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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 63, mai-juin 2009

Projet de réforme de la justice pénale des mineurs : Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! [1]

Le rapport Varinard, demandé par la ministre de la Justice, Rachida Dati, en vue de réformer l’ordonnance du 2 février 1945, qui reste le texte de référence pour la justice pénale des mineurs, proposait d’abaisser l’âge de responsabilité pénale de 13 à 12 ans, ce qui aurait permis d’envoyer les mineurs en prison dès cet âge pour motifs criminels.

Devant le tollé soulevé dans les milieux professionnels (éducateurs et magistrats), ainsi que scientifiques et politiques, Rachida Dati maintient l’âge de 13 ans… mais persiste et signe que la mesure relevait du « bon sens » ! Et rien ne garantit qu’à la présentation en juin prochain devant le Parlement d’un Code de justice pénale, le gouvernement n’aggrave ses propositions. Un volet éducatif demeure dans le texte concernant la justice des mineurs, mais celui-ci indique clairement la volonté de Sarkozy de laisser une place beaucoup plus importante aux mesures de répression et d‘enfermement, confirmant ainsi la régression observée ces dernières années.

L’ordonnance de 1945, certes pas une panacée…

La loi du 22 juillet 1912 stipulait que les mineurs de moins de 13 ans bénéficiaient d’une présomption formelle d’irresponsabilité et ne pouvaient faire l’objet que de mesures éducatives. L’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, prise sous la présidence de Gaulle, pose les fondements d’un traitement pénal spécifique pour les mineurs délinquants, crée les tribunaux pour enfants, le juge des enfants et « l’Education surveillée » , service éducatif spécialisé, alors qu’auparavant les mineurs étaient pris en charge par l’Administration pénitentiaire. Cette ordonnance n’a rien d’un rempart contre la répression des jeunes, mais force est de reconnaître qu’elle affirmait le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif en matière de justice des mineurs. Les enfants de moins de 13 ans ne pouvaient jamais faire l’objet d’une condamnation assortie d’une peine ; et n’étaient justiciables que de mesures éducatives ou protectrices. Pour les mineurs de 13 à 18 ans, elle pose le principe d’une atténuation de la responsabilité, les peines prononcées devant être divisées par deux, et le mineur devant pouvoir bénéficier d’une aide éducative dans le but de traiter les difficultés qui ont conduit à son passage à l’acte.

En réalité, l’ordonnance de 1945 n’est pas tombée du ciel, elle est le produit d’une multiplication des révoltes dans les bagnes pour enfants entre 1925 et 1939, dont celle du centre de Belle-Île en Mer le 27 août 1934 (rendue célèbre notamment par un poème de Prévert). Ces révoltes entraînèrent une campagne de dénonciation des bagnes pour enfants entre 1936 et 1938 et firent naître les revendications des mouvements d’éducation populaire, issus du Front Populaire.

Le primat du répressif sous Perben et Dati

L’ordonnance du 2 février 1945, maintes fois modifiée, a connu, avec les lois Perben I (9 septembre 2002, Dominique Perben était alors Garde des Sceaux sous le gouvernement Raffarin), puis Perben II, et avec la loi de prévention de la délinquance (du 5 mars 2005), une évolution qui a abouti à la création des EPM (Etablissements pénitentiaires pour mineurs), lieux de détention réservés aux jeunes de 13 à 18 ans, et les CEF (Centres éducatifs fermés) pour mineurs délinquants et multirécidivistes de 13 à 18 ans. Enfin, la loi du 10 août 2007 crée des peines plancher pour les récidivistes et écarte de plein droit l’excuse de « minorité » (en âge) pour les multirécidivistes violents de plus de 16 ans. La juridiction peut écarter l’excuse de minorité dès la première récidive. Alors que l’ordonnance du 2 février 1945 posait un principe général d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs de plus de 13 ans, la nouvelle loi élargit les possibilités d’y déroger afin d’aligner le régime des mineurs récidivistes sur celui des adultes.

Chômage et misère alimentent la violence

La délinquance des moins de 13 ans ne représentait que 0,3 % des condamnés en 2006 et les crimes de sang commis par des mineurs de 12 ans peuvent se compter sur les doigts des deux mains sur les 20 dernières années ; mais le pouvoir monte en épingle le moindre fait divers pour justifier la répression. Enfermer, réprimer, contrôler, voilà ce à quoi il emploie tous ses efforts.

La délinquance des jeunes a certes de nombreuses origines : les professionnels la disent issue de parcours familiaux marqués par toutes sortes d’« accidents de la vie ». Mais ces « accidents » prennent une toute autre signification quand ils se produisent sur fond de chômage massif, de précarité, et de manque de perspectives. Des familles sont tout simplement brisées et paupérisées par le chômage : dans une cité comme le Clos Saint-Lazare à Stains dans le 93, celui-ci atteint 40 % de la population, rien d’étonnant à ce qu’elle soit l’une de celle qui mobilise le plus les services de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) qui prend en charge les mineurs délinquants. Vivre son adolescence dans un milieu familial marqué par la précarité, les bas salaires, le chômage, est la voie royale qui mène un jeune à la délinquance. Par le chômage, qui frappe en majorité le milieu immigré, les adultes sont d’autant plus fragilisés aux yeux de leurs propres enfants. Ceux-ci grandissent ainsi dans un univers de violence directement produit par la misère et la pauvreté.

Encore et toujours des Hauts Murs ?

En bon serviteur des riches, l’État préfère consacrer ses fonds à des centres d’enfermement qui se multiplient, et à des mesures répressives. Résultat : moins de crédits pour les foyers éducatifs que l’on ferme, moins de postes d’éducateurs, de psychologues, d’assistants sociaux et de personnels administratifs que l’on supprime, moins de moyens pour le suivi des mineurs dans leur famille. La crise actuelle aggrave encore la situation. Aujourd’hui, un éducateur a en charge pas moins de 25 jeunes en moyenne : les nouvelles réductions de moyens, avec leur cortège de suppressions de postes, feront que des jeunes seront tout simplement laissés sur le carreau, faute de personnel pour s’en occuper. Dans un département comme le 93, creuset des émeutes urbaines de 2005, les quelques maigres moyens supplémentaires accordés dans un but de prétendue « cohésion sociale », viennent d’être supprimés. Ajoutons à tout cela la suppression de 13 500 postes d’enseignants prévue pour l’année 2009.

L’ordonnance de 1945 n’a rien d’une panacée, mais en l’attaquant, le gouvernement montre clairement sa volonté de privilégier le répressif sur l’éducatif, au point que certains éducateurs, plaignant leurs jeunes collègues, se disent soulagés de partir à la retraite plutôt que d’être obligés au mieux d’organiser la pénurie, au pire d’être les agents d’une véritable « chasse à l’enfant ».

Charles BOSCO et Léo BASERLI


[1« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l’île on voit des oiseaux

Tout autour de l’île il y a de l’eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu’est-ce que c’est que ces hurlements

C’est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l’enfant… »

Ces vers sont le début d’un poème de Jacques Prévert (publié dans « Paroles », recueil enrichi au fil des années 1946 à 1949).

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