pas beaucoup de militants actifs. Et, les salariés « rescapés » n’étaient pas très enclins à quelqu’actions que ce soit.

    Il va sans dire que le dogmatisme de quelques élus, ne va pas de paire avec l’obédience consciente ou inconsciente du reste des salariés.

    Il est difficile de motiver et mobiliser des gens qui croient encore que les élus sont leur défenseurs inconditionnels et que leur action doit être unique et individuelle.

    Malheureusement, l’immobilisme et la passivité ne paient pas.

    Il est loin le temps où d’un claquement de doigt l’usine s’arrêtait pour que les représentants du personnel aient du poids pour revendiquer devant la direction.

    Je me rappelle deux faits dont j’étais partie prenante.

    • J.P.M., Licencié pour l’emprunt de deux piles... Deux jours de grève, usine bloquée, réintègration de J.P. et mutation du directeur sur un autre site.
    • Hiéhiette, méprisée et insultée par un chefaillon... Blocage de l’usine pendant quatre heures. Excuses publiques du goujat et reconnaissance de la qualification de H.P.

    Ces actions remontent au temps où l’on ne parlait pas de l’insécurité de l’emploi.

    Etant « élu », j’ai donné mon accord pour être licencié. Dans le cas contraire, j’aurais trente quatre ans d’ancienneté.

    Pour conclure, je souhaite beaucoup de courage à Antonio et Martine, seuls moteurs pour la réussite des actions actuellement en cours.

    H. Tanneur

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