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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 38, mars-avril 2005

Les lycéens contre la loi Fillon : quand la jeunesse s’invite dans la lutte de classe

Ici ou là, à Nantes par exemple, quelques manifestations contre la loi Fillon avaient déjà eu lieu. Mais c’est la journée d’action des fonctionnaires, et notamment du corps enseignant, du 20 janvier qui a été l’occasion pour quelques centaines de lycéens de la région parisienne de se retrouver et de donner le coup d’envoi de ce qui allait devenir un véritable mouvement. C’est pourtant sans se concerter que les élèves de Savigny, d’Achères, de Vitry et de Saint-Denis, entre autres, avaient choisi de se joindre à leurs professeurs pour manifester ce jour-là.

Nous partîmes 500...

Des actions locales suivent fin janvier : les élèves du lycées Chérioux à Vitry font une semaine de grève pour exiger des moyens suffisants. Ceux de Pablo Picasso, à Fontenay-sous-bois, pour la réintégration d’un vacataire. À Paul Éluard à Saint-Denis, la grève est victorieuse : le lycée conservera sa classe prépa (chose bien significative : c’est une des rares du 93 !).

Simultanément, des réseaux militants embryonnaires se constituent. À Paris grâce à l’Assemblée générale proposée par les Jeunesses communistes révolutionnaires dès le soir du 20 Janvier. Mais aussi parce que les syndicats de lycéens, la Fédération indépendante et démocratique des lycéens (FIDL) et l’Union nationale des lycéens (UNL), liés au Parti socialiste, ainsi que les Jeunesses communistes du PCF entrent dans la danse. De diffusions de tracts en coups de fils, la pression monte. La date du 5 février, journée d’action public/privé, s’impose : ils sont 1000 à se joindre aux salariés dans la manifestation parisienne. Déjà, le gouvernement s’inquiète : il paraît que les lycéens sont comme le dentifrice, une fois sorti du tube, difficile de le faire rentrer. La FIDL et l’UNL anticipent une grosse mobilisation pour la semaine suivante. Autant dire que le pari de lancer leurs forces vers les lycées n’était guère risqué pour les révolutionnaires... bien que les organisations les plus importantes comme LO ou la LCR aient paru (et paraissent encore à l’heure où nous écrivons) bien hésitantes à le faire.

Le mardi suivant, ils sont 10 000 dans les rues. Un galop d’essai qui fait que le jeudi 10 février tous les projecteurs sont braqués sur eux. La Une du Parisien-Aujourd’hui en France, « Pourquoi les lycéens sont dans la rue », en aura convaincu plus d’un qu’il fallait en être ! Alors qu’une académie sur trois est déjà en vacances, le ministère dénombre 100 000 manifestants dans tout le pays.

Les lycéens les plus mobilisés sont quand même inquiets : les vacances seront-elles fatales à leur mouvement ? C’est le pari du gouvernement qui a lancé la procédure d’urgence pour le vote de la loi. Rien n’est encore tranché, mais l’obstacle pourrait bien être surmonté avec brio : le 15 février, ils sont 60 000 à manifester avec leurs professeurs, alors que seules les académies de Paris et Bordeaux ne sont pas encore en congés. Le 24 février, ils sont 30 000 à descendre dans la rue, alors que les villes où les cours ont repris sont justement celles qui étaient en vacances lors de la grande semaine de mobilisation. La semaine suivante, ils défilent à nouveau par dizaines de milliers. L’amendement sur l’apprentissage de la Marseillaise à l’école n’a pas vraiment calmé le jeu !

Un mouvement marqué socialement...

Les manifestations ont donc mis environ un mois à atteindre une masse critique. Étonnant, au regard des précédents mouvements qui explosaient en un semaine. Signe de faiblesse ? D’un mécontentement diffus qui ne se transformera pas en colère générale ? Pas si sûr... Parce que les sentiments exprimés par les lycéens mobilisés sont profonds : beaucoup ont entendu leurs parents pester contre les attaques du gouvernement. Ils sont nombreux à venir de familles qui ont subi les de plein fouet l’offensive de la bourgeoisie : les licenciements, les fins de mois de plus en plus difficiles à boucler. Les discussions sont éloquentes à ce sujet, surtout dans les lycées de banlieue. Pour certains, c’est une évidence que la loi Fillon s’inscrit dans un plan général de démantèlement des services publics. Dans le fond, c’est contre les inégalités sociales à l’école que beaucoup réagissent.

