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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 6, novembre-décembre 1999

Pour interdire les licenciements, pas de voie légale, seule la lutte peut y parvenir !

Mis en ligne le 1er décembre 1999 Convergences Politique

La manifestation du 16 octobre a été l’occasion pour les travailleurs et les chômeurs d’exprimer leur refus des licenciements. Mais, évidemment, la solidarité avec les Michelin ou les Epeda, indispensable, n’est pas à elle seule efficace contre les suppressions d’emploi ni même pour laisser espérer qu’il est possible de les empêcher.

Trop souvent, les licenciables se battent seuls et ont bien du mal à modifier les choix patronaux. La victoire des grévistes d’Elf à Pau qui, après plusieurs mois de lutte déterminée, ont obtenu le retrait du plan de fermeture est bien isolée. Ils ont su et pu utiliser la fragilité de Jaffré dans les projets de fusion Elf-Total pour le faire reculer. Le plus souvent la lutte s’engage dans un secteur peu vital pour l’entreprise, à un moment que le patron a prévu : il a fait des stocks et planifié de se passer du secteur supprimé. Même avec un soutien moral et parfois militant des travailleurs alentour, les licenciables n’arrivent, après plusieurs mois de lutte, qu’à limiter le nombre de licenciements, à rendre moins dramatique immédiatement la situation des licenciés, et parfois à faire hésiter le patron à réengager une telle confrontation.

L’idée qu’on pourrait interdire les licenciements laisse donc les travailleurs, même directement concernés, bien sceptiques. Bien sûr, ils approuvent généralement les mots d’ordre avancés par les révolutionnaires comme « l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits sous peine de réquisition ». Mais ils les prennent, il faut bien le dire, plus comme une position généreuse mais utopique qu’un objectif pour leur combat.

Il n’y a pas de solutions légales !

D’abord ils n’ont aucun espoir dans les mesures légales pouvant imposer cette interdiction. Et ils ont raison.

En 1975, l’Etat a fait semblant d’être un frein en instaurant l’autorisation administrative de licenciement. L’inspection du travail devait contrôler « la réalité du motif économique invoqué » et les « modalités d’accompagnement ». Les inspecteurs du travail, même pour ceux assez rares qui se situent clairement dans le camp des travailleurs, ne contrôlaient pas la justification économique : ils devaient vérifier qu’il existait bien une restructuration ou une difficulté financière. Il ne leur restait qu’une intervention sur le plan social. Ils évitaient dans ce cadre quelques licenciements particulièrement grossiers, ou de salariés en situation difficile, le tout ne dépassant pas 10 à 15% des demandes. Les employeurs qui avaient compris le système majoraient la demande initiale pour avoir ce qu’ils désiraient. La décision prise, les voies de recours étaient limitées et quasiment pas utilisées.

La suppression de cette autorisation par la droite en 1986 n’a pas changé le rythme et l’ampleur des licenciements. S’est développée l’action devant les tribunaux qui permet de retarder les procédures des plans de licenciements, de prolonger la lutte, de coûter cher au patron, mais n’empêche pas les licenciements eux-mêmes qui ne peuvent être contestés qu’une fois qu’ils sont prononcés. Si un tel jugement permet de régler le cas de quelques dizaines de salariés des mois après, la procédure ne permet pas de faire échec aux projets patronaux avant les licenciements.

Les travailleurs de Michelin-Wolber l’ont bien compris. Ils proposent un amendement permettant d’engager ces procédures contre la validité de la procédure avant l’envoi des lettres de licenciement. Cela pourrait autoriser des tribunaux dans quelques rares cas à empêcher quelques suppressions d’emploi. Ni le gouvernement, ni les députés de la gauche plurielle ne se sont engagés sur ce terrain.

En conclusion, si la loi augmente parfois le coût du licenciement, elle respecte toujours scrupuleusement la liberté patronale de décision : ce n’est pas de ce côté que les travailleurs peuvent trouver le moyen d’interdire les suppressions d’emploi.

Contester la légitimité capitaliste !

D’autre part et surtout les licenciements apparaissent imposés par les nécessités de la gestion de l’entreprise, inévitables souvent pour en conserver quelque chose. Or si les travailleurs sont convaincus, assez largement, des problèmes causés par la gestion capitaliste, pour autant ils ne sont pas spontanément prêts dans le cadre de la société actuelle à s’emparer des questions essentielles de gestion, même pas à y mettre le nez.

