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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 99, mai-juin 2015

Livres

Mis en ligne le 14 mai 2015 Convergences Culture

Un essai



Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes

Charb

Éditions Les Échappés, 2015, 92 pages, 13,90 €.


Il s’agit d’un petit texte de Charb, caricaturiste et principal animateur de Charlie Hebdo depuis 2009, exécuté par les frères Kouachi le 7 janvier dernier. Charb aurait-il achevé cette lettre deux jours avant son assassinat ? L’auteur s’invite en tout cas dans le débat bien vivant sur l’islamophobie, pour dire en quoi le dérangent les intentions de ceux qui utilisent le terme : « lutter contre le racisme, c’est lutter contre tous les racismes, lutter contre l’islamophobie, c’est lutter contre quoi ? ». Il lui semble que c’est défendre la religion musulmane plutôt que des individus victimes du racisme (précisons que Charb ne porte aucune religion dans son cœur et défend son « droit au blasphème » – au risque assumé de passer pour islamophobe !). Il rappelle que la discrimination sociale est bien plus massive en France et qu’elle touche des musulmans parce qu’ils sont pauvres, pas particulièrement parce qu’ils sont croyants...

Cette lettre est surtout un réquisitoire contre les « élites condescendantes ». À la Charlie Hebdo, c’est-à-dire à la serpe. Sont brocardées la fainéantise des journalistes « l’islamophobie est un marché pour la presse qui la promeut », la duplicité des politiques... entre autres celle de Hollande inaugurant un mémorial aux victimes musulmanes de la première guerre mondiale. Charb, lui, aurait fait un autre discours : « ils sont morts à cause de la France, pour défendre un pays qui avait volé le leur (…) Que la République élève un monument aux indigènes qu’elle a fait assassiner plutôt que d’inventer des combattants musulmans morts pour la France ! ». Charb n’épargne aucun de ceux qui récupéreront l’attentat dont il sera victime. On sort de ces pages convaincu que tout comme nous, Charb n’aurait pas été Charlie... en tout cas pas derrière la cohorte des dirigeants politiques français, fauteurs de misère et de guerres dans le monde, elles-mêmes terreau pour la montée des intégristes.

Sur un ton plus fraternel, le caricaturiste s’adresse à la gauche de la gauche où l’on cherche parfois à privilégier tel combat antiraciste plutôt qu’un autre. On trouve dans sa lettre des arguments, des faits... dans un registre percutant mais qui prend surtout la religion pour cible, sans évoquer les causes de son influence chez les pauvres… ni ses limites car elle n’a jamais empêché les combats de classe.

Philippe CAVÉGLIA



Du côté des B.D.

HP

Lisa Mandel

  • Tome 1 : L’asile d’aliénés, éditions L’Association, 13,20 €.
  • Tome 2 : Crazy Seventies, éditions L’Association, 13 €.

Une mère et un beau-père infirmiers psychiatriques en retraite, c’est un réservoir inépuisable d’anecdotes drôles ou dramatiques, abracadabrantes ou banales, loufoques ou pleines de bon sens, voire un peu tout cela à la fois. Mais, en en faisant le thème d’une première puis d’une seconde bande dessinée d’une série qui devrait en compter cinq, Lisa Mandel s’est de plus en plus intéressée à l’histoire de ces travailleurs, celle de l’évolution de leur métier comme de leurs luttes.

Or, au moment où ses témoins deviennent infirmiers, au début des années 1970, l’hôpital psychiatrique s’appelle encore asile d’aliénés. Les patients sont moins soignés que reclus, mis à l’écart de la société. C’est ce dont témoigne en particulier le tome 1. La mutation vers les hôpitaux de santé mentale est pourtant engagée. Le tome 2 montre comment de jeunes infirmiers marqués par Mai 68 se saisissent, avec enthousiasme ou au contraire avec des pincettes, des nouvelles idées irriguant la psychologie.

