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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 86, mars-avril 2013

Mort d’Hugo Chávez : il n’y a pas de sauveur suprême

Mis en ligne le 18 mars 2013 Convergences Monde

Le 5 mars dernier, le cancer a emporté Hugo Chávez qui venait de remporter sa quatrième élection présidentielle en octobre 2012. Alors que la presse et les politiciens de droite le dénoncent comme un dictateur qui aurait gaspillé les revenus du pétrole en les distribuant aux pauvres, une grande partie de la population du Venezuela le pleure comme un des siens, qui aurait compris ses souffrances et ses problèmes, dans un pays les plus inégalitaires du monde.

Chávez ne ménageait pas les discours emphatiques sur le « socialisme du 21e siècle » et le « bolivarisme », faisant référence à Simon Bolivar, figure emblématique du nationalisme latino-américain au 19e siècle contre la domination espagnole. Chávez était-il pour autant un révolutionnaire socialiste défendant les intérêts des classes populaires ? C’est après la violente répression exercée en 1989 par le gouvernement Carlos Andrés Pérez contre des manifestations populaires consécutives à des hausses de prix que Chávez a fait son entrée en politique en tentant un coup d’État en 1992. Emprisonné, il lançait le « mouvement bolivarien » à sa libération en 1997 et triomphait à la présidentielle de 1998.

La droite et les États-Unis tentaient un coup d’État contre lui en 2002, qui échouait très vite en raison du soutien populaire et du refus d’une partie de l’armée de suivre les putschistes.

Chávez avait en effet non seulement promis une transformation sociale radicale, mais aussi commencé à mettre en œuvre une politique sociale qui a consisté pour l’essentiel à développer l’alphabétisation, à subventionner les produits de première nécessité et à créer diverses « missions bolivariennes », en particulier avec l’aide de milliers de médecins cubains envoyés par Castro en échange de pétrole, dans le cadre d’un accord signé à Caracas en 2000.

Les revenus pétroliers du Venezuela lui ont en effet permis de prendre ces mesures. Dans un pays où le cynisme de classes possédantes, qui se sont toujours désintéressées du sort de la population, n’a pas de bornes, il n’en fallait pas davantage pour que Chávez gagne une grande popularité. Pour autant, il n’a ni transformé les structures sociales, ni tenté de le faire, ni mis fin à la pauvreté qu’il n’a endiguée que très marginalement.

Les pauvres presque toujours aussi pauvres, et les riches toujours plus riches

Selon les statistiques officielles, la répartition du revenu national s’est même modifiée en faveur des plus riches : alors que la minorité capitaliste percevait 36,2 % du PIB national en 1998, elle en accapare 48,8 % aujourd’hui. Les revenus des 20 % de Vénézueliens les plus riches représentent 54 % de ce PIB, alors que ceux des 40 % les plus pauvres atteignent à peine 5 % ! Parmi ces privilégiés on compte désormais la classe des nouveaux riches, surnommée la « boli bourgeoisie », qui s’est développée notamment au sein de la bureaucratie étatique. Quant aux moyens de production, ils sont toujours pour 70,9 % aux mains des capitalistes privés contre 65 % en 1998. En 2011, les profits des banques ont quasiment doublé, alors que l’inflation estimée à 22 % rongeait les revenus des salariés. Certes, Chávez a rétabli le contrôle de l’État sur la production de pétrole, exploité en association avec des compagnies étrangères, notamment BP et Total, et plus récemment avec des investisseurs chinois. En dépit de cette manne pétrolière, dont 35 % seraient consacrés au social, 30 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, 25 % n’ont pas accès à l’eau potable. De plus, si la misère avait un peu reculé, elle a ces dernières années et dans certaines régions plutôt stagné, voire augmenté. D’immenses bidonvilles, où règne une délinquance terrible, ceinturent Caracas.

Chávez n’a jamais cherché à s’en prendre aux richesses de la bourgeoisie. Sa politique a visé à concilier patrons et salariés unis dans le « bolivarisme ». Si Chávez s’est revendiqué du « peuple », il n’entendait en aucune façon l’inciter à exercer le pouvoir. Les conseils communaux qu’il a mis en place étaient avant tout des organismes clientélistes chargés de distribuer les subsides et d’encadrer la population. Face à la classe ouvrière, il s’est efforcé de constituer un appareil syndical capable d’assurer la paix sociale, notamment grâce à l’appui du PC vénézuélien et de quelques autres partis entrés dans le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela, au pouvoir). Face aux militants syndicalistes et aux travailleurs qui revendiquaient pour leurs droits, leurs salaires et leurs conditions de travail, le dialogue paternaliste a fait place à la répression brutale. Depuis 2005, plus de 250 syndicalistes ont été assassinés par des hommes de main du patronat ou de la bureaucratie syndicale. À différentes reprises, la garde nationale a été envoyée contre des grévistes comme en 2008 contre ceux de l’usine sidérurgique Sidor [1] ou en 2011 contre ceux de la Ferrominea faisant un mort et plusieurs blessés. Des syndicalistes ont été emprisonnés.

On doit noter à ce propos que le paternalisme de Chávez a concerné bien davantage les habitants des quartiers pauvres, marginalisés par la misère et le chômage, que les travailleurs salariés qui ont subi par exemple la suppression de nombreuses conventions collectives. Il existe d’ailleurs au sein de la classe ouvrière des militants, sans doute minoritaires, qui, tout en s’opposant aux tentatives putschistes de la droite, ont refusé de s’aligner sur Chávez. Comme ce candidat à la dernière présidentielle, Orlando Chirino, ouvrier licencié du pétrole – qui certes n’a obtenu que quelques milliers de voix.

La disparition de Chávez va probablement mettre en lumière des antagonismes de classe que dissimulait son charisme. Au Venezuela comme ailleurs, l’émancipation des travailleurs ne pourra qu’être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Non celle d’un colonel providentiel.

9 mars 2013, Pierre CHENOUARD


[1Dans cette usine de 7 000 ouvriers, qui appartient à un trust italo-argentin, les deux tiers des salariés sont des précaires.

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