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Les dupes volontaires de l’ONU

9 août 2006

Vue des médias français, la guerre au Liban a deux visages. Il y a d’un côté les images de massacres quotidiens, les familles écrasées sous les ruines de leurs propres maisons, le millier de victimes civiles, les dizaines de milliers de blessés, le million de déplacés (un quart de la population libanaise). Et puis, il y a le ballet diplomatique et l’affairement des chancelleries occidentales censées concocter une savante solution à l’ONU. Le projet de résolution franco-américain rendu public le week-end dernier avait ainsi été annoncé comme un acte décisif de la lutte contre la guerre. Et les commentateurs de presse ou politiques français ont bruyamment promis une tentative tricolore de faire entendre une voix pour la paix, une voix différente de l’Amérique, à l’instar du JDD du 6 août titrant « Liban : l’espoir enfin  » et « le cessez-le-feu se dessine  ».

« Trois temps et deux résolutions »

La déception de ceux qui prétendaient y croire est à la mesure de ce battage. Car, comme l’écrit sans rire Le Monde daté du 8 août, l’accord « prévoit un règlement du conflit en trois temps et deux résolutions  ».

Il faut bien dire que la première risque de ne pas suffire : elle appelle pour l’essentiel « à une cessation complète des hostilités fondée sur la cessation immédiate par le Hezbollah de toutes les attaques, et la cessation immédiate par Israël, de toutes les opérations offensives  ». En clair : le Hezbollah est l’agresseur ; l’armée israélienne ne se voit interdire que les opérations « offensives » (mais puisqu’elle prétend que toute sa guerre est « défensive » !) ; et surtout, il n’y a pas l’ombre du « cessez-le-feu sans délai » que la diplomatie de Chirac était censée imposer à Bush.

L’armée israélienne a donc, une nouvelle fois, carte blanche. Son état-major va pouvoir continuer le massacre, sans terme prévisible, en publiant ses communiqués hebdomadaires répétant imperturbablement qu’il lui faut « encore dix à quinze jours pour terminer le boulot  ». Logiquement, les dirigeants israéliens ont très bien accueilli le texte que Fouad Siniora, le Premier ministre libanais, a immédiatement dénoncé.

En France, l’union sacrée

La diplomatie chiraquienne a encore fait pschitt. Elle avait pourtant reçu le soutien de l’ensemble des partis politiques hexagonaux. Depuis le début de la guerre, de l’UMP au PC, c’est l’union sacrée autour de « la grande politique arabe de la France ». Le porte-parole du PS, Julien Dray, a pris une position pas moins favorable que la droite à la politique israélienne, qualifiant le Hezbollah d’« agresseur, qui a pris la responsabilité d’ouvrir les hostilités en s’en prenant à des soldats israéliens », justifiant « la réaction du gouvernement israélien, légitime au regard de l’agression  ». Et Dray d’apporter son soutien à la demande de Chirac de « désarmer toutes les milices », donc le seul Hezbollah - c’est-à-dire précisément le but de guerre de l’armée israélienne.

Le Parti communiste, de son côté, a tenu à se démarquer plus nettement des politiques américaine et israélienne. L’Humanité a rendu compte avec soin de la lettre ouverte « d’élus locaux et nationaux  » écrivant à Chirac leur « souhait de voir la France s’exprimer et peser, comme elle a su le faire [...] lors de l’invasion de l’Irak par les États-Unis, pour exiger l’arrêt immédiat et sans conditions des bombardements au Liban. » Mais invités à Matignon le 25 juillet, les dirigeants des grands partis se sont finalement retrouvés « tous unis » comme s’est réjoui François Hollande. Et Marie-George Buffet en a conclu que « la diplomatie française commençait à bouger dans le bon sens  ».

L’ONU, combien de résolutions ?

Le caractère dérisoire du projet de résolution du 5 août va peut-être refroidir l’enthousiasme nationaliste des partis de gauche pour la prétendue indépendance du petit impérialisme français à l’égard des Etats-Unis. Mais ça ne suffira sûrement pas à dissiper les illusions sur l’enjeu des résolutions elles-mêmes. C’est pourtant là l’arnaque de fond : laisser croire que l’ONU n’est pas ce qu’elle est, c’est-à-dire la chambre d’enregistrement moralisante de la politique des grandes puissances, qui en l’occurrence ne désapprouvent pas cette guerre.

De toute façon, les Nations unies ont voté ces dernières décennies plus de 400 résolutions concernant le peuple palestinien... et l’Etat d’Israël n’a eu aucun mal à s’asseoir dessus. Les grandes puissances soutiennent la politique coloniale de l’Etat israélien : cette raison des plus forts est infiniment supérieure à toutes les résolutions que pourront rêver les dévots de l’ONU. La perspective d’une intervention militaire internationale au Liban, qu’elle soit sous couleur onusienne ou de l’OTAN, ne changerait rien à l’affaire. Si l’armée israélienne ne parvient pas à se dépêtrer du Hezbollah, dont elle a visiblement sous-estimé la force, elle pourrait même être soulagée de recevoir un coup de main de la police internationale, comme elle l’a déjà laissé entendre.

Les peuples libanais et palestinien (car cette guerre a aussi un front à Gaza, oublié la plupart du temps par les médias et politiques français alors que la raison fondamentale du conflit est l’oppression du peuple palestinien par Israël) peuvent aujourd’hui sembler dans l’impasse. Et pourtant, ne serait-ce que lors du demi-siècle passé, bien des peuples ont réussi à se débarrasser de l’oppression d’armées apparemment beaucoup plus puissantes. Parce que, heureusement, les cyniques prêchi-prêchas de l’ONU n’ont pas étouffé leur juste révolte ni arrêté leur lutte.

Benoît MARCHAND

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