Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 91, janvier-février 2014 > Afrique du Sud

Afrique du Sud

Nelson Mandela, du « communisme » à la présidence

Mis en ligne le 14 janvier 2014 Convergences Monde

Ce n’est pas sans raison que Nelson Mandela est le symbole de la lutte contre l’oppression pour des millions de gens en Afrique et dans le monde. Il aura mené le combat engagé dans ses années d’étudiant contre le régime de l’apartheid jusqu’à son démantèlement complet, sans se renier ni détourner du but qu’il s’était fixé, malgré 27 ans de bagne et de prison qui lui valurent un temps le titre de plus vieux prisonnier politique du monde.

Mais ce n’est pas sans raison aussi que les grands de ce monde ont pu, à l’occasion de son décès, célébrer la mémoire d’« un homme de paix ». L’ancien dirigeant de l’African National Congress (ANC) a en effet joué un rôle éminent pour sortir le capitalisme sud-africain de l’impasse dans laquelle il s’était enfoncé, et ce sans soubresauts sociaux dommageables pour la bourgeoisie. Car, si la politique d’apartheid, mise en œuvre par le National Party afrikaner à partir des années 1950, a pu être un atout pour le développement capitaliste de l’Afrique du Sud dans l’immédiat après-guerre, elle avait fini par devenir, pour la bourgeoisie elle-même, un fardeau lourd à porter mais dont il n’était ni aisé ni forcément sans risque de se débarrasser.

Certes, Mandela n’a pas toujours été un homme de paix, en particulier pour les dirigeants sud-africain et occidentaux : il mit sur pied, en 1961, une organisation armée en vue d’actes de sabotage. Mais il ne diffèrait guère en cela de bien des dirigeants nationalistes bourgeois qui furent qualifiés de terroristes jusqu’à leur accession au pouvoir ! Il était même, à l’époque, qualifié de communiste par les tenants de l’apartheid qui, qu’ils l’aient cru ou non, y avaient intérêt pour s’attirer les bonnes grâces de l’impérialisme, notamment américain, engagé dans une guerre froide contre le « camp socialiste » et l’URSS. Il s’en défendit très vite, comme il le rappela lors de son procès, en 1964 : « Tandis que le Parti communiste cherchait à accentuer les oppositions, l’ANC tentait de rendre compatibles les différentes classes ; différence capitale. » [1]

Bien sûr, lors d’un procès où l’enjeu était capital, – longue peine d’emprisonnement voire pire – il est possible qu’il ait préféré ne pas avouer une appartenance qui ne pouvait qu’aggraver son cas. A-t-il vraiment un moment été membre du Parti communiste sud-africain ? [2] Cela demeure encore aujourd’hui sujet à controverse. En tout cas, s’il le fut, c’était déjà d’un parti stalinisé qui n’avait plus depuis longtemps l’objectif de la révolution prolétarienne et prônait la cohésion sociale au nom de l’intérêt national. Comme l’ANC. Ce qui explique que le PC et le mouvement syndical qu’il influençait aient pu se subordonner très vite à celle-ci, jusqu’à s’y fondre pratiquement, et que, pour Mandela, seule importait la stature de dirigeant de l’ANC.

Ainsi, même lorsque l’ANC finira par se résoudre à des actions de masse, sous l’impulsion des dirigeants de sa jeunesse dont Mandela justement – comme durant la campagne de désobéissance civile de 1952 contre les lois imposant aux Noirs un passeport intérieur et aggravant les restrictions de résidence –, l’ANC aura le souci constant de les contrôler étroitement. Sous le nom de Charte de la liberté, c’est en effet son programme que l’ANC fera adopter en 1955 à ses alliés politiques, dont le PC, même si celui-ci a pu prétendre en influencer les formulations. Mandela dira de la Charte qu’elle « n’est en aucune façon un manifeste pour un État socialiste. Elle appelle à une redistribution, mais non à une nationalisation de la terre ; elle prévoit la nationalisation des mines, des banques et des grands monopoles industriels parce que ces facteurs économiques sont entre les mains de la seule minorité blanche et que, sans cette mesure, la domination raciale survivrait à la diffusion du pouvoir politique. (…) les nationalisations s’inscriraient dans une économie fondée sur l’entreprise privée. La réalisation de la Charte offrirait de nouvelles perspectives à toutes les classes – bourgeoisie comprise – d’une population africaine dès lors prospère. L’ANC n’a jamais, à aucune période de son histoire, préconisé un changement révolutionnaire de la structure économique du pays ; il n’a jamais non plus, autant que je m’en souvienne, condamné la société capitaliste. »

Pourtant, dans l’Afrique du Sud d’alors, la seule revendication démocratique de l’égalité des droits politiques pouvait revêtir un caractère révolutionnaire. C’est précisément pour endiguer ce risque que l’ANC a cherché l’hégémonie politique dans le mouvement anti-apartheid, tout en postulant au rôle d’interlocuteur privilégié du régime. Au risque de voir ses méthodes contestées par d’autres courants se présentant ou non comme plus radicaux, dans les moyens sinon dans les objectifs.

Telle était la situation après la tuerie de Sharpeville où, en mars 1960, la police avait tiré sur une manifestation de Noirs contre le passeport intérieur, et après la répression opposée par le gouvernement, en mai 1961, à la demande initiée par l’ANC d’une assemblée constituante démocratiquement élue. Ainsi, dira Mandela, « (…) en mai-juin 1961, il était devenu indéniable que notre politique en faveur de l’établissement d’un État non racial par des moyens non violents n’avait donné aucun résultat, que nos partisans commençaient à perdre confiance dans nos méthodes et à développer d’inquiétantes idées de terrorisme. (…) Déjà, de petits groupes s’étaient formés dans les régions urbaines et préparaient spontanément les bases d’une action violente. Il existait un risque que ces groupes n’usent du terrorisme aussi bien à l’égard des Africains que des Blancs, s’ils n’étaient pas fermement contrôlés. » La construction d’une organisation armée, même aux objectifs limités (le sabotage de lignes téléphoniques et de voies de communication), n’était donc pas seulement une réponse à une répression de plus en plus féroce et sans pitié contre les opposants, même non violents. Elle visait aussi à encadrer les plus radicaux en leur imposant le respect de la discipline que suppose toujours ce type d’opérations… et ainsi se débarrasser des critiques et des opposants pour mener sa politique.

Cette orientation, assumée par Mandela, lui valut une peine d’emprisonnement à vie. Il ne fut libéré qu’en 1990, avant de prendre la tête du pays en 1994 et mettre en œuvre la politique qu’il avait toujours défendue. Car, de ce point de vue, du communiste supposé au président en place, on ne peut certes lui dénier constance de vue et d’objectifs.

Gérard WEGAN


[1- Les citations de Nelson Mandela sont extraites de sa plaidoirie, le 20 avril 1964, au procès de Rivonia (publiée dans L’Apartheid, Éditions de Minuit, 1965 – réédition en 1985).

[2- Le 6 décembre 2013, lendemain du décès de Nelson Mandela, le Parti communiste d’Afrique du Sud a publié un communiqué, repris dans ses publications disponibles sur Internet (African Communist & Umsebenzi), indiquant sans autre détail que, lors de son arrestation en août 1962, Mandela était non seulement membre du parti mais également de son Comité central – ce que l’intéressé a toujours nié de son vivant. Information évidemment impossible à vérifier mais qui, si elle était exacte, en dirait plus sur l’alignement du PC sur la politique de l’ANC que sur Mandela lui-même !

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !