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DOSSIER : Salaires : la contre-offensive s’impose, 300 euros pour tous

Partie de poker menteur autour de la loi Galland

Mis en ligne le 18 janvier 2005 Convergences Politique

Le 17 juin dernier, Nicolas Sarkozy réunissait représentants de l’industrie et de la grande distribution, pour aboutir à un accord prévoyant la réduction de 2% des prix des produits de grande marque. Le 6 janvier 2005, une nouvelle confrontation des signataires de l’accord a débouché sur un échec.

En effet, depuis juillet 1996, les relations entre industriels et grande distribution sont encadrées par la « Loi Galland » : les hypermarchés ne peuvent écouler les produits à un prix inférieur à leur prix de revient. A l’époque, les députés prétendaient réagir à des annonces fracassantes de la grande distribution comme les « baguettes à 1 franc » qui inquiétaient le petit commerce. Mais la défense du boutiquier n’était comme toujours qu’un prétexte à sauvegarder les intérêts des trusts agroalimentaires.

Pour qui roule Sarkozy ?

Il est peu probable que Sarkozy, homme du patronat s’il en est -son propre frère est un ponte du Medef- aille à l’encontre des intérêts des poids lourds de l’industrie et de la distribution. Pourquoi alors prétend-il les obliger à réduire leurs prix ? Quel rôle joue Michel-Edouard Leclerc, qui milite lui aussi au nom de la baisse des prix, et soi-disant dans l’intérêt des consommateurs, en réclamant l’abolition de la loi Galland ?

Le marché des produits dits de « grande consommation » est dominé par une poignée de trusts, les Danone, Coca-cola, Nestlé, Unilever, Pernod-Ricard, Kraft Foods et autres Cadbury-Schweppes dont la stratégie repose sur la promotion de « grandes marques », lancées à coup de budgets publicitaires conséquents... et vendues avec des marges importantes.

Pour cela les grands industriels ont un besoin crucial de conserver la maîtrise du prix du produit en rayon. Car les grandes surfaces pourraient être tentées de vendre des produits de marque à prix cassés, de s’en servir comme « produits d’appel » en se rattrapant sur le reste. Mais si le yaourt Danone est bradé chez Carrefour, Danone aura du mal à le maintenir à prix élevé ailleurs.

En interdisant la « vente à perte », la loi Galland a rendu la maîtrise de leur politique de prix aux producteurs de grandes marques - regroupés au sein d’un lobby, l’ILEC, l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation. Pourtant les Carrefour, Auchan et autres Système U ont su trouver, sur le terrain de la loi Galland, un compromis avantageux, dont agriculteurs et PME sont seuls à faire les frais.

L’irrésistible ascension des hypers

Quand la grande distribution prit son essor, elle bénéficia d’attentions très favorables : la loi Royer de 1973, prolongée par la loi Raffarin de 1996, soumit l’ouverture des grandes surfaces à l’autorisation de commissions composées d’élus et de hauts fonctionnaires, toujours sous prétexte de défendre la boutique. Mais ces commissions ne firent que ralentir un peu le développement des grandes surfaces : de 1500 supermarchés au début des années 70, on est passé à 8400 trente ans plus tard. Elles furent en revanche efficaces pour protéger les groupes français de l’implantation de concurrents étrangers. D’autre part, l’interdiction de la publicité télévisée pour la grande distribution dispensa celle-ci de devoir gaspiller des milliards en spots télévisés - les industriels de l’agroalimentaire y sacrifient 10 à 15% de leur chiffre d’affaires.

Dans le cadre de la loi Galland, les chaînes d’hypermarchés développèrent une logique qui les éloigne des mécanismes du commerce traditionnel. Habituellement, un commerçant se rémunère en achetant des produits qu’il revend à un prix plus élevé, en leur ajoutant une « marge avant ». Les hypermarchés, à l’inverse, peuvent revendre les produits à prix coûtant. Ils gagnent de l’argent autrement.

D’une part, ils facturent à leurs fournisseurs de nombreux services, réels ou fictifs : être présent en rayon (le « référencement »), dans un catalogue, être en tête de gondole, etc. Ainsi le fournisseur rembourse une partie des sommes qu’il leur a facturé : c’est la fameuse « marge arrière », qui peut atteindre la moitié du prix du produit. L’hypermarché fonctionne alors comme un entrepôt où l’industriel paye pour exposer ses produits. D’autre part, les distributeurs imposent aux fournisseurs des délais de paiement de un à trois mois, disposant ainsi d’une abondante trésorerie qui leur permet de mener des opérations financières.

