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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 108, novembre 2016 > Moyen Orient

Les guerres de Mossoul et Alep et les rapaces qui y président

10 novembre 2016 Convergences Monde

Sur nos écrans de télévision, les images de la guerre de Mossoul effacent celles d’Alep. D’Alep on nous montrait les bombardements, les ruines, les morts. De Mossoul, il ne faudrait retenir que la fin annoncée du « califat » proclamé par Daech (l’État islamique), et les visages de ces femmes yézidies opprimées (comme toute la population de cette zone) par la dictature de ses bandes armées.

La réalité n’a pas grand-chose à voir avec cette propagande.

La bataille de Mossoul pourrait durer des semaines, voire des mois, nous disent les responsables militaires américains eux-mêmes. Les organisations humanitaires sur place affirment déjà qu’elles n’auront pas les moyens d’héberger les centaines de milliers de réfugiés fuyant les combats et la ville en ruine. L’ONU parle même d’un million de personnes qui pourraient être déplacées.

De plus, la concurrence ouverte entre les coteries rivales dont se sert la coalition dirigée par les USA pour reprendre Mossoul à Daech donne par avance une idée de la dictature que ces diverses fractions armées feront régner à leur tour sur la population de la ville et de sa région, et sur celle des camps de réfugiés, une fois acquise la « victoire » promise sur Daech.

Daech, fruit de la guerre et de l’occupation américaine de l’Irak

Car il ne faut pas oublier que le développement de Daech lui-même est un pur produit de l’occupation militaire américaine de l’Irak, puis de la répression dans le nord du pays exercée par les troupes du gouvernement mis en place par les USA à Bagdad, avant de proliférer avec la répression en Syrie du « printemps » arabe de 2011.

Et si, en juin 2014, la ville de Mossoul (qui comptait alors deux millions d’habitants, contre 1,2 à 1,5 million aujourd’hui) est tombée en à peine quatre jours entre les mains des troupes de Daech, c’était avant tout à cause de la corruption du régime mis en place par le gouvernement américain à Bagdad, des répressions successives de l’armée américaine dans la région, puis celle de l’armée du gouvernement irakien à majorité chiite qui avait pris le relais.

Les troupes rassemblées aujourd’hui par la coalition sont peut-être mieux équipées que celles de 2014. Mais elles ne sont pas moins corrompues, et ne défendent pas moins chacune des intérêts de clans contre l’ensemble de la population. Comme le font aussi les grandes puissances qui président aux guerres actuelles de Syrie et d’Irak : USA, France, Angleterre, Russie, et les puissances régionales qui leurs sont alliées, Turquie, Iran, Arabie saoudite et autres, qui chacune joue aussi son propre jeu.

Oiseaux de proie en tous genres

Une petite classification, en quelque sorte zoologique, des diverses troupes aujourd’hui engagées dans la bataille de Mossoul montre par avance le nouveau chaos et les conflits qui sortiront immanquablement de leur victoire.

Rois de cette guerre, les USA et leurs proches alliés se sont réservé le ciel, d’où ils pilotent les opérations et bombardent les positions supposées de Daech. Leurs hommes au sol servent surtout aux renseignements et à l’encadrement des troupes envoyées dans la bataille. Ils sont tout de même près de 6 000 militaires américains sur le sol irakien. France et Angleterre n’en auraient que quelques centaines chacun.

Ceux qui doivent ramper au sol et risquer leur peau, entre 30 000 et 50 000, face aux 4 000 à 8 000 combattants de Daech (selon les divers chiffres donnés dans la presse), sont formés de pauvres de la région enrôlés dans :

  • des troupes gouvernementales irakiennes, essentiellement chiites ;
  • des milices chiites, en grande partie financées et entraînées par l’Iran, qui est devenu aujourd’hui un des alliés des USA pour le maintien de l’ordre en Irak (et plutôt un allié de la Russie pour soutenir Assad en Syrie). Ces milices sont concurrentes des troupes gouvernementales et hostiles au premier ministre actuel, jugé trop consensuel à l’égard de la communauté sunnite d’Irak ;
  • diverses milites sunnites montées avec l’aide des USA par des chefs régionaux. En partie les mêmes sur lesquelles les USA avaient tenté de s’appuyer dans la région pour mettre en place un pouvoir de remplacement à Saddam Hussein ;
  • 4000 « peshmergas » kurdes. Ce sont de « bons » combattants kurdes aux yeux des occidentaux et même de la Turquie : c’est-à-dire des combattants appartenant aux troupes de Barzani, chef du Kurdistan irakien et représentant la bourgeoisie de cette région, qui tient les robinets du pétrole fourni par la région, notamment à la Turquie ;
  • Quant à la Turquie, qui ambitionne d’imposer son contrôle sur cette région nord de l’Irak, qui lui appartenait du temps de l’empire Ottoman, elle a ses propres supplétifs sous le nom de « gardes de Ninive » : il s’agit d’une milice d’environ 2 000 hommes, composée d’Arabes, de Turkmènes, de Kurdes, que l’armée turque entraîne depuis un an dans un camp situé en Irak, au nord de Mossoul, et dont elle a choisi pour chef l’ancien gouverneur de Mossoul (celui qui a fui la ville en 2014).