Ce n’est donc pas fortuit si, en région parisienne, le mouvement a été impulsé par les jeunes des quartiers populaires. Il fallait voir ceux de banlieue arriver par milliers après une heure de transport pour manifester dans les beaux quartiers ! Même s’ils sont de plus en plus nombreux, les élèves du centre de Paris ont pris le train en marche. Et quand ils défilent, c’est souvent par solidarité avec leurs camarades des lycées défavorisés.

Autre fait notable, les sections technologiques et professionnelles sont bien représentées dans ces manifestations. Un manque se fait cependant sentir : aucune revendication n’a été formulée pour ces élèves. Au point qu’ils sont nombreux à penser que la loi Fillon ne concerne pas l’enseignement professionnel (il n’en est rien, voir encadré) et à manifester soit pour que leurs petits frères et sœurs aient une chance de ne pas se retrouver sur la voie de garage qu’on leur a imposée, soit, tout simplement, par solidarité.

... et politiquement

Si le contrôle continu au bac avait au départ cristallisé les mécontentements, ce n’est pas parce que les lycéens préfèrent une semaine stressante d’examens aux évaluations réparties sur toute l’année. Mais bien parce qu’ils ont immédiatement compris qu’un bac obtenu dans un lycée populaire serait, encore plus qu’aujourd’hui, dévalorisé par rapport aux bacs des lycées cotés. D’ailleurs, il est significatif que la reculade provisoire de Fillon sur ce dossier n’ait pas entamé la détermination des jeunes manifestants, qui exigent aujourd’hui le retrait de l’intégralité du projet de loi et des moyens supplémentaires pour l’éducation.

Oui, ce mouvement est politique. D’ailleurs, de nombreux lycéens l’admettent au cours des discussions et n’en rougissent pas. Mais bien sûr, cela ne gomme pas la méfiance vis-à-vis des organisations.

Syndicales d’abord. Bien des lycéens affirment leur refus d’être récupérés, et on sent ici ou là une méfiance diffuse vis-à-vis de la FIDL. Non pas que celle-ci ait déjà fait la démonstration qu’elle voulait freiner le mouvement - au contraire, elle a jusqu’à maintenant travaillé à amplifier la mobilisation. Mais ses militants ont une façon bien à eux de mettre en avant leur organisation lors des manifs qui en a énervé plus d’un. Et puis leurs liens étroits avec le PS sont connus de la petite minorité des lycéens les plus politisés, or ceux-ci exècrent souvent ce parti de gouvernement. Pourtant, malgré ces préventions, ce syndicat connaît des succès éclatants dans les établissements où il est le seul à organiser la mobilisation.

Politiques aussi. Malgré quelques hésitations et inquiétudes, le PS soutient globalement ce mouvement par médias interposés. C’est l’occasion pour lui de tenter de se refaire une jeunesse. Marchera, marchera pas ? Pour l’instant, les efforts de « Djack » Lang pour plaire aux lycéens semblent vains. Ne serait-ce que parce qu’ils passent inaperçus : pour des jeunes de 15 ou 16 ans qui découvrent les joies des manifestations, les discours politiciens ne méritent même pas un commentaire. Pour une minorité, c’est plus profond : quelle différence entre l’UMP et le PS ? Même politique, mêmes attitudes...

Raison de plus pour les révolutionnaires de ne pas bouder la mobilisation. En fait jusqu’ici seuls certains courants minoritaires de l’extrême gauche, comme la Fraction de Lutte ouvrière, la JCR et des militants anarchistes, tentent de participer au mouvement et non simplement de le soutenir de l’extérieur. Et passé un moment d’étonnement ou de méfiance de la part des lycéens, les militants qui font la preuve qu’ils peuvent aider les lycéens à s’organiser se retrouvent vite comme des poissons dans l’eau. Il serait donc possible pour l’extrême gauche, si elle mettait les forces de ses jeunes générations dans la balance, de jouer un rôle peut-être décisif : en exprimant les aspirations confuses des lycéens à plus d’égalité sociale, à l’école... et ailleurs, en permettant aux élèves des filières professionnelles de s’emparer de mots d’ordre qui les concernent au premier chef, en encourageant et en aidant la structuration du mouvement.

Mai 68 n’a-t-il pas commencé en mars !

Quelles perspectives aujourd’hui ? D’abord, au moment où nous écrivons, les vacances ne permettent pas de savoir si la mobilisation continue son ascension, stagne ou reflue. De ce point de vue, la manifestation prévue le mardi 8 Mars sera un test important.