Dernière raison pour la grande distribution de s’accommoder de la loi Galland : grâce à Yves Galland, ancien cadre de la grande distribution, et qui en connaît donc un rayon, pour ainsi dire, elles sont dispensées de fomenter entre elles des ententes illégales sur les prix puisque c’est la loi qui fixe les planchers.

Quant aux poids lourds de l’industrie, ils ont pu s’accommoder des marges arrières en les répercutant en grande partie dans leurs factures. Car un géant de la distribution peut difficilement envisager de rompre les négociations avec Danone ou Coca-cola. Pour cela, les industriels ont d’ailleurs pris soin de faire abroger en 1996 le délit de refus de vente. Pernod Ricard est donc en mesure de menacer de priver une chaîne d’un de ses produits phares, Pastis 51, Chivas Regal ou Clan Campbell.

Un certain partage de la rente liée aux « grandes marques » s’est ainsi établi entre grands industriels et géants de la distribution, au détriment du consommateur. Pourquoi ce juteux système serait-il aujourd’hui remis en cause ?

Le gouvernement en arbitre

C’est que, ces dernière années, le « hard discount » (ED, Lidl, Aldi, Leader Price, Mutant, Netto) a attiré de plus en plus de clients en proposant des produits sans marque. Pour les chaînes d’hypermarché, ce n’est qu’une menace relative car elles ont pris le contrôle d’une bonne partie de ce réseau (Carrefour possède ED, Casino a Leader Price). Elles doivent néanmoins assigner des bornes au hard discount dont la rentabilité est plus faible. Mais ce sont surtout les trusts industriels détenteurs des grandes marques qui ont le plus à perdre.

Comment réduire les prix des produits de marque pour qu’ils demeurent compétitifs ? Les hypermarchés ne le peuvent pas, à cause de la loi Galland ; les industriels pourraient diminuer leur facture mais veulent la garantie que les prix en rayon suivent bien.

Industriels et distributeurs ont donc besoin d’un arbitre. C’est pourquoi Sarkozy tente d’organiser une baisse des tarifs négociée où les efforts des uns ne soient pas aussitôt absorbés par la rapacité des autres. Mais les industriels traînent les pieds, estimant que l’effort doit porter sur les marges arrière, et les patrons des hypermarchés jouent apparemment la carte d’un échec de l’accord pour obtenir une remise en cause de la loi Galland et une liberté accrue de fixation des prix.

Telle est probablement la prochaine échéance. Afin d’arracher une réécriture du texte favorable à ses intérêts, chaque lobby va mobiliser son personnel politique, souvent issu du sérail des directions d’entreprises (à commencer par Raffarin, ancien membre de la direction Maketing des cafés Jacques Vabre, une marque du géant Kraft Foods). La prochaine bataille pour le partage de la plus-value entre capitaliste rivaux se déroulera dans les travées du parlement. Rien à voir avec l’intérêt du consommateur.

Julien FORGEAT


Hypermarchés et PME, des rapports peu galants

La loi Galland n’a pas empêché que PME et agriculteurs deviennent les proies de la grande distribution. Pour eux, les marges arrière s’accroissent sans cesse sous les prétextes les plus futiles (contribution à des travaux de rénovation, opérations de promotion, etc.) et les exigences commerciales confinent au racket : palettes supplémentaires gratuites, fourniture de personnel pour la mise en rayon, et, pratique répandue, obligation de réserver des lieux de vacances pour les cadres des hypermarchés, au frais du fournisseur !

Pour mettre à genoux ses petits fournisseurs, la grande distribution aurait recours à des techniques... artisanales : on fait patienter les commerciaux dans des locaux surchauffés, en les empêchant de boire, de fumer et en retirant jusqu’au papier des toilettes. On les assoit sur des chaises aux pieds avant raccourcis, on alterne ton chaleureux et atmosphère tendue, etc. Au moment de la livraison, des palettes sont renvoyées, des pénalités infligées...

Ou encore : une grosse commande de produits sous une « marque de distributeur » est passée à une petite entreprise. La PME investit, mais par la suite le contrat est remis en cause ou les marges arrières s’accroissent.

Il ne manque pas d’hommes politiques pour déplorer que les PME françaises soient étouffées sous le poids des « charges » sociales. Il est plus rare d’entendre dénoncer le rôle des grandes surfaces.

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