Lisa Mandel ne prétend pas écrire l’histoire de la psychiatrie, mais seulement mettre en BD un point de vue sur cette histoire. Elle parvient à peindre l’humanité des malades sans masquer l’horreur de certaines situations. Elle réussit à dévoiler les zones d’ombre de l’HP sans faire de faux procès ni sombrer dans la complaisance pour le glauque. C’est un livre que l’on peut mettre entre toutes les mains.

Mathieu PARANT



Hicksville

Dylan Horrocks

Nouvelle édition par Casterman, 264 pages, 25 €, janvier 2015.


Le jeune journaliste Leonard Batts débarque dans un trou perdu de Nouvelle-Zélande, Hicksville. Il est en train d’écrire la biographie de Dick Burger, un enfant du pays parti faire fortune aux États-Unis dans l’industrie du comics, la BD de super-héros. Mais sur place, rien ne se passe comme prévu. Le nom de Burger ferme, voire claque les portes au nez de Leonard. Un mystérieux ange gardien s’amuse à semer à son passage les pages d’une BD d’aventures déroutante. Et comble de malchance, le bar du coin possède la meilleure carte de thés du monde, mais pas un grain de café. L’enquête peut commencer... Hicksville met certes en scène la dénonciation de l’industrie américaine du comics, de sa manière d’exploiter idées et auteurs pour alimenter une vraie pompe à fric. Mais Dylan Horrocks relègue à l’arrière-plan cet aspect de l’intrigue [1]. Il pousse le récit principal aux limites du fantastique – entre fable inspirée par la culture maori et réflexion sur le temps ou la création.

La réédition par Casterman bénéficie d’une traduction plus fidèle – de l’aveu de Horrocks lui-même. Le lecteur enthousiaste lira du même auteur soit Magic Pen, une BD dont le héros est un stylo magique permettant d’entrer... dans n’importe quelle bande dessinée, ou bien une anthologie variée de son œuvre, At Work.

M.P.

Un roman



Le Bateau-usine

Kobayashi Takiji

Éditions Allia (réédition en 2015), 176 pages, 8,50 €.


Nous avions déjà mentionné ce livre à sa première parution et ne résistons pas à en parler à nouveau à l’occasion de sa réédition. Il s’inspire d’un fait réel. L’auteur raconte l’histoire, dans les années 1920, de paysans et d’étudiants pauvres venant de tous les coins de l’île d’Hokkaidô dans le nord du Japon, pour travailler sur ces bateaux-usines qui partent pêcher le homard et le saumon en mer de Kamtchatka, entre le Japon et l’URSS.

Ces rafiots étaient, pour la plupart, des navires russes récupérés par le Japon comme prises de guerre et laissés à l’abandon jusqu’à leur recyclage. S’y retrouvaient au printemps des pêcheurs employés pendant hiver dans des usines de bottes de caoutchouc, d’autres qui s’étaient loués dans les régions les plus reculées de l’île pour défricher des terres ou construire des voies de chemin de fer, comme beaucoup de jeunes en situation précaire. L’employeur espérait bien, en rassemblant ces hommes d’horizons différents, éviter toute solidarité dans l’équipage ! L’auteur montre la rapacité de ce patronat, entre autres comment lors d’une tempête, alors qu’un autre bateau-usine lance un SOS et que le capitaine s’apprête à détourner son rafiot pour lui porter secours, l’intendant représentant du propriétaire le lui interdit : « Alors, dis-moi donc, à qui est ce bateau ? Il est à l’entreprise qui paie pour le faire marcher. Celui qui donne les ordres, c’est le patron et ma pomme ! Toi... tu ne vaux même pas le papier des chiottes (…) Et puis ce rafiot rapportera plus en faisant naufrage. »

Le livre paraît en 1929. Dans un contexte de répression sévère des mouvements de la classe ouvrière nippone, il est censuré dès sa sortie. L’auteur est emprisonné à deux reprises puis libéré au début 1931. Il vit alors dans la clandestinité. Le 20 février 1933, il tombe dans un guet-apens de la police politique. Il est emmené au commissariat où il meurt.

Louise FONTAINE


[1Dans Pussey, Daniel Clowes livre un portrait bien plus achevé d’un auteur de comics au succès aussi irrésistible qu’éphémère.

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