Si le mouvement passe le cap, de nombreuses tâches attendent les lycéens et les militants qui les soutiennent. Il faudra le structurer : généraliser les AG quotidiennes, qui ne se sont tenues jusqu’ici que dans une petite minorité d’établissements ; construire des coordinations locales, pour qu’aucun lycée ne reste à la traîne ; enfin, trouver le moyen de réunir une coordination nationale véritablement représentative.

Participer à la mobilisation générale du monde du travail du 10 mars sera aussi un objectif. Si le 8 Mars est une réussite, il n’y aura vraisemblablement aucune difficulté à convaincre les lycéens de redescendre dans la rue deux jours plus tard. Aucune difficulté non plus pour défiler avec les salariés, puisque ce mouvement est né lors de manifestations interprofessionnelles. Alors oui, cette semaine est décisive. Les lycéens nombreux le mardi pourraient être un encouragement pour les travailleurs hésitants à manifester le jeudi. Et le 10, des cortèges dynamiques de jeunes pourraient aider à fournir une tonalité plus combative à cette ènième journée syndicale. Et pourquoi pas, donner l’envie à certains salariés de ne pas s’arrêter là. Alors, malgré l’absence de tout plan de lutte élaboré par les confédérations syndicales et les partis de gauche, pourrait émerger le sentiment que la contre-offensive dont le monde du travail a tant besoin n’est pas hors de portée.

Participer aux manifestations du 10 serait pour les lycéens une façon de s’adresser aux salariés, d’établir concrètement des premiers liens entre la jeunesse scolarisée en lutte et la classe ouvrière, dont elle aurait intérêt à trouver l’appui. Tout comme l’intérêt de tous les travailleurs est que les lycéens imposent le retrait de la loi Fillon, car ce serait la preuve qu’une mobilisation peut contraindre le gouvernement Raffarin à reculer. Avec une actualité marquée par l’annonce des profits record des entreprises du CAC 40, par le passage du taux de chômage officiel au-dessus de la barre des 10 % et par le scandale du train de vie indécent du ministre des finances et de l’austérité, cela pourrait contribuer à donner aux travailleurs une perspective à leur colère et à leur indignation : la voie de la rue et de la grève.

5 mars 2005

Raphaël PRESTON


Les principales dispositions du projet de loi

  • Une sélection encore plus précoce : un nombre accru d’élèves seraient orientés, dès la fin de 5e, dans de nouvelles filières dévalorisées largement consacrées à des stages en entreprises.
  • Le « socle commun » sera réduit à un véritable RMI éducatif dont les élèves des quartiers défavorisés devront se contenter : lire, écrire, compter.
  • Les bourses sont déjà dérisoires et réservées à une petite minorité d’étudiants très défavorisés, mais Fillon veut introduire des bourses « au mérite », encore moins nombreuses et dont seront automatiquement écartés les élèves en difficulté, même s’ils ne sont pas moins « méritants ».
  • Dans les filières professionnelles, en BEP-CAP, les heures consacrées à l’enseignement général sont réduites d’année en année, comme si les élèves ne méritaient pas cette ouverture d’esprit. En seconde générale, la loi Fillon s’attaque à des options importantes pour la culture (troisième langue vivante, sciences économiques, langues anciennes). En 1re « Économique et Social » la science politique serait remplacée par la « gestion de l’entreprise » et en 1re « Littéraire » Fillon parle d’enseigner la « gestion des ressources humaines ». Mais pourquoi s’embarrasser à apporter culture et former l’esprit critique à des jeunes qu’il s’agit de mettre au boulot le plus rapidement possible !
  • La loi Fillon veut accélérer le remplacement de filières CAP/BEP par l’apprentissage, directement sous le contrôle des patrons. Le BEP-Bac Pro serait limité à trois ans avec des classes plus chargées ce qui dévaloriserait ce diplôme et limiterait encore plus les chances de succès pour ceux qui envisagent ensuite un BTS.

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Réactions à cet article

  • Quand les jeunes s’invitent dans la lutte des classes on ne parle plus de prolétariat et de bourgeoisie mais on parle d’un peuple, de freres en lutte contre un ordre établie qui, si il revet divers masques, opprime de la meme façon les camarades jeunes ou moins jeunes, ouvriers, étudiants et employés du service publique.

    Quand la colére monte contre les énemies du peuple, les clivages disparaissent pour laisser place à la lutte fraternelle et salvatrice des peuples sans distinctions aucune. Unissons-nous, non au sectarisme qui nous divise et nous prive chaque jours de la victoire contre l’ordre bourgeois liberticide et cohercitif. Qui disait : « GROUPONS-NOUS ET DEMAIN... »

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