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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 3, mai-juin 1999

Parlement européen : le pouvoir reste ailleurs

Mis en ligne le 1er juin 1999 Convergences Monde

Le 13 juin vont être élus 626 députés pour le Parlement européen. Dans la campagne électorale, certains font croire que ces députés iraient diriger, décider du cours des choses pour les 15 pays de l’Union européenne. Plus sérieusement, chacun sait bien que cette Assemblée n’a qu’un pouvoir de pacotille.

Beaucoup de partis politiques, à commencer par Le PCF ou les Verts, se plaignent du « déficit démocratique » de l’Europe et demandent plus de pouvoir pour ce Parlement. Cela ne changerait pas sa nature : le système parlementaire démocratique bourgeois n’est pas conçu pour permettre à la population l’exercice démocratique de la gestion de la société, quelles que soient les prérogatives qui lui sont données. Dans le cas du parlement européen les apparences ne sont même pas sauves.

Il n’est toutefois pas inutile de comprendre un peu ce qu’il en est. Pour cela il faut revenir sur la façon dont cette Union européenne s’est construite et sur les objectifs que se sont fixés les hommes politiques qui ont dirigé le processus.

40 ans d’Europe au service du capitalisme

Les plus anciens se souviennent du Marché Commun, cette petite Europe qui rassemblait la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie et le Benelux (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas). Cette Europe des années 60 avait comme but essentiel de supprimer les barrières douanières entre ses membres, et correspondait à une volonté affichée depuis 45 de redresser économiquement une Europe de l’Ouest face aux pays de l’Est. L’aide américaine à la reconstruction (Plan Marshall) avait été conditionnée par la mise sur pied d’une telle coopération économique. A l’époque, les USA voyaient d’un œil favorable ce processus qui stimulait les échanges, donc les débouchés pour l’économie américaine. Parallèlement ils mirent sur pied l’OTAN, structure militaire de défense européenne sous commandement américain.

Beaucoup de patrons, notamment en France, n’étaient pas forcément favorables à l’Europe dans laquelle ils voyaient le danger d’être submergés, notamment par les importations allemandes. Ce n’est qu’à partir de 1970 que se produit une accélération et un ralliement de l’essentiel du patronat européen à une libéralisation totale des échanges. En 25 ans, l’Europe s’est élargie de 6 Etats membres à 15, notamment par l’arrivée des pays qui autour de la Grande Bretagne constituaient un marché alternatif à la CEE des 6 (L’AELE/Association européenne de libre échange). C’est à cette époque que commença, avec bien des avatars, le processus d’union monétaire duquel les plus grands capitalistes européens tirèrent un profit important. Le commerce entre pays européens connut un bond en avant pour arriver à la situation actuelle où les pays de l’UE réalisent l’essentiel de leurs échanges économiques au sein de cette zone.

Dans la période de récession économique des années 70 et 80, gouvernements et patronat décidèrent de pousser plus loin qu’un simple marché commun, pour arriver à une liberté totale de circulation des capitaux, des biens et des services, supprimant tous les règlements, taxes que chaque pays appliquait auparavant. C’était aussi l’occasion de remettre en cause tous les services publics, nés souvent après 45 qui fermaient des secteurs importants à l’appétit des capitalistes. Evidemment ces attaques auraient eu lieu sans l’existence de l’Union européenne, preuve en est que la pionnière fut en ce domaine la Grande-Bretagne sans attendre les fameuses « directives de Bruxelles ». Mais l’U.E. donna un cadre réglementaire et général à ce processus.

De même, l’avancée vers l’Europe monétaire, la monnaie unique, avec les critères de convergence budgétaire servirent de prétexte à l’accélération des attaques contre la protection sociale et les retraites. En fait les patrons et les gouvernements européens cherchaient moins à construire un nouvel Etat européen que de se donner les moyens d’utiliser au maximum le marché européen pour faire leurs affaires et affaiblir les protections des salariés.

D’ailleurs jusque dans les années 80, il n’y avait pas réellement d’Europe politique. C’était essentiellement les Etats européens qui négociaient et décidaient entre eux de l’avancée du processus. Le but n’était même pas de planifier ensemble leurs politiques économiques. Les seuls domaines où se réalisa réellement une coopération économique furent le fameux pacte Charbon-acier et la politique agricole commune. Le but essentiel des dernières années fut surtout une attaque coordonnée contre les monopoles et entreprises publiques au sein de chaque Etat.

