Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 107, septembre-octobre 2016

Bolivie

Morales face aux coopératives minières : Les conséquences sanglantes d’une politique de capitulation et de division

Mis en ligne le 5 octobre 2016 Convergences Monde

Le 25 août dernier, trois mineurs boliviens étaient tués par la police et le vice-ministre de l’Intérieur, Rodolfo Illanes, était retenu en otage et lynché par un groupe de mineurs de la région de Potosí qui bloquaient les routes depuis plusieurs jours. À l’origine de ce violent conflit, la modification de la loi sur les coopératives minières promulguée par le président Morales. Le gouvernement bolivien est souvent présenté comme « progressiste », voire révolutionnaire et il est encensé par divers politiciens comme Mélenchon. Pourtant, s’il est vrai que l’arrivée à la présidence de Morales en 2006 avait fait naître beaucoup d’espoirs, celui-ci s’est caractérisé par une démagogie indigéniste verbale, mais n’a pratiquement rien changé dans le pays le plus pauvre du continent sud-américain, en particulier dans le secteur minier.

Des entreprises qui n’ont de coopérative que le nom

L’exploitation des mines comprend en Bolivie trois secteurs : les entreprises d’État, qui emploient 7 500 personnes, le secteur privé qui en emploie 8 000 et le « secteur coopérativiste », de loin le plus important, qui en emploie près de 119 000. Les coopératives minières se sont développées à partir de 1985, quand le gouvernement de l’époque, dirigé par Paz Estenssoro, a entrepris de démanteler la Comibol mise en place après la révolution de 1952 pour gérer la nationalisation générale du secteur minier. Les mineurs avaient en effet joué un rôle déterminant dans ce mouvement et réussi à imposer une réglementation relativement protectrice et diverses institutions sociales cogérées par un puissant syndicat. Face à une baisse des prix des minerais (étain, argent, zinc et or) sur le marché mondial, Estenssoro optait pour une politique de flexibilisation du travail et licenciait des dizaines de milliers de mineurs. En compensation, ceux-ci se voyaient autorisés à gérer à leur compte des gisements mis à leur disposition par l’État, souvent les moins rentables.

Dans les années 1990, c’est le président Gonzalo Sánchez de Lozada, dit Goni, lui-même propriétaire d’une mine moderne en association avec des capitaux nord-américains, qui achevait le démantèlement de la Comibol. Ainsi allaient se développer ces coopératives qui passaient de 454 en 1990 à 778 en 2005.

Très vite, ces coopératives allaient perdre tout caractère égalitaire et se transformer en entreprises capitalistes. Dans ces coopératives, seuls les socios (sociétaires propriétaires de parts) ont le droit de vote, et encore pas tous. Ces socios constituent la direction, l’encadrement et effectuent les travaux les plus qualifiés. Les travaux les plus pénibles, comme le transport du minerai, souvent à dos d’homme dans des sacs et en poussant des wagonnets dans les boyaux, le tri sur le carreau de la mine sont exécutés par les peones (manœuvres) parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants. Ces derniers, payés à la tâche et embauchés souvent au jour le jour, peuvent passer plus de douze heures d’affilée au fond et tiennent en mâchant des feuilles de coca. Ils ne disposent pas de la moindre protection sociale, les conditions de travail sont épouvantables et les accidents quotidiens.

Dans les coopératives d’Oruro et Potosí, on voit des enfants de huit ans édentés porter de lourds sacs de minerais dans des boyaux étroits, chaussés de baskets déchirés et sans casque.

L’espérance de vie d’un peón qui commence à travailler à dix ans est estimée à trente ans.

Les socios sont eux généralement payés au poids du minerai extrait qu’ils vendent parfois directement à des négociants itinérants. Dans certaines mines, chaque équipe de socios gère son propre filon, en concurrence avec les autres.

Morales et la Fencomin : une alliance conflictuelle

Les gérants de ces coopératives allaient donc s’enrichir et se regrouper dans une association puissante : la Fencomin (Fédération nationale des coopératives minières). Non seulement, quand il parvint à la présidence en 2006, suite au mouvement populaire qui avait renversé Goni, Evo Morales ne chercha pas à mettre fin à cette situation, mais il fit de la Fencomin un de ses principaux partenaires. Les coopératives font d’ailleurs partie du Movimento al Socialismo (MAS), le parti présidentiel, qui est en fait un regroupement hétérogène d’associations paysannes, parmi lesquelles les cocaleros (cultivateurs de coca) dont Morales fut le dirigeant, et de corporations qui vont des vendeurs de billets de loterie aux commerçants et chauffeurs de taxis. C’est donc la petite bourgeoisie qui domine très largement dans le MAS. Le premier geste de Morales fut de nommer Walter Villarroel, président de la Fencomin, ministre du secteur minier !

Les coopératives bénéficiaient de nombreux avantages, comme des impôts plus faibles que ceux du secteur privé et l’absence de toute réglementation et protection sociales. Une partie d’entre elles faisaient même appel à des participations d’investisseurs étrangers attirés par cette production très rentable bien qu’elle soit le plus souvent dépourvue de tout matériel moderne. Encouragés, les patrons du secteur coopératif en voulurent toujours plus et cherchèrent à s’accaparer de nouveaux gisements, au détriment des entreprises d’État et des communautés paysannes dont elles entendaient s’accaparer le sol. Il en résulta de très violents conflits. En octobre 2006, les combats entre les mineurs salariés de Huanuni et des coopérativistes qui voulaient s’emparer de gisements firent 14 morts et 80 blessés graves. Plusieurs affrontements opposèrent aussi les coopérativistes à des paysans. La tactique des patrons des coopératives consiste le plus souvent à inciter des centaines de chômeurs affamés à occuper des terres riches en minerais de façon illégale et à faire ensuite légaliser l’opération.

Face à la dégradation de la situation et à la pression des syndicats de mineurs salariés, qui restent puissants, Morales destitua Villarroel après le massacre de Huanuni. Ce qui n’empêcha pas la Fencomin de rester au sein du MAS et Morales de lui offrir un cadeau supplémentaire en légalisant le travail des enfants à partir de 10 ans en 2014.

Le « petit capitalisme andin »

Toutefois, dans le cadre d’une politique qui vise à développer un capitalisme national, « un petit capitalisme andin », selon les termes du vice-président Álvaro García-Linera, idéologue du régime, Morales cherche à éviter que le secteur minier ne retombe entièrement entre les mains du capital impérialiste. Après avoir donné un grand coup de barre à droite, il a donc donné un petit coup à gauche en faisant passer une loi qui contraindrait les coopératives à obtenir l’autorisation de l’État pour s’associer au capital étranger et autoriserait les peones à se syndiquer. Bien que la syndicalisation de ces travailleurs surexploités soit très hypothétique, en raison notamment des réseaux de clientélisme et des liens souvent familiaux qui les rendent étroitement dépendants des socios, ces dispositions ont suscité la colère des patrons de la Fencomin. Ceux-ci, selon leurs habitudes, ont donc lancé leur main-d’œuvre dans des actions comme les coupures de route et le blocage complet de la ville de Potosí. Le gouvernement a riposté par une très violente répression : la police a tiré sur les barrages de mineurs.

De son côté, Morales dénonce un « complot impérialiste » comme il le fait chaque fois qu’il est vigoureusement contesté. Des centaines de mineurs ont été arrêtés et une dizaine inculpés pour le meurtre du ministre. En dépit des discours virulents, les ponts ne sont pourtant pas rompus entre Morales et la Fencomin, qui joue un rôle majeur en raison du poids du secteur minier dans l’économie bolivienne. D’autant qu’il a subi un échec électoral [1] et qu’il affronte simultanément la colère de 900 salariés licenciés de l’usine textile d’État Enatex.

Cette situation est bien évidemment le fruit de la politique faite d’hésitations et de compromissions de Morales vis-à-vis de la bourgeoisie, en dépit de ses tirades enflammées contre l’impérialisme. Pour mettre fin à la division sanglante entre mineurs engendrée par cette politique, l’objectif des organisations ouvrières devrait être de rassembler les mineurs des divers secteurs pour imposer le rétablissement de la nationalisation complète des mineurs sous le contrôle des mineurs eux-mêmes. Mais ce n’est pas la politique de la COB, la grande centrale ouvrière, qui pratique une politique de compromis vis-à-vis du MAS et du gouvernement.

20 septembre 2016, Georges RIVIERE


[1Le 21 février 2016, 51,3 % des électeurs ont refusé de donner à Morales et à Linera la possibilité de se représenter à la présidence et à la vice-présidence pour un quatrième mandat.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 107, septembre-octobre 2016

Mots-clés