En ce mois d’avril 2016
Les postiers du vingtième, à Paris, relèvent la tête
Mis en ligne le 21 avril 2016 Convergences Entreprises
En ce mois d’avril, à Paris, au centre de distribution postale du 20e, les postiers, choqués par la décision de la direction de licencier un jeune mis en difficulté après une récente restructuration, ont décidé de se mettre en grève pour empêcher qu’il ne soit mis à la porte. Même s’ils n’ont pas pu l’emporter, ils étaient fiers de s’être mobilisés et cela a commencé à changer l’ambiance au boulot.
Revenons sur le contexte de ce licenciement.
La Poste licencie tandis qu’elle use et abuse des contrats précaires
« Vous êtes dynamique, autonome, tenace, loyal ? ». Voici ce qui est demandé sur un site d’embauche par intérim à La Poste. Pour un salaire à peine plus élevé que le Smic.
Car, à mesure que La Poste vide ses services, guichets, centres de distribution, centres de tri de leur personnel, elle a de plus en plus recours à des contrats précaires pour assurer les services. Difficile de savoir à combien de travailleurs en CDD ou intérimaires La Poste fait appel aujourd’hui. Mais ce chiffre est en augmentation. C’est une certitude. Sur chaque centre de distribution parisien, là où travaillent les facteurs, une dizaine de travailleurs intérimaires assurent quotidiennement les tournées de courrier, embauchés parfois plusieurs mois, parfois un jour ou deux. Parfois même illégalement pour remplacer des grévistes ! Certains tournent sur tout Paris, d’autres sur toute l’Île de France. Avec toutes les difficultés que cela implique de distribuer le courrier sur des tournées qu’ils ne connaissent pas.
Dans le même temps, La Poste « forme » un grand nombre de jeunes en apprentissage (bac pro logistique, contrats pro) ou de moins jeunes en contrat d’avenir (sorte de contrat d’insertion) tout en leur disant d’emblée que l’embauche n’est pas au bout. La direction de La Poste a annoncé en 2015 qu’elle mettait un gros coup de frein aux recrutements malgré un grand nombre de départs à la retraite prévus. Déjà, en 2014, sur 4 200 contrats en alternance, seuls 2 145 avaient signé un CDI, sans compter les 1 000 emplois d’avenir dont on ne sait exactement quel nombre a débouché sur un CDI.
La Poste touche le pactole
L’avantage pour La Poste, c’est de toucher les subventions liées à ces contrats (cumulables avec les réductions Fillon datant de 2003), de débourser un minimum pour leur paye, le reste étant pris en charge par l’État, et de les faire travailler autant que les titulaires au bout de deux mois de présence. Pour les contrats pro, elle touche 2 000 euros d’aide initiale de l’État plus 686 euros pour le tutorat, et ne s’acquitte pas des versements au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles. Pour les apprentis, elle touche 1 600 euros par contrat et ne paye qu’une partie d’un salaire situé entre 25 % et 78 % du Smic. Pour les contrats d’avenir qui peuvent aller jusqu’à trois ans, La Poste ne débourse qu’entre 689 et 513 euros brut par mois, sans aucune prime de précarité.
Un vrai pactole donc pour un groupe qui a annoncé le plus gros chiffre d’affaires de toujours, plus de 23 milliards d’euros pour 2015. Il continue sur sa lancée avec la complicité des gouvernements passés et présent qui prétendent que ces subventions sont des aides à l’embauche alors qu’il n’en est rien. Selon la Dares et d’autres sources statistiques, les 2,5 milliards d’euros au titre de ces aides que l’État va encore verser au patronat en 2016 n’ont aucune efficacité pour des embauches qui se feraient de toute façon. Dans un article récent, même Le Figaro parle d’un « effet d’aubaine » pour le patronat. C’est dire !
Un vrai plan de licenciement déguisé
Le comble, c’est que La Poste licencie à tout-va des agents en CDI (à présent plus nombreux que les fonctionnaires), quelques milliers par an. Et cela s’accélère comme en témoignent les élus du personnel de différents syndicats qui siègent dans les conseils de discipline. À Paris, c’est tous les jours que des salariés passent en conseil de discipline à la moindre broutille avec plusieurs mois de mise à pied sans salaire ou avec, au bout, le licenciement.
Alors, ici et là, les postiers réagissent contre ces pratiques scandaleuses, se mobilisent, font grève pour l’embauche en CDI de collègues en contrat précaire ou contre des licenciements. Il y a deux ans en région parisienne, à Rueil-Malmaison dans le 92, une longue grève, qui s’était étendue à d’autres bureaux, avait démarré pour l’embauche de trois collègues et avait eu gain de cause notamment sur ce point (voir Convergences Révolutionnaires n°93).
À Paris 20, le licenciement de trop
Au centre de distribution du 20e arrondissement parisien, donc, le directeur pensait que le licenciement d’un collègue passerait sans embûches, le jeune postier ayant eu une altercation avec une usagère. Celui-ci avait fait une lettre d’excuses à l’usagère, celle-ci avait envoyé un mail à la direction expliquant qu’elle ne voulait pas être responsable d’un licenciement. Mais rien n’y a fait. La Poste était si sûre d’elle que, parmi ses deux représentants siégeant au conseil de discipline, figurait la compagne du directeur !
C’était sans compter sur un grand nombre de ses collègues qui ont fait signer une pétition, distribué des tracts dans tout le centre, participé à des assemblées générales à l’initiative de la CGT locale. Une délégation de 65 postiers du centre est allée dire son fait au directeur qui n’en menait pas large face à leur détermination à défendre ce travailleur.
Conforté par la direction centrale de La Poste parisienne, le directeur s’est entêté et, le 14 avril, 74 postiers du 20e étaient en grève pour défendre leur camarade, suivis par une quinzaine de facteurs du 11e arrondissement travaillant dans le même site (400 agents en tout).
Si leur nombre n’a pas suffi cette fois-ci à faire plier la direction, les grévistes ont été fiers de relever la tête face à La Poste qui envoyait un de leurs collègues au chômage. 25 d’entre eux ont même décidé de reconduire le lendemain pour montrer leur indignation et leur détermination à ne pas se laisser faire à l’avenir. Même parmi les non-grévistes, la grande majorité a jugé ce licenciement inacceptable et fait le lien avec la loi El Khomri, taillée sur mesure pour que le patronat licencie à tout-va et maintienne les travailleurs sous sa coupe. Ce n’est donc pas gagné, mais le moral des collègues, au centre, a changé et l’affaire n’est pas terminée.
16 avril 2016, Anne HANSEN
Mots-clés : La Poste