Pourtant dans un conflit, des avancées inimaginables dans le cadre de l’exploitation quotidienne, deviennent possibles. C’est pour cela que c’est parfois l’occasion d’entrer dans le domaine habituellement réservé aux patrons, de montrer en quoi les travailleurs organisés démocratiquement sont capables, même à la petite échelle de l’entreprise, de contester voire de se passer des décideurs capitalistes, de comprendre et de mettre en évidence les ressorts de l’accumulation des richesses, voire ponctuellement de faire fonctionner l’entreprise. Le moindre pas dans ce sens vaut certainement mieux que tous les discours, tracts ou slogans révolutionnaires, et ce doit être la préoccupation constante des révolutionnaires justement de le faire faire quand l’occasion se présente.

Ouvrir les livres de comptes !

Ainsi les patrons nous mentent, cachent ce qu’ils font des richesses crées par le travail ouvrier. On peut alors saisir l’occasion d’aller plus loin que la dénonciation habituelle !

Dans les licenciements collectifs, il y a dans un premier temps une expertise comptable qui ne met en évidence que ce que les comptes peuvent montrer. L’établissement qui produit vend à perte à un autre qui commercialise, perd-il de l’argent ou n’en gagne-t-il pas beaucoup ? En réalité, le bénéfice global n’est-il pas réalisé par celui qui vend ? Les comptes mettent en évidence des frais financiers importants, c’est-à-dire des frais d’emprunts dus aux banques. D’où viennent-ils, de quels investissements, payés par qui, dans quelles conditions ?

La réponse à toutes ces questions est dans les ordinateurs du siège social, bien sûr. Une collaboration des travailleurs en lutte avec ceux qui connaissent la manière de recueillir des informations, de les rendre compréhensibles peut permettre de rendre public ce qui se passe, de mettre en évidence les colossaux bénéfices. Mais elle se trouve aussi dans les multiples dossiers partiels de l’établissement, dans la somme des informations que possèdent les travailleurs qui, additionnées, expliquent beaucoup de choses. Alors l’ouverture des dossiers et des livres de comptes peut devenir réalité !

Réquisitionner les entreprises qui font des bénéfices !

Rien ne justifie que des salariés continuent à travailler 39 ou 35 heures à des cadences insupportables quand leurs camarades sont mis à la porte. Alors l’idée qu’il faudrait obliger les patrons à répartir le travail entre tous peut devenir parlante. Leurs profits vont diminuer ? Mais qu’est ce qui est le plus important, les profits patronaux ou l’arrêt des licenciements ?

Quand des travailleurs voient disparaître une production rentable ou surtout utile par choix stratégique, ils sont révoltés de voir les patrons faire ce qu’ils veulent de leur vie, avec comme seul critère l’augmentation de bénéfices déjà juteux. En démontrant aux yeux des salariés de l’entreprise concernée et au-delà de l’entreprise que les licenciements ne servent qu’à augmenter les profits patronaux, en arrivant à ce que les salariés eux-mêmes se mobilisent pour contester le droit patronal à licencier, l’objectif de la réquisition, c’est-à-dire enlever au capitaliste un outil qu’il utilise contre nous, peut devenir concret.

L’objectif d’un mouvement d’ensemble

En fait c’est l’entrée en lutte qui modifie tout : la vision qu’ont les travailleurs des rapports de force, le sentiment de ce qui est possible ou impossible. La force, née de la révolte, à l’annonce d’un plan de licenciement par exemple, qui unifie tous ceux qui sont concernés, bien au-delà des salariés actifs habituellement, peut permettre des mobilisations et des initiatives audacieuses, de contester la légitimité des décisions des patrons et des actionnaires à une échelle bien plus large que dans des circonstances habituelles. Elle peut permettre surtout au noyau le plus actif, le plus combatif et le plus conscient d’agir en posant les problèmes généraux et leq responsabilités politiques, tout en restant unifié avec la totalité de ceux qui veulent lutter contre les licenciements.

Car c’est là le fond du problème. Les travailleurs le sentent bien : interdire les licenciements exigerait une formidable pression sur les patrons, le gouvernement, toutes les autorités. C’est un mouvement d’ensemble qui pourrait seul l’imposer. Comme toutes les autres mesures qui sont indispensables pour changer la situation de la classe ouvrière, comme les autres volets du plan d’urgence avancé par les révolutionnaires. En revanche si les salariés d’une entreprise ou d’un secteur osaient se donner un tel but, ce serait un atout pour rallier autour d’eux les milliers, centaines de milliers, millions même d’autres salariés, soit directement menacés eux-mêmes, soit touchés d’une façon ou d’une autre par la menace du chômage.

Charles PAZ

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