Un beau panier de crabes !

Et la bataille n’était pas encore commencée que les querelles débutaient pour savoir lesquelles, parmi toutes ces troupes, seraient interdites d’entrée dans Mossoul après la victoire. Le chef du gouvernement irakien voudrait totalement exclure de la coalition la Turquie, dont il craint les ambitions territoriales... mais le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, ménage son allié turc en déclarant : « Nous voulons que la Turquie participe aux opérations contre Daech ».

Les chefs des milices sunnites, de leur côté, craignent que l’entrée dans la ville des milices chiites se traduise par des exactions voire des massacres contre une population de la ville majoritairement sunnite, accusée d’avoir soutenu Daech.

En perspective, donc, la poursuite de l’émiettement de l’Irak, des affrontements entre milices rivales sur le dos de la population et de nouveaux exodes forcés. Même si la situation actuelle de la population est certainement atroce.

Mais là n’est pas le souci des dirigeants de la coalition anti-Daech.

Donnant donnant sur le dos des peuples

Et pendant que Mossoul occupe largement la Une des actualités et prend le pas sur Alep, les grandes puissances, concurrentes certes mais animées du même souci d’éviter surtout les désordres sociaux, se ménagent à leur façon entre elles. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux n’ont pas beaucoup de cartes à jouer en Syrie, après leur vaine tentative d’épauler un certain nombre de groupes armés, tous plus ou moins islamistes, financés par eux ou par leurs alliés (Turquie, Arabie saoudite ou Qatar). Ils semblent donc laisser pour le moment champ libre à Poutine. Le journal Le Monde du 25 octobre écrit : « Les États-Unis, quant à eux, se refusent à intensifier leur programme d’aide à l’opposition modérée et à livrer aux brigades de l’ASL des armes anti-aériennes capables d’infliger des dommages réels aux forces qui les bombardent, y compris russes ».

Et il en est de même pour ménager l’allié turc. Le 21 octobre le secrétaire d’État américain, Ashton Carter, s’était rendu à Ankara pour discuter avec Erdogan de l’offensive de Mossoul. Il s’est apparemment bien gardé de remarques désobligeantes sur le fait que, deux jours plus tôt, l’armée turque avait bombardé en Syrie les positions de milices turques de l’YPG [1], pourtant alliées des USA. Mais, selon le journal Le Monde, « …des militaires américains confiaient que les milices kurdes visées à Marea ne faisaient pas partie du contingent entraîné par eux ». Alors, va pour les 200 morts faits par ce bombardement.

Mais, si les USA semblent avoir momentanément passé leur tour dans la guerre en Syrie, c’est peut-être pour mieux revenir. L’offensive contre l’État islamique à Mossoul est à peine commencée que déjà la coalition pro-américaine parle de préparer l’opération suivante : une offensive semblable sur la ville de Raqqa (200 000 habitants) qui est la plus importante ville syrienne aux mains de Daech.

Qu’importe le chaos, pourvu que coule le pétrole

Depuis l’invasion de l’Afghanistan en 2001 par les USA et leurs alliés, puis celle de l’Irak en 2003, le Moyen-Orient est entré dans un état de guerre permanent.

Côté barbarie, les mêmes gouvernements qui avaient reproché un temps à Assad d’avoir employé des armes chimiques, se gardent bien de condamner l’Arabie saoudite qui a récemment lancé des bombes au phosphore blanc sur la population du Yémen du Sud. Il faut dire que ces bombes lui sont vendues par un trust américain. Washington se dédouane en précisant que « Les États-Unis attendent que tout bénéficiaire de l’aide militaire américaine utilise ces articles conformément au droit international », en ce qui concerne les bombes au phosphore hors des zones habitées (selon le Washington Post).

Et ils voudraient nous faire croire qu’ils ne font la guerre à Mossoul ou ailleurs que pour protéger les populations du Moyen-Orient de la dictature des fanatiques du djihad. L’essentiel à leurs yeux est pourtant que le pétrole coule à flot. En Irak même la production est remontée en flèche depuis l’occupation américaine, atteignant 4,77 millions de baril par jour, soit 60 % de plus que son pic de production (3 millions de barils) d’avant la guerre de 1991 et les dix ans d’embargo qui ont suivi.

31 octobre 2016, Olivier BELIN


[1L’YPG est le parti kurde syrien proche du PKK de Turquie, actuellement la bête noire d’Erdogan.

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