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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 66, novembre-décembre 2009

Les services « à la chaîne » : l’exemple d’AXA

Mis en ligne le 30 novembre 2009 Convergences Entreprises

L’industrialisation des services : kés’Axa ?

Il s’agit de fordisme, de taylorisme, de toyotisme : d’appliquer les techniques de rationalisation utilisées dans l’industrie, au secteur des services. On considère un processus de gestion comme un processus industriel : on le décortique, on le décompose en différentes activités que l’on rationalise, réorganise... On obtient une chaîne d’activités, comme on a une chaîne de production.

Pour les métiers de l’assurance, l’industrialisation s’est concrétisée par la généralisation de plates-formes « clients ». Au début c’était de simples call-centers, c’est-à-dire des centres d’appels téléphoniques. Maintenant, leur champ d’action couvre toute la chaîne d’activités. On peut y faire de la vente d’assurance vie, de la gestion de dossiers clients ou de la mise en relation avec un prestataire : par exemple avec un garagiste pour un accident de voiture, avec une société comme « Carglass » [1] pour remplacer un pare-brise, avec un plombier ou un peintre pour un dégât des eaux. Une large part des activités est désormais traitée en « front-office », c’est-à-dire directement avec le client, ce qui repositionne dans le même temps la gestion des dossiers « en arrière », les « back-offices », sur des activités spécialisées ou d’expertise.

L’impact des nouvelles technologies

Des outils techniques ont permis cette dématérialisation de la gestion des dossiers : la scannérisation des courriers, le recours à des formulaires internet – automatisés en fonction de leur sujet. Le couplage des outils téléphoniques et informatiques permet à partir d’un numéro unique de diriger les appels vers l’un ou l’autre site en fonction de la plage horaire, du nombre de postes de travail, du nombre de collègues à leur poste de travail. On est passé de l’utilisation manuelle à l’industrialisation de ces outils. Un dossier papier n’a plus besoin de passer physiquement d’un service à l’autre. Il est en mémoire, stocké dans des logiciels appropriés.

Aujourd’hui, lorsque l’héritier d’un client individuel veut racheter son contrat d’Assurance Vie suite à un décès, l’acte du notaire arrive à une adresse postale, est orienté vers un centre où il est scannérisé, devient un objet informatique, puis arrive dans la corbeille informatique d’un service d’indexation où on le rattache à un client ou à un numéro de contrat, avant d’atterrir dans un service à Angers chargé de trier les assurances vie en plusieurs « tas », selon le volume et la complexité des dossiers. La lettre arrive donc dans la corbeille informatique (et non plus papier) d’un télé conseiller d’une filiale d’Axa à Rabat qui va la traiter. Le client, s’il rappelle, tombera sur un employé à Angers, Puteaux ou Rabat.

Externalisation

Vu l’obsession de réduire les coûts et la masse salariale, toutes les entreprises sont confrontées à l’externalisation de leurs grandes fonctions, appelées « générales » ou « de support » : Ressources Humaines, Paie, Direction Financière, Comptabilité… L’externalisation Ressources Humaines, par exemple, consiste à confier de manière durable à un prestataire externe spécialisé la prise en charge partielle ou totale d’une application informatique, le logiciel qui gère la paie par exemple ; d’un « processus », par exemple la réception des appels téléphoniques ou des demandes des salariés à l’Administration Du Personnel ou d’une « activité complète » de la fonction Ressources Humaines. Chez Axa, la fonction RH est en cours de transformation, le transfert encore partiel, avec une période de transition. Pour les dirigeants d’entreprise, c’est moins cher. Pour les salariés, cela devient le parcours du combattant … et même quelquefois kafkaïen vu que les réponses sont standardisées.

Cette délégation de gestion d’activités s’accompagne le plus souvent d’un contrat pluriannuel et d’engagements sur les coûts, les délais, la qualité et l’accessibilité des services.

Délocalisation

La délocalisation quant à elle consiste à déplacer géographiquement le traitement d’une activité. Traitement éventuellement au sein du groupe AXA mais sur une zone géographique plus vaste. La délocalisation ne nécessite donc pas un contrat commercial. Elle n’implique pas nécessairement le recours à un prestataire externe. Le terme consacré est « Centre de Services Partagé ». Partagé par les différentes sociétés d’un même groupe. Cela s’est concrétisé en 2004 par la création d’Axa Tech, une filiale chargée des infrastructures informatiques, de la négociation au niveau monde du réseau informatique et téléphonique avec Equant, une filiale de France Télécom. Cela va se traduire par le traitement de la comptabilité européenne par une filiale Axa Business Services, à Bangalore.

