Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 85, janvier-février 2013

Nationalisations « provisoires » ou temporaires », ou garantie des emplois et des salaires pour les travailleurs ?

28 janvier 2013 Convergences Politique

Le refus d’Arcelor-Mittal de relancer la production des hauts-fourneaux de son usine de Florange – il vient par contre de le faire pour un haut-fourneau à Dunkerque – ainsi que son refus de céder le site de Florange dans lequel il veut maintenir des activités de transformation de l’acier ont relancé l’idée des nationalisations.

C’est Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, qui, dans son style de matamore « retenez-moi ou je fais un malheur », a lancé l’idée d’une « nationalisation temporaire » , le temps de trouver un repreneur. Mais, outre que les repreneurs ne se bousculaient pas à l’horizon, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a vite refroidi les illusions qui auraient pu naître : non, son gouvernement n’a pas l’intention de contester à un patron le droit de répartir, ou même d’interrompre, la production comme il l’entend dans son entreprise.

Dans cette histoire, si la gauche du Parti socialiste a pris position pour la nationalisation sous la forme d’un soutien pur et simple à Arnaud Montebourg, d’autres ont prôné la nationalisation vue comme une « prise de participation (qui), loin d’être temporaire, doit être pérenne » – comme l’a dit André Chassaigne au nom du groupe PCF-Front de gauche à l’Assemblée nationale.

Mais, au-delà des gesticulations d’un Montebourg, le refus du gouvernement de procéder à la nationalisation du site de Florange a suscité la colère des travailleurs de l’usine, preuve que cette idée de nationalisation, temporaire ou non, apparaît à bon nombre de travailleurs comme une garantie contre les licenciements.

En fait, derrière l’idée de nationalisation, chacun met ce qu’il veut. Selon Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, le gouvernement a commandé un rapport officiel, le rapport Pascal Faure. « Ce rapport dit que le site est rentable, qu’il y a moyen de le développer et qu’il faut une option nationale et que l’État doit jouer au moins un rôle de stratège pour développer cette option nationale » a-t-il déclaré sur Radio Classique et Public Sénat, ajoutant « Nous avons besoin de sidérurgie, nous avons besoin des hauts-fourneaux de Florange. (...) Il y a une conception des actionnaires dans l’industrie qui exige des taux de rentabilité complètement dingues, et hors de propos avec une vraie logique industrielle. »

Convaincre le patronat de la « rentabilité » de l’entreprise ?

C’est ainsi que, dans les entreprises menacées de fermeture, les organisations syndicales tentent de convaincre que leur entreprise est rentable et s’efforcent de proposer un « plan de relance » destiné à allécher un éventuel repreneur, voire finissent par caresser l’idée d’une SCOP.

Mais, dans la société actuelle, les travailleurs ne sont pas juges de la rentabilité d’une entreprise ; ce sont les capitalistes qui décident des seuils de rentabilité, n’en déplaise à Pierre Laurent : tout ce qu’il propose, c’est une version moins « agressive » du capitalisme, le mythe du « bon capitalisme » investissant dans l’industrie cher aux économistes d’ATTAC et à tous ceux qui dénoncent les « dérives » du capitalisme et non le capitalisme lui-même !

Mais quand les travailleurs laissent les dirigeants de gauche et les chefs syndicalistes leur concocter des plans « crédibles », c’est avant tout la garantie de leur emploi qu’ils espèrent avec la nationalisation. Pourtant, les travailleurs lorrains – si ce ne sont ceux d’aujourd’hui, ce sont leurs parents – sont bien placés pour le savoir : les nationalisations de 1981 avaient été suivies de licenciements massifs (plus de 50 000 licenciements entre 1981 et 1986)…

Où donc de tels « plans » prouvant la « viabilité », la « rentabilité » d’une entreprise que son patron avait décidé de fermer ont-ils été suivis d’effet ? L’usine sidérurgique de Fumel, près d’Agen ? Ford Blanquefort, près de Bordeaux ? Dans le premier cas, les travailleurs ont engagé des grèves à répétition pour imposer que l’usine ne ferme pas, passant d’un repreneur à l’autre avec, dans l’intervalle, une période de trois ans où les travailleurs ont administré l’usine eux-mêmes. Cela a permis que quelques centaines d’emplois soient maintenus jusqu’à aujourd’hui qui auraient disparu purement et simplement sans cela – mais ils étaient plusieurs milliers il y a 20 ans. Dans le second, la mobilisation a permis de maintenir une bonne partie des emplois, jusqu’à présent. Ce qui n’est pas rien. Mais « même si Ford est revenu, mettant en place de nouvelles activités (dont une nouvelle boîte de vitesse) cela n’empêche qu’il n’y a pas de changement réel de stratégie. Nous nous sentons en sursis », disent des militants de Ford (Tout est à nous !, 27 septembre 2012).

Mais ailleurs ? Combien de ces luttes où les travailleurs s’étaient acharnés à convaincre leur patron, les élus locaux, l’État, les banques, les hypothétiques repreneurs que leur entreprise était rentable, que leur production était indispensable ? Combien de ces luttes défaites qui se soldent par des zones entières devenues des friches industrielles ?

De toute façon, avec la crise et la récession, comment « prouver » à un patron de la sidérurgie que la production d’acier est « rentable » si les débouchés habituels, dans la société actuelle, sont fermés, si la production de l’industrie automobile recule parce que personne, en dehors de ceux qui ont du bien, ne peut plus s’acheter de voiture ? Comment parler de « rentabilité » quand c’est la crise ?

Le capitalisme n’est pas « amendable ». La nostalgie des temps où le capitalisme « investissait dans la production » n’est pas de mise. Ce ne sont pas les dirigeants du Front de gauche ou les économistes d’ATTAC qui décident de l’évolution du capitalisme. Une autre société est à construire, débarrassée des capitalistes et où se préoccuper de ce qu’on produit et de la façon dont on le produit aura un sens car les intérêts généraux de toute la société prévaudront face au règne du « calcul égoïste ».

Avant tout, contre les licenciements, briser l’isolement des luttes

Aujourd’hui, ce qui est vital pour les travailleurs est de ne pas payer la crise et donc d’imposer le maintien de leur salaire. Entreprise par entreprise, leurs luttes se cantonnent le plus souvent à vendre leur peau le plus chèrement possible et si possible à obtenir des indemnisations le plus substantielles possible. Quand on est isolé, peut-il vraiment en être autrement ?

Reste à essayer de faire briser l’isolement et tenter de créer enfin les conditions de cette riposte d’ensemble qui donnerait tout leur sens à des mesures comme l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous, en imposant que l’ensemble de la bourgeoisie paye pour ceux des leurs qui sont défaillants.

La politique à mener dans les entreprises qui ferment ou sont menacées de fermeture n’est pas simple et il faut à la fois permettre aux travailleurs de récupérer le plus possible tout en essayant de sortir de l’isolement, de faire converger les luttes, seule façon de pouvoir utiliser la force collective des travailleurs et mettre en avant des objectifs plus ambitieux parce que concernant tous les travailleurs – en réalité toute la société.

Quand on veut aller au-delà de l’effet de manche (« si M. Mittal veut s’en aller, que voulez-vous qu’on fasse ? On lui dit au revoir », a lancé Mélenchon à la radio en novembre dernier), la nationalisation, qu’elle soit temporaire ou pérenne, est un objectif qui ne permet pas aux travailleurs de poser clairement leurs problèmes, ce qui en fait une voie de garage.

18 janvier 2013, Jean-Jacques FRANQUIER

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article