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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 96, novembre-décembre 2014 > Mouvement des chercheurs

Mouvement des chercheurs

« Sciences en marche » contre l’austérité !

Mis en ligne le 20 novembre 2014 Convergences Société

Le vendredi 17 octobre dernier, plusieurs milliers de chercheurs, personnels d’université, personnels de recherche, étudiants en thèse et précaires ont défilé à Paris de la Porte d’Orléans à la place Vauban, à l’appel du collectif « Sciences en marche ». Dénonçant les conditions de travail ainsi que la chute continue du nombre de postes dans la recherche publique, les organisateurs ont conclu par une série de prises de parole au ton résolu. Le succès d’une telle manifestation chez une catégorie de travailleurs d’ordinaire peu encline à battre le pavé est révélateur d’un malaise grandissant au sein de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), malaise alimenté par le mépris assumé de la part du gouvernement et, particulièrement, de la ministre de l’ESR, Geneviève Fioraso.

Le mouvement « Sciences en marche » est né il y a trois mois à la suite du communiqué rédigé lors d’une réunion du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) [1]. Le constat alarmiste fait par les membres de cette instance collégiale du CNRS pointait les difficultés croissantes du secteur : l’emploi de personnel permanent en chute depuis de nombreuses années, la précarité installée dans la recherche universitaire, les conditions de travail de l’ensemble du personnel dégradées… Bref, les conséquences d’une politique d’austérité identique à celle que subit la majorité des travailleurs dans de nombreuses entreprises publiques comme privées.

Les conditions de travail, principale motivation du mouvement

Initié par le biologiste Patrick Lemaire, « Sciences en marche » se proposait de rassembler les mécontents contre le gouvernement et « sa politique d’austérité appliquée à la recherche ». La première mesure fut de convaincre 668 directeurs de laboratoire d’envoyer une lettre ouverte à François Hollande, à l’image du mouvement victorieux de 2004 qui avait vu ces mêmes directeurs démissionner en bloc. En parallèle, une manifestation à vélo, à pied, voire à kayak, démarrait de Montpellier le 26 septembre et devait converger sur Paris le 17 octobre avec d’autres manifestations parties des différents coins du pays. Enhardis, pour ne pas dire ulcérés, par les propos de Geneviève Fioraso qui promettait « quatre années difficiles » pour l’emploi et n’envisageait rien avant de voir « quelle serait la mobilisation », les chercheurs grossissaient jour après jour le flot du mouvement jusqu’au succès de la journée du 17 octobre.

C’est que la situation est particulièrement difficile au sein des laboratoires et ne cesse d’empirer depuis des années. La diminution du nombre de postes de chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels administratifs – cumulée avec une mise en concurrence des laboratoires entre eux pour l’allocation de budgets de recherche, eux aussi en constante diminution – entraîne des comportements et des situations personnelles à la limite du tolérable. La précarité s’installe (jusqu’à 35 % de CDD dans certains laboratoires), l’individualisme règne en maître, et les abus de pouvoir deviennent monnaie courante dans un milieu où le taux de syndicalisme frôle les 0 %... C’est dans ce contexte que s’inscrivent cette mobilisation et les espoirs, réels, qu’elle suscite.

Les sommités mènent la danse

Cela dit, on ne peut occulter les difficultés que le mouvement naissant ne va pas manquer de rencontrer s’il garde sa forme actuelle. Parti d’un communiqué impulsé par un directeur de recherche, relayé par les directeurs de recherche et les directions de certaines universités, appuyé par des académiciens, médailles d’or du CNRS et autres sommités du monde scientifique, « Sciences en marche » se caractérise, pour l’instant, par son respect de la hiérarchie en place dans les laboratoires et par les liens de celle-ci avec le gouvernement. Ce qui se retrouve également dans les revendications mises en avant par les organisateurs, notamment par la principale : le « détournement » d’un tiers du Crédit impôt-recherche (CIR, voir p. 6) dans un plan d’urgence pour la recherche scientifique. Bien sûr, le CIR est critiqué, voire contesté, mais son existence n’est en aucun cas remise en question. Rien n’est dit non plus sur les fusions des universités – qui ont commencé avec la création de la Communauté d’universités et établissements (ComUE) d’Aquitaine, rassemblant les sept établissements d’enseignement supérieur de Bordeaux, avec les suppressions de postes et autres restructurations qui en découleraient.