Précarisation

AXA était auparavant organisée régionalement, ses différentes activités représentées sur chaque site régional. Dans un premier temps, sous couvert de rationalisation, une centralisation des activités s’est faite sur quelques-uns de ces sites. Des salariés ont donc dû se reconvertir et apprendre un nouveau métier pour rester sur leur site. Ensuite, il y a eu mutualisation et regroupement des tâches communes à différentes activités. Là encore, des salariés ont été obligés de se reconvertir parce que leur activité était faite par d’autres. Cette première phase s’est appelée « Cap Métier » : 3 000 salariés ont été reconvertis en 3 ans. Certains plusieurs fois. Puis il y a eu « Cap Métier 2 », et en ouvrant une succursale au Maroc, Axa annonçait clairement son intention d’envoyer certaines « activités  » hors France.

Des étudiants en BTS « en alternance », payés en dessous du SMIC, ont été employés dans les services de gestion, pour boucher les trous en attendant que les nouveaux services de gestion au Maroc soient formés à la complexité des dossiers et capables d’absorber la charge de travail. Quelques réactions de salariés ont eu lieu en région parisienne (pétitions à Lafayette et Val-de-Fontenay pour l’embauche des jeunes en alternance après l’obtention de leur diplôme, à Tivoli pour l’embauche de CDI ou de CDD supplémentaires, débrayage à Wilson pour le maintien des activités et contre la délocalisation au Maroc), et à Montauban contre la fermeture du site et son déplacement à Toulouse.

Mieux, Axa, comme d’autres entreprises, a été récompensée par le cabinet Vigéo (de l’ancienne dirigeante CFDT Nicole Notat !) pour ses « bonnes pratiques » en matière de recours aux « seniors ». La bonne pratique en question vise un service interne, « Ressources Plus », fournissant un volant de salariés pouvant travailler six mois ou un an dans des services. Grosso modo bouche-trous, également. Un tiers de l’effectif devrait prendre sa retraite en 2012.

Aujourd’hui 10 % de l’effectif administratif est précaire : stagiaires, alternances, CDD. Et la direction regarde avec intérêt de l’autre côté de la Méditerranée. En 2007, dans une filiale d’Axa, Direct Assurance, la moyenne des salaires des sites de Nanterre et Rennes était de 1 600 euros net par mois, pour 32 heures de travail par semaine. Les collègues du Maroc, eux, travaillent 44 heures pour un salaire moyen de 220 euros. La direction générale d’Axa a déjà planifié la création de 1 500 postes au Maroc d’ici à 2012. En 2004, c’était 35 postes. À la fin 2009, ce sera 900. La délocalisation est réelle, les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2012 seront atteints : augmenter la productivité, réduire le personnel d’un tiers en ne remplaçant pas les retraités, délocaliser 1500 emplois au Maroc.

L’organisation du travail à l’échelle du monde, la preuve par l’informatique et la comptabilité

Aujourd’hui, chez Axa France, la supervision du réseau téléphonique, des infrastructures informatiques, des serveurs, est faite en Inde… L’assistance informatique interne est faite au Maroc. Le développement des projets informatiques est sous-traité en Inde, au Maroc ou au Vietnam via des sociétés de prestations informatiques françaises : Logica, Cap Gemini. La pression des grandes sociétés sur les coûts s’est faite également sur les prestataires et fournisseurs informatiques.

Le travail aujourd’hui ressemble à du pilotage de tableaux de bord, de la gestion d’indicateurs, tout est compté en termes de ressources et de coût, tout doit être « mesurable », les hommes et les femmes… Ce n’est plus seulement le travail des chefs ou des directeurs. C’est devenu le travail de cadres techniques qui surveillent ce que les autres font – ce qu’eux faisaient auparavant mais que demain, il ne sera pas nécessaire d’avoir fait pour le surveiller. Par exemple, le métier d’informaticien n’existe pratiquement plus en interne chez AXA. Ce sont d’anciens informaticiens qui contrôlent le travail des fournisseurs informatiques (à l’exemple de la surveillance de la maintenance des centrales nucléaires chez EDF, ce que dénoncent les syndicats).