Vers une union européenne démocratique ?

Tout cela explique la nature particulière des institutions européennes mises sur pied : essentiellement des instances de coordination et de décisions communes entre Etat européens pour les réglementations économiques et financières.

Les deux instances qui ont le plus de pouvoir sont :

– le Conseil des Ministres européens, dans lequel chaque gouvernement délègue un de ses membres. Les décisions s’y prennent au consensus. Elles se traduisent par un grand nombre de lois et de réglementations communes. C’est de ce Conseil qu’elles sont réellement sorties et non pas d’une soi-disant bureaucratie technocratique. Mais évidemment, il est plus facile, pour un gouvernement, de dire qu’il est « obligé par Bruxelles » de prendre une décision impopulaire.

– la Commission, qui est aussi chargée de tous les maux, émane en fait directement des gouvernements qui y délèguent chacun 1 ou 2 membres. Si c’est d’elle que sortent beaucoup de textes et de propositions, c’est toujours le Conseil qui décide.

Au total, le pouvoir dans l’Union européenne reste bien aux mains des Etats, même si l’intégration politique européenne a fait un pas supplémentaire avec l’introduction de l’Euro et de la Banque Centrale Européenne.

Beaucoup d’hommes politiques européens veulent aller plus loin, vers ce qu’ils appellent une Europe fédérale qui deviendrait un Etat comparable aux Etats-Unis d’Amérique.

Beaucoup d’obstacles se dressent sur ce chemin. Les Etats nationaux servent aujourd’hui du point de vue de la classe dominante à organiser l’exploitation en essayant de gérer des fonctions sociales comme la police, l’Education, l’armée, la justice. Ils constituent des machines complexes indispensables au patronat, surtout en période d’attaques généralisées contre les travailleurs. C’est pour cela que, jusqu’à aujourd’hui, l’Union européenne reste essentiellement une union marchande gérant les échanges et aussi les conflits d’intérêts entre capitalistes et Etats dans ce domaine. Cela explique le pouvoir très réduit du Parlement européen qui est tout juste consulté par le Conseil sur les lois et pour l’adoption du budget.

Certains hommes politiques échafaudent aujourd’hui des plans de réformes pour les institutions européennes afin de les rendre démocratiques : plus de pouvoir au parlement, moins au conseil et à la commission. Ils considèrent le plus souvent que les Etats nationaux auraient, eux, un système démocratique et qu’il faudrait étendre ces règles de fonctionnement à l’Europe. C’est oublier que dans les Etats nationaux eux-mêmes, le pouvoir n’a rien de démocratique. Ainsi, en France, beaucoup ont pu penser voter pour un changement de politique en votant pour la gauche. Pourtant, le pouvoir réel reste entre les mains des patrons, et dès lors, les orientations fondamentales restent les mêmes, sous un gouvernement de gauche, comme sous un gouvernement de droite. D’ailleurs, aujourd’hui la majorité en Europe, au Parlement, comme au Conseil ou à la commission, est entre les mains de partis de gauche. Cela empêche-t-il que les décisions prises soient toutes des attaques contre les travailleurs ?

Pour aller vers « plus de démocratie » le chemin passera d’abord par la capacité des salariés, des chômeurs, de tous ceux et toutes celles qui subissent l’exploitation de remettre en cause le pouvoir patronal, dans chaque pays, et à l’échelle européenne. De ce point de vue, la construction de l’Europe des patrons fait mieux ressortir que tous les travailleurs des pays européens ont les mêmes intérêts et doivent mettre en commun leurs forces face aux attaques capitalistes. Pendant des décennies, et encore aujourd’hui, les patrons ont voulu utiliser la concurrence entre travailleurs européens, le chauvinisme jusque sur les champs de bataille.

Aujourd’hui devant nous se présente la nécessité de lutter ensemble pour des salaires décents, pour la réduction du temps de travail sans flexibilité ni annualisation et sans perte de salaire, pour le plein emploi, sans craindre la « concurrence » des pays voisins. Alors que tous les réformistes se rallient, plus ou moins honteusement, au cadre de l’Europe capitaliste, les révolutionnaires et tous ceux qui luttent contre le système capitaliste ont la responsabilité de construire ce combat, sans tomber dans le nouveau piège qui serait d’opposer les travailleurs de l’Union européenne à ceux de l’Europe de l’Est où du sud de la Méditerranée...

Laurent CARASSO

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