Salaires : Les trains de retard de la SNCF
Mis en ligne le 14 mai 2004 Convergences Entreprises
Lors des dernières négociations salariales, la direction de la Sncf a mis en avant la grève du printemps dernier (250 millions de perte pour l’entreprise, dit-elle) pour justifier la continuité de sa politique d’austérité. Pour l’année 2004, elle a décidé une augmentation de 0,5 % en janvier suivie d’une autre équivalente en octobre. Or rien que pour les trois premiers mois de l’année, l’indice des prix a déjà grimpé de 0,8 %. Bref, après une année 2003 sans aucune augmentation (alors que les prix grimpaient de plus de 2,2 %), les cheminots dans leur ensemble connaîtront cette année encore une baisse de leur pouvoir d’achat.
Au bas de l’échelle : des sous-smicards
Une étude récente de la fédération des cheminots CGT montre une tendance réelle à la baisse du pouvoir d’achat, depuis une vingtaine d’années et toutes catégories confondues. Elle compare la hausse des prix depuis 1981, selon l’indice officiel Insee, avec la progression de la « valeur du point de grille » (qui détermine à la SNCF le traitement brut, les indemnités de résidence, la plupart des primes et toutes les retraites).
Si bien qu’aujourd’hui, sans diplôme, le salaire minimum d’embauche (position 2, qualification A, zone 1), qui dépassait de 38,5 % le Smic en 1972, est 2,16 % en dessous du Smic de référence aujourd’hui.
Pour faire avaler la pilule, la direction se vante de verser un complément salarial aux bas salaires. Sauf que celui-ci diminue à chaque avancement en échelon. Une forme déguisée comme une autre d’imposer le blocage des salaires pendant des années.
Si de nombreux cheminots sont devenus smicards, ce n’est pas que le Smic ait tellement progressé mais c’est que les salaires des cheminots n’ont pas suivi la hausse des prix.
Baisse du pouvoir d’achat toutes catégories
Les salaires bruts à la SNCF ont perdu 15,50 % par rapport aux prix depuis 20 ans. Dans le même temps, les cotisations sociales sont passées de 9,1 % en 1981 à 16,15 % du salaire brut en 2003. La perte du pouvoir d’achat dépasse donc les 20 %.
Le salaire net d’embauche d’un agent des guichets ou d’un aiguilleur ne dépasse pas le Smic, mais s’y ajoutent des primes (pour travail de « nuits », « dimanches » et « fêtes » en particulier) qui peuvent ajouter 100 à 200 euros. Cela dit, un aiguilleur en fin de carrière, avec 30 ans d’ancienneté, gagne environ 1500 à 1700 euros. Pas lourd !
Alors qu’un jeune conducteur gagnait 223 % de plus que le Smic en 1972, il touche aujourd’hui 68% de plus. Les conducteurs n’ont pas les pires payes de la SNCF mais les primes représentent environ 1/3 de leur salaire, en particulier soumis à de fortes baisses en cas de « journées inutilisées », avec moins de kilomètres. Par ailleurs, une enveloppe nationale distribuée par les différents établissements autorise des primes différentes d’un endroit à l’autre et aggrave l’inégalité. Ainsi pour parer à la baisse d’activité du fret les conducteurs de ce secteur reçoivent une nouvelle prime de... 3 euros par jour de travail.
Un salaire « au mérite »... et à la tête du client
Déjà dans le milieu des agents travaillant sur les voies, des chefs disposent depuis longtemps d’une enveloppe qu’ils répartissent « au mérite », avec des primes qui peuvent engendrer des différences de salaire de 150 à 250 euros par mois.
En 2003 la direction a introduit la GEXCI ou gratification exceptionnelle de contribution individuelle. Il existait déjà l’avancement (en qualification, position ou niveau) qui se fait moitié à l’ancienneté, moitié « au choix », c’est-à-dire arbitrairement selon l’appréciation des chefs. Mais avec la GEXCI, la direction en rajoute dans le système « tête du client ». Chaque chef s’est vu attribué une somme globale dans laquelle il a pu piocher, à charge pour lui de se faire bien voir ! Si elle avait été distribuée égalitairement, chaque cheminot aurait reçu 64 euros. La belle affaire ! De fait, certains n’ont rien eu et d’autres ont récupéré de 75 € à 300 €.
Le règne de l’ « individualisation »
La direction de la SNCF est donc très « tendance » en matière de salaires. Quasiment pas d’augmentations générales mais renforcement de l’individualisation, par l’introduction de « gratifications » ! Bien des primes présentent l’avantage pour le patron non seulement d’être épisodiques voire aléatoires, mais de ne pas compter pour les cotisations sociales. Autant de moins à payer, autant de moins dans les caisses de Sécu, chômage et retraite ! Avec par-dessus le marché, la tentative d’enfoncer un coin entre les « méritants » et les autres ! Vieille ficelle du diviser pour mieux régner.
Personne n’est vraiment dupe. Les primes, liées à tel aspect des tâches ou prétendues « au mérite », précarisent et fragilisent encore le salaire. Face à un grand patronat qui brasse des profits colossaux, c’est l’augmentation générale substantielle des salaires qui est indispensable et devra (avec l’emploi, la Sécu et les retraites) être mise à l’ordre du jour de la riposte générale qui s’impose.
Pierre VOIRON