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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 40, juillet-août 2005 > DOSSIER : Main basse sur l’argent public

DOSSIER : Main basse sur l’argent public

Pantouflage : le sommet d’une carrière

Mis en ligne le 4 juillet 2005 Convergences Société

La moitié des grands patrons français sont des « pantoufleurs » [1], c’est-à-dire d’anciens hauts fonctionnaires qui ont préféré poursuivre leur carrière dans le privé après l’avoir entamée dans l’administration publique. Pour les hauts fonctionnaires à la recherche d’un meilleur salaire, le pantouflage est l’occasion d’une seconde carrière, lorsqu’ils ont atteint les sommets de l’administration. Mais aussi une porte de sortie pour ceux dont la carrière se bouche après les alternances électorales. Lorsqu’il était patron de la Générale des eaux, Jean-Marie Messier avait déclaré : « J’utilise l’alternance pour recruter les meilleurs au moment où ils sont disponibles. J’ai pris des gens de gauche quand la droite était au pouvoir, et inversement. » [2]

Des échanges de bons procédés

Le pantouflage est souvent une récompense pour des services rendus à un politicien qui a le bras long. Ainsi, Louis Schweitzer est devenu PDG de Renault après avoir été inspecteur des finances puis directeur de cabinet de Fabius. Évidemment, si les patrons acceptent de recueillir des protégés du monde politicien, ce n’est pas sans attendre une compensation sous forme d’exonérations de charges ou de contrats publics.

Parfois, l’entreprise récompense même directement les hauts fonctionnaires qui lui ont arrangé des contrats ou subventions. Ainsi, Patrice Durand, qui supervisait au Trésor les subventions à Air France, est ensuite devenu directeur financier à... Air France.

Revendre son expérience et son carnet d’adresse

Le tremplin rêvé pour se recaser dans le privé : les Finances. Toutes les portes s’ouvrent à ceux qui tiennent les cordons de la bourse ! Un directeur du Service de la législation fiscale, Michel Taly, est ainsi devenu directeur fiscal au Crédit Lyonnais. Connaissant les ficelles de la maison, les inspecteurs des finances savent aussi mieux déjouer les contrôles. Et puis, en cas de besoin, un courrier aux anciens collègues résout certains problèmes... Car, les patrons visent aussi le carnet d’adresse de leurs nouvelles recrues. Ainsi, le patron de la compagnie d’assurance Axa soigne ses relations en recrutant les principaux cadres de son groupe au ministère de l’Économie, de préférence parmi les huiles de la sous direction des assurances, c’est-à-dire ceux qui étaient chargés de le contrôler.

Acheter ceux qui les contrôlent, c’est presque un réflexe patronal Entre autres, les grandes entreprises aiment intégrer un ancien juge dans leur direction. « Les entreprises ont peur de commettre des infractions par inadvertance » affirme un ancien du parquet financier passé au service du marchand d’armes Thalès. Le milieu des affaires frôle si souvent l’illégalité, qu’il lui faut des experts pour se prémunir... ou se couvrir. En cas de doute, l’ancien magistrat peut toujours demander à ses ex-collègues de jeter un œil sur le dossier judiciaire de son employeur. Car les patrons ne choisissent pas n’importe quel expert. Valéry Turcey, le président de l’Union syndicale des magistrats, avouait : « Les sergents recruteurs des grandes entreprises prennent quasi exclusivement des magistrats financiers parisiens, ceux qui justement étaient chargés de les contrôler. Cela pose parfois des questions quasi insolubles de conflits d’intérêt. »3

Entre échanges de bons procédés, corruption et réseaux d’influence, les patrons se tissent des toiles pour mieux capter l’argent public sous forme d’exonérations, de subventions, d’arnaques à l’impôt, de contrats à prix préférentiels accordés par les hauts fonctionnaires... Quand le contribuable est roulé, c’est avec la collaboration de tout le haut appareil d’État.

Une législation toujours plus indulgente

Afin de réguler un minimum les arrangements entre hauts fonctionnaires et patrons, une loi est censée encadrer le pantouflage. Ainsi, selon la loi, un fonctionnaire ayant eu à contrôler ou à surveiller une entreprise privée ou à conclure des contrats avec celle-ci ou encore à exprimer un avis sur les opérations qu’elle effectue, ne peut pas travailler pour elle pendant les cinq années qui suivent la cessation de ses fonctions.

Cette loi de 1919 a été revue par Balladur en 1992. Une commission de déontologie a alors été créée pour donner un avis de conformité à la loi sur chaque cas de pantouflage. Evidemment, très peu de cas reçoivent un avis défavorable de cette commission et les moyens de contrôle a posteriori sont quasiment inexistants. Pourtant, le gouvernement projette d’alléger encore cette loi pour éviter les mises en cause pénales des pantoufleurs. Le délai de « purgatoire » serait notamment raccourci de cinq à deux ans.

Un courant à double sens

Si le passage de l’administration vers le privé, plus gratifiant pour les cadres, est courant, l’inverse existe aussi. Sans parler de Thierry Breton ou Francis Mer qui siègent ou ont siégé au gouvernement, la haute administration compte plusieurs anciens dirigeants du privé. Par exemple, au moment de quitter son poste de PDG de Renault, Louis Schweitzer a été nommé président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. L’État ne laisse pas les siens sans emploi !

Récemment, François Lureau a été choisi par le gouvernement pour être responsable de la Délégation générale de l’armement (DGA), chargée des achats d’armes de la France, où il avait justement commencé sa carrière... qu’il a continué entre temps dans la production d’armes et de matériel militaire chez Thomson-CSF Airsys puis en tant que numéro deux du groupe d’électronique Thalès.

Hauts fonctionnaires et patrons sont bien du même monde. Et au cœur de leurs relations se trouve l’argent public, cette manne de profits potentiels à distribuer...

Maurice SPIRZ


[1D’après les sociologues Michel Bauer et Bénédicte Bertin-Mourot, les PDG des 200 plus grandes entreprises françaises sont arrivés à leur poste soit en grimpant les échelons dans l’entreprise (21 % d’entre eux), soit parce qu’ils possèdent entièrement ou en partie l’entreprise (32 %), soit en pantouflant (47 % en 1993).

[2Cité par Libération du 13 juin 1997

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