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Les tulipes fanées du Kirghizistan

29 mars 2005

Les changements à la tête du pouvoir au Kirghizistan se sont accompagnés de manifestations de masse dans quelques villes du pays et de quelques affrontements violents. Le président en poste, Akaïev, s’est enfui d’abord au Kazakhstan puis en Russie. Un de ses anciens Premiers ministres, Bakiev, s’est fait proclamer à la présidence provisoire par des partis d’opposition, nombreux, mais unis dit-on pour la circonstance. Un ancien ministre de l’intérieur d’Akaïev, Koulov, ex-général du KGB, a été sorti de prison et se voit à nouveau, au titre de ministre de l’intérieur de la sécurité et des armées par intérim, chargé de faire régner l’ordre. Une diplomate, Roza Otunbaïeva, ayant été ambassadeur aux Etats-Unis, puis au Royaume-Uni et aux Nations unies, déjà ministre des affaires étrangères du temps de l’URSS puis également au début de la présidence d’Akaïev après 1991, va rempiler à ce même poste. Tel se dessine aujourd’hui le « nouveau » visage du pouvoir dans cette ancienne république soviétique de quelques 5 millions d’habitants, proclamée indépendante de Moscou depuis 1991.

Pour le moment, car les rivalités de personnes entre les nouveaux promus pourraient encore bousculer la donne. Et des manifestations de mécontentement se sont encore déroulées après que tout ce beau monde fut tombé d’accord pour reconnaître le nouveau Parlement élu, alors même que c’est précisément cette élection truquée, organisée par l’ancien président Akaïev, qui avaient fait déborder la coupe .

Ce que de nombreux commentaires de presse ont baptisé révolution, « des tulipes » cette fois, après celle « des roses » de Géorgie et celle « orange » d’Ukraine, s’apparente bien davantage à une alternance au gouvernement – un peu plus mouvementée que dans les démocraties des pays riches – qu’à un bouleversement social en profondeur. Pourtant la population avait bien des raisons de vouloir un changement radical de sa situation, bien des raisons d’affronter dans la rue le pouvoir en place. La population kirghize vit misérablement : le revenu moyen est de 330 $ par habitant en 2004 et la pauvreté touche 64 % de la population. Le Kirghizistan, déjà sous-développé bien avant 1991, l’est encore davantage depuis la fin de l’URSS.

Même si le pouvoir en place était considéré comme plus faible que les autres dictatures de la région, il n’en était pas moins autoritaire et totalement corrompu. Truquage des élections, achat des députés, népotisme : la fille, le fils, les deux belles-soeurs et autres proches d’Akaïev ont été élus au parlement (de 75 membres en tout). Les membres de la famille de l’ancien dictateur sont à la tête des plus grandes entreprises, notamment des supermarchés. Son gendre contrôle l’extraction de l’or, l’alcool, les tabacs, les télécommunications, et la principale maison d’édition d’Etat.

La pseudo-révolution au Kirghizistan a reçu l’aval et les félicitations de l’Europe et des Etats-Unis. Et même un certain appui matériel de ces derniers, via les subventions aux ONG et la mise à la disposition de l’opposition d’un certain nombre de médias pour se faire entendre. Les Etats-Unis, sous couvert de défendre la démocratie, contribuent une fois encore à un changement de pouvoir et poussent ainsi leurs pions au travers des liens tissés avec les nouveaux dirigeants.

Quant à la Russie, si elle se fait tailler des croupières dans son « étranger proche », elle fait contre mauvaise fortune bon cœur. Poutine a certes critiqué « le caractère illégitime  » de la sortie de crise kirghize et accueilli en Russie le président en fuite Akaïev. Mais il a également précisé « connaître très bien les gens de l’opposition », lesquels « ont fait beaucoup pour établir de bonnes relations entre la Russie et le Kirghizistan  ». Et de son côté, Koulov, « l’homme fort », dirigeant en second du Kirghizistan, interviewé par Libération, a posé ainsi les limites du changement : « Les Américains veulent que notre pays se démocratise : qu’il ne devienne pas une nouvelle menace pour le monde, un foyer du terrorisme ou du trafic de drogue. Mais nous ne pouvons pas vivre sans la Russie. Sur les 5 millions d’habitants du Kirghizistan, entre 800 000 et 1 million travaillent en Russie. Les Américains nous donnent de l’argent. Mais la Russie nous donne du travail. Les revenus que les Kirghizes rapatrient de Russie constituent près de la moitié du budget de l’Etat. La Russie fournit aussi notre essence, notre chauffage. On ne peut pas se fâcher avec Moscou. J’ai aussi du respect pour Vladimir Poutine. » Pas vraiment de « révolution » donc non plus dans les rapports entre Le Kirghizistan, la Russie et les Etats-Unis. Comme pour la Géorgie ou l’Ukraine.

Seule la population kirghize, qui en descendant dans la rue avec de toutes autres aspirations a contribué aux changements actuels, pourra se sentir flouée. Le drame pour elle, c’est qu’elle n’a aucune organisation ni représentation politique défendant réellement ses intérêts.

Louis GUILBERT

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