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Petits coups fourrés et grandes manoeuvres autour des retraites

14 janvier 2000

Depuis quelques jours, la presse se fait l’écho d’un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (l’IGAS) sur les bizarreries de gestion d’une caisse de retraite complémentaire, la Caisse de retraite Interentreprises (CRI), tenue paritairement par le MEDEF et des syndicats.

Autour de cette caisse, qui gère environ 30 milliards de francs, le dialogue social est une grande réussite ! Les représentants du MEDEF et des 5 confédérations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC) se sont entendus pour améliorer quelque peu leur train de vie et se financer, sur le dos des assurés sociaux. Le rapport dénonce des rémunérations anormales, des notes de frais somptueuses et suspectes, et des destructions d’archives. Un « système de financement direct et indirect » a aussi été mis en place en faveur des syndicats (la caisse leur aurait par exemple payé des permanents), pour un montant total de 34 millions de francs, en 4 ans, de 95 à 99.

Peut-être des emplois fictifs donc, mais cette fois au profit d’appareils syndicaux et sur le dos des assurés sociaux. Et tout cela dans l’entente et la compréhension mutuelle ! La lutte des classes à la CRI, c’est vraiment dépassé !

Il faut cependant replacer l’affaire dans ses justes proportions... Après tout, ce genre de procédés n’est pas nouveau. On peut bien sûr retenir dans ce rapport, pour l’anecdote, que Georges Marchais et Georges Séguy, ont en leur temps bénéficié d’un petit revenu de 2 000 F par mois, payé par une caisse de retraite de concierges ! Mais il ne s’agit-là que de miettes. Le président de la CRI, représentant du MEDEF, grand ami de la race chevaline, s’est pour sa part offert des chevaux de course, sous couvert de relations publiques et aux frais de la caisse... Syndicalistes et patrons peuvent bien sûr se partager un fromage. Mais il y a tout de même encore des seigneurs et des valets.

En réalité, ce petit scandale éclaire surtout la face cachée de tout un système qui, lui, n’indigne ni la justice, ni les journalistes, ni quelque gouvernement que ce soit : les rapports institutionnalisés entre les syndicats et les patrons, l’intégration des bureaucraties syndicales dans l’Etat. Syndicats, patrons et gouvernements ont la possibilité de collaborer, de s’entendre dans toutes sortes d’institutions. Ça commence dans les comités d’entreprises et ça finit au Conseil économique et Social ou dans les commissions ministérielles. Et pour associer les syndicats, il faut bien leur donner des « responsabilités » et leur donner aussi accès à quelques fromages, pour les « aider » à financer des activités ou des permanents. Le « dialogue social » passe aussi par ces échanges de bons procédés, légaux ou illégaux, ouverts ou opaques. Pour ne prendre qu’un exemple entre mille, dans l’agro-alimentaire, les stages de formation syndicale sont en quasi-totalité aujourd’hui financés par les plus grands trusts de la branche, Danone en tête. En toute indépendance... En fait le fonctionnement des appareils syndicaux dépend de plus en plus de ces moyens extérieurs et ils sont de moins en moins sous le contrôle d’une base militante de cotisants.

A la publication du rapport de l’IGAS, les différents syndicats n’ont d’ailleurs pas spécialement nié les faits. Mais ils ont souligné, que cela posait justement le problème... du financement des syndicats. A l’exemple du président de la CGC, Cazettes, qui en a conclu : « Tant qu’on ne se décidera pas à mettre noir sur blanc le dossier du financement des syndicats, on aura les mêmes emmerdements que les partis politiques. Aujourd’hui, tout le monde bricole ».

L’essentiel, du point de vue des travailleurs, ce ne sont pas ces financements illégaux, mais ce qui les rend possibles : la collaboration de classe entre les bureaucraties syndicales, se posant en représentants patentés des travailleurs, et le patronat. Le pire, ce ne sont pas les financements occultes, mais les calculs et les ententes, occultes ou même ouverts, qu’ils peuvent passer sur le dos des travailleurs, par exemple pour imposer la flexibilité, réformer les retraites ou cautionner l’austérité dans des services publics.

Ce rapport, qui avait été commandé par Martine Aubry, ne révèle guère en ce qui concerne les syndicats que des secrets de polichinelle. Mais ces « révélations » doivent bien faire plaisir à quelques-uns...

Blondel de FO y a vu un « mauvais coup » contre les syndicats et le paritarisme. Il est vrai qu’au moment où le MEDEF conteste le rôle du gouvernement, dans les relations sociales et lui oppose le dialogue direct avec les syndicats, les révélations du rapport de l’IGAS sont un pavé dans la mare. C’est la revue Marianne puis le journal Le Monde, des organes favorables - pour le moins, dirons-nous - au gouvernement, qui ont divulgué l’information, et à un moment choisi. Car, si on en croit les syndicats, il ne s’agissait encore que d’un rapport préparatoire et pas de sa version définitive, confidentiel, basé sur une enquête effectuée entre février et mai 1999. Le coup de pied de l’âne de Jospin alors ?

Toujours est-il que l’information tombe à point nommé pour le gouvernement. Il a le dossier des retraites au menu des prochains jours. Jospin doit annoncer les grandes orientations de sa réforme en début février et consulte MEDEF et syndicats. Même si on ignore encore la combinaison des ingrédients - relèvement du niveau des cotisations, baisse du niveau de prestations, allongement de la durée des cotisations - Jospin va sans doute tenter de faire d’une pierre deux coups : économiser des sous sur le dos des travailleurs et des retraités, et lancer les fonds de pension français.

Au milieu de ces grandes manoeuvres, l’affaire de la CRI peut servir à montrer à l’opinion que les caisses de retraite sont mal gérées, et que leur réforme s’impose. Et au passage faire pression sur les syndicats récalcitrants.

Les petites affaires des bureaucraties syndicales avec leurs « partenaires » du MEDEF sont certes bien loin des intérêts des travailleurs. Mais la démagogie antisyndicale, dans la presse ou dans les coulisses gouvernementales, l’est par ailleurs tout autant. Ce qui est en revanche incontestable, c’est que les retraites, menacées par le gouvernement et le patronat, ne seront pas défendues par des tractations autour d’un tapis vert, mais par la lutte.

Pierre ROYAN

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