Affranchir le mouvement de sa tutelle hiérarchique

Initiée par les « pontes » de la recherche, cette mobilisation a au moins le mérite d’exister, malgré ses limites. Les organisations syndicales ont mis en avant ces limites bien réelles pour ne s’associer que timidement au mouvement, sans pour autant proposer une politique alternative. Il faut reconnaître cependant qu’en plus de la suspicion sur l’organisation et la finalité du mouvement, les syndicats sont assez faiblement implantés parmi les techniciens, étudiants et précaires de la recherche. D’autre part, leur participation était loin d’être considérée comme souhaitable par les organisateurs de « Sciences en marche »… Comme le note un militant de la FERC-CGT [2] de l’École normale supérieure à propos de la position de son syndicat : « Il n’était pas question de s’exprimer contre le mouvement, ç’aurait été contre-productif, mais plutôt d’alerter sur le soutien que les directions des plus grandes universités (Paris 6 et Paris 11 en tête) et certaines entreprises lui apportent. De plus, « Sciences en marche » refuse de parler de l’institution des Communautés d’universités et établissements qui sont de véritables machines à broyer les budgets, les emplois, les formations et la recherche, les personnels et les étudiants. » Pourtant, des échéances sont prévues et les centrales syndicales, au lieu de prendre résolument la tête de la contestation, se cantonnent à soutenir les rassemblements et manifestations qui auront lieu, en espérant une évolution du mouvement. Il y aurait sûrement un autre rôle à jouer pour des militants politiques et syndicaux qui souhaiteraient que ce mouvement s’affranchisse de sa tutelle hiérarchique. Nombre de personnels administratifs, techniciens et autres invisibles de la recherche tendent une oreille bienveillante dans sa direction et il ne tient qu’aux jeunes chercheurs d’arracher la direction de ce mouvement et de lui donner une autre impulsion.

Vers une généralisation à tout l’Enseignement supérieur ?

Car il faudra bien que « Sciences en marche », ou ce qui en prendra la suite, dépasse ces limites pour faire naître chez le gouvernement un début d’inquiétude. Jusqu’à présent, celui-ci est resté droit dans ses bottes. La veille du lancement de l’opération, Geneviève Fioraso répétait qu’il n’y aurait aucune amélioration à prévoir dans les prochaines années. À la suite du succès du 17 octobre, les organisateurs se félicitaient d’avoir établi « un rapport de force avec le gouvernement ». Lequel, pour l’heure, n’a abouti qu’à une vague promesse d’amélioration de la situation dans un futur plus ou moins lointain.

Pour l’instant, Patrick Lemaire a appelé à « ne pas laisser retomber le mouvement » et de nombreuses assemblées générales se sont tenues au cours de la fin du mois d’octobre pour envisager de nouvelles perspectives. L’École des hautes études en sciences sociales a ainsi été le siège d’une AG à l’initiative d’un collectif de précaires (étudiants et CDD). L’Université Paris 6 devrait tenir une même AG à l’appel de l’intersyndicale FSU-CGT-SUD de l’établissement. Les dernières interventions de Geneviève Fioraso sur France Culture le 28 octobre, lors d’une confrontation avec les organisateurs de « Sciences en marche », loin de calmer le jeu, n’ont fait qu’électriser un peu plus l’ambiance dans les laboratoires. Il s’en faudrait de peu que le mouvement prenne un tout autre caractère et entraîne avec lui les étudiants pour affronter véritablement le gouvernement !

4 novembre 2014, Simon COSTES


[1Le CoNRS est une instance collégiale du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS), principal établissement public de recherche. Y siègent des représentants de toutes les catégories de travailleurs de la recherche publique. Il est notamment chargé de l’emploi au sein du CNRS.

[2La CGT dans l’Enseignement supérieur et la recherche est composée de la FERC-CGT regroupant le personnel enseignant et du SNTRS-CGT rassemblant administratifs, techniciens, ingénieurs et chercheurs. Le SNTRS a appelé à la participation de la manifestation du 17 octobre alors que la FERC n’a donné aucune consigne.

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