Des conventions entre le gouvernement marocain et des sociétés françaises sont signées pour l’implantation dans des Technopoles modernes appelées Rabatshore ou Casashore. C’est vrai pour Axa France Vie, pour une filiale commune avec la BNP. Pour Axa Tech, Logica et Dell, deux fournisseurs de « prestations informatiques ». Axa et ses filiales bénéficient de réductions sur les terrains, sur les impôts, d’aide à la formation des ingénieurs. Tout pareil que les conseils régionaux en France !

Chez Axa Monde, existe aussi un programme d’ « industrialisation » de la fonction Finance, par la construction d’une infrastructure technique et d’un outil pour la comptabilité générale et analytique commun à huit pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni et Irlande, Suisse). Il s’agit entre autres de mettre en place une plateforme de services partagés entre les différentes sociétés d’AXA des pays concernés pour réaliser une partie des processus communs. Cette plateforme va démarrer en Inde.

Retour aux « Temps modernes », de Charlie Chaplin

L’utilisation des Nouvelles Technologies Informatiques a modifié le travail dans l’entreprise. Les différentes opérations ont fait l’objet de processus de rationalisation, de standardisation qui en font des tâches extrêmement simplifiées et routinières au même titre que l’activité de surveillance très codifiée.

Les outils permettent la « traçabilité » des processus de gestion. La mise en réseau, la coopération inter-services, la coordination d’activité, la gestion des flux de travail, tout est regardé, mesuré, quantifié. Au fur et à mesure que la technique le permet, on établit des modes opératoires, des procédures à appliquer dans des temps alloués. On compte le nombre d’appels décrochés, le nombre de dossiers traités ou en attente dans des « corbeilles » informatiques, le temps de traitement d’un dossier, la durée entre chaque étape du processus… Selon les secteurs et la clientèle traités – grandes entreprises, PME, particuliers – cela s’appelle « 72h Chrono », « Le Grand Chelem », « 48h Client »…

Le rythme de travail s’intensifie, intérêt du « client » oblige ! Les salariés ont moins d’autonomie sur un dossier qu’ils traitaient auparavant de A à Z. Désormais, ils jonglent avec les différents logiciels informatiques et téléphoniques qui ne communiquent pas forcément bien entre eux : les pannes augmentent le stock… et le stress.

Le petit totalitarisme « identitaire »

De nouveaux métiers sont apparus, dits de « conduite du changement » chargés de préparer les salariés sur le plan technique, mais aussi « psychologique »… On réinvente le « management participatif » pour que l’entreprise s’améliore encore et toujours. Des campagnes « identitaires » se suivent et se ressemblent pour faire que les salariés se « modernisent », intègrent les nouvelles valeurs de l’entreprise (Cap Client, Service en Tête) et ses modèles de comportements (« Disponible, Fiable, Attentionné » !).

Cela aboutit plutôt à un désengagement. Les collègues ont un avis sur la dégradation du travail, une appréciation sur leurs nouveaux jobs : l’impression de faire de la « m... » alors qu’on les bassine avec la qualité et le service au client.

D’Axa Monde à la Révolte Monde !

Les salariés ont bien conscience d’être les maillons d’une vaste chaîne de travail répartie aux quatre coins de France et du monde. Les relations de travail sont dématérialisées : on ne connaît plus physiquement le « maillon » voisin : un service, une boîte mail qui est dans le bâtiment d’à côté, une ville française ou à l’autre bout du monde. Tout cela dans un contexte de productivité accrue, de formalisation des procédures, d’évaluation individualisée des performances.

Avec ces équipes virtuelles, les relations de coopération et de solidarité sont plus difficiles à nouer… mais quand elles le seront – et elles ne manqueront pas de l’être – quelles facilités téléphoniques et informatiques aussi… pour la riposte planétaire commune !

Christine SCHNEIDER


[1Publicité évidemment non payée, mais l’entreprise a été rendue quelque peu célèbre par le documentaire de France 3, « La mise à mort du travail » (de Jean-Robert Viallet et Christophe Nick), qui montre l’« excellence » de Carglass en matière d’exploitation maximum.

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