Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 94, juin-juillet-août 2014

Nigeria : La population piégée entre l’armée, la secte Boko Haram… et les intérêts pétroliers

Mis en ligne le 14 juin 2014 Convergences Monde

Le 14 avril dernier, des hommes armés envahissaient l’internat du lycée de la ville de Chibok, dans l’État de Borno, au Nord-Est du Nigeria, et enlevaient plus de 200 lycéennes. Le 5 mai, Abubakar Shekau, chef de la secte Boko Haram, un mouvement qui mène depuis cinq ans une guerre contre le gouvernement du Nigeria, revendiquait cet enlèvement et menaçait de « marier de force » ces jeunes filles ou de les utiliser comme esclaves.

Le président américain Obama a annoncé son intention d’intervenir sur le terrain, et 80 « spécialistes » ont été envoyés au Nigeria, avec des avions et des drones destinés à repérer le lieu de détention des jeunes filles. Hollande a suivi, immédiatement après s’être concerté avec Paul Biya, le président du Cameroun. Ce pays limitrophe du Nigeria fait en effet partie de ceux menacés par les incursions de Boko Haram, qui a déjà enlevé plusieurs personnes, dont des ressortissants français, sur son territoire. Le spectaculaire et odieux enlèvement du 14 avril va-t-il servir de prétexte à une intervention de plus en Afrique, où l’impérialisme français est réputé pour sa longue expérience ?

Corruption et répression féroce

Par ses richesses pétrolières, le Nigeria, désormais première puissance économique d’Afrique et la plus peuplée avec 177 millions d’habitants, est en effet un enjeu stratégique de première importance. C’est au début des années 2000 qu’est né le groupe Boko Haram, qui apparaissait alors comme une secte religieuse voulant faire appliquer la charia dans le nord du pays à majorité musulmane, voire fonder un État islamique. La répression féroce menée par le gouvernement du Nigeria, faisant notamment assassiner son chef Mohamed Yusuf en 2009, devait déboucher sur une véritable guerre civile. « À force d’exactions, l’armée s’est mis à dos la population : de nombreux habitants refusent de dénoncer les membres de Boko Haram et certains ont même rejoint ses rangs », explique un universitaire, auteur d’un ouvrage sur ce mouvement, interviewé par le journal Le Monde du 18 mars dernier. [1] L’armée bombarde et brûle des villages entiers tombés sous l’autorité de Boko Haram, tandis que la secte réplique en massacrant les habitants d’autres villages où ont été formées des milices progouvernementales. Cet engrenage de la violence a poussé de nombreux habitants, pris entre deux feux, à fuir vers les pays voisins.

Les effectifs et le fonctionnement de Boko Haram sont peu connus, mais il semble que, malgré la perte de plusieurs centaines d’hommes tués par les forces gouvernementales, la secte ait réussi à renouveler ses troupes, voire à les renforcer, en recrutant parmi les jeunes déshérités du Nord. Le fossé social est en effet terrible entre la misère qui règne dans le Nord ou les immenses bidonvilles de Lagos et la richesse de certains quartiers de la capitale économique, où la bourgeoisie vit dans un luxe insensé grâce à la manne pétrolière, quand elle ne place pas ses royalties à l’étranger. [2]

Banditisme et misère sociale

« Nous ne sommes pas en présence d’une guerre du nord musulman contre le sud chrétien », souligne la même interview au journal Le Monde. L’objectif des enlèvements est avant tout de négocier des rançons et d’obtenir la libération de prisonniers, car le gouvernement n’hésite pas à exercer des représailles sur les familles des membres de la secte. On ignore quel est le niveau de structuration de groupes comme Boko Haram. Mais leur développement risque de déstabiliser une région déjà difficile à contrôler, aussi bien par le gouvernement du Nigeria que par ceux du Tchad et du Cameroun, et notamment de menacer les zones pétrolifères. C’est d’ailleurs pourquoi Goodluck Jonathan, le président nigerian, s’est résolu à faire appel à une aide américaine et française à laquelle il était jusqu’alors réticent, et à collaborer avec Biya, le président du Cameroun, avec qui les relations sont traditionnellement mauvaises. [3]

Il est difficile de savoir si ces événements vont déboucher sur une intervention impérialiste de plus grande ampleur. Ce qui est certain, c’est que celle-ci n’arrangerait rien et ne ferait que jeter de l’huile sur le feu. Tant que régnera à Lagos une bourgeoisie égoïste, corrompue et incapable d’améliorer le sort des populations du Nord, il est inévitable que prospèrent de telles sectes, en l’absence d’un parti révolutionnaire qui prenne en charge les véritables intérêts de la population.

28 mai 2014, Georges RIVIERE


[1Boko Haram : Islamism politics, security and the state of Nigeria, de Marc Antoine Pérouse de Montclos. Interview de l’auteur dans Le Monde, 18 mars 2014.

[2La fuite de capitaux est évaluée à 15 ou 20 milliards de dollars par an, soit 100 dollars par habitant, dans un pays où les revenus des classes pauvres ne dépassent pas quelques dollars par jour.

[3Le Nigeria anglophone est depuis longtemps sous influence anglo-saxonne alors que l’influence française est plus forte au Cameroun et au Tchad.

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 94, juin-juillet-août 2014