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DOSSIER : Le nucléaire en question

Les travailleurs de la sous-traitance : Soutiers du nucléaire et « viande à rems »

Mis en ligne le 22 avril 2011 Convergences Société

La catastrophe de Fukushima vient de mettre en lumière la situation épouvantable de la majeure partie des travailleurs du nucléaire au Japon. 80 % d’entre eux en effet sont des précaires travaillant pour des sous-traitants qui les recrutent parmi les catégories les plus démunies de la population. Un reportage du journal espagnol El Mundo révélait déjà que la centrale de Fukushima allait jusqu’à recruter des sans-abri dans les campements établis dans des parcs de Tokyo après la crise économique de 1990. Au point que des militants avaient placé dans ces parcs des panneaux avec l’inscription « N’accepte pas ce travail, il te tuera ».

Des milliers de travailleurs pauvres se sont donc relayés dans les centrales japonaise au cours des vingt dernières années et, selon un rapport du docteur Fujita, professeur de physique à l’université de Keio, 700 à 1 000 de ces soutiers du nucléaire en sont morts et plusieurs milliers sont atteints de cancer.

500 de ces précaires ont été envoyés immédiatement en première ligne pour tenter de juguler le désastre, pour des salaires et des primes dérisoires : autour de 10 000 yens par jour (environ 84 euros) soit le double de celui d’un intérimaire « moyen ». Nombre de travailleurs ont refusé  [1] , au point que les patrons de la centrale ont passé des annonces pour recruter… des hommes de plus de 50 ans ! Sous entendu : après 50 ans, on n’est plus chargé de famille et l’on peut mourir. Si ces « liquidateurs [2] » peuvent être considérés comme des héros, ce sont donc bien souvent des héros malgré eux, poussés à prendre ces risques par la misère…

Une pratique systématique depuis 30 ans : Le cas de la France

La pratique systématique de la sous-traitance et de l’emploi de travailleurs précaires n’est pas limitée au Japon : une étude de 2004 de l’Agence pour l’Énergie Nucléaire (organisme de l’OCDE) montre que les centrales des 14 pays étudiés font appel à la sous-traitance. En France, cette enquête dénombrait 600 sous-traitants intervenant dans 58 centrales pour un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros par an. Une autre enquête, plus récente  [3], recense 20 000 à 30 000 travailleurs précaires employés par un millier de sous-traitants. Depuis une trentaine d’années, le recours à la sous-traitance par EDF ne cesse en effet d’augmenter. Les objectifs sont de limiter les coûts en mettant ces sous-traitants en concurrence et, surtout, en employant des salariés qui ne bénéficient pas du statut d’EDF. Ce système permet aussi de truquer les statistiques sur les risques encourus par les travailleurs du nucléaire car les études de santé rassurantes portent le plus souvent sur les employés fixes et non sur cette main d’œuvre volatile.

Ces précaires effectuent les tâches de maintenance, de nettoyage, de plomberie et de réparations diverses, non seulement les plus pénibles mais les plus dangereuses. Ils constituent le plus grand nombre des DATR  [4] plus cyniquement appelés dans l’argot professionnel « viande à rems ». La législation censée les protéger est dérisoire : celle-ci interdit aux intérimaires et CDD de travailler en zones orange et rouge [5], mais il faut savoir que 90 à 95 % des doses sont prises en zone jaune. [6] Une enquête interne d’EDF [7] révèle que 84 % des salariés des sous-traitants souhaiteraient quitter le nucléaire en raison de ces dangers et des mauvaises conditions de travail. Aucune étude ne nous dit combien d’entre eux ont déjà été victimes de ces conditions, sous des formes diverses…

Sous-traitance en cascade et multiplication des risques

Cette généralisation de la sous-traitance ne fait pas seulement courir des risques aux travailleurs eux-mêmes, mais à la sécurité générale des centrales. Les sous-traitants doivent en principe respecter un cahier des charges assez strict mais, explique Michel Lallier, responsable CGT [8], « un des dangers est celui de la sous-traitance en cascade : le premier sous-traitant va faire appel à d’autres sous-traitants, engager des précaires non qualifiés et ainsi de suite. Plus on dégringole dans la sous-traitance plus l’exposition aux risques est forte et plus les risques d’erreurs sont élevés ». Ce constat est d’ailleurs valable dans la plupart des autres secteurs industriels à risques, en particulier la pétrochimie. Une enquête citée par la CGT montre que des dysfonctionnements dans l’organisation du travail sont à l’origine de 64 % des accidents industriels majeurs en France, contre 29 % à des défaillances de matériel et 2 % à des facteurs environnementaux.

Cette sous-traitance incontrôlée et pratiquement incontrôlable, liée à la course au profit dans laquelle s’est lancée EDF, comme les autres patrons mondiaux du nucléaire, apparaît donc comme une des causes les plus importantes d’accident. Mettre fin à cette sous-traitance, à la précarité et aux conditions indignes de travail d’une grande partie des prolétaires du nucléaire doit donc être un de nos objectifs.

George RIVIERE


[1Le journal Tokyo Shimbun a publié de nombreux témoignages.

[2Terme apparu au moment de la catastrophe de Tchernobyl pour désigner les travailleurs, soldats et pompiers intervenant sur la centrale sinistrée.

[3Compétitivité et sous-traitance, par Annie Thebaud-Mony, chercheuse à l’INSERM.

[4« Directement affectés aux travaux sous rayonnement »

[5Les périmètres des centrales sont découpées en zones classées par ordre de danger : verte, jaune, orange, rouge, qui déterminent le temps maximum de présence.

[6Interview de Michel Lallier, secrétaire du CHSCT de la centrale de Chinon, Hesa Newsletter, mars 2006.

[7Idem

[8Conférence donnée à Montreuil le 30 mars 2011.

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