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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 10, juillet-août 2000 > DOSSIER : L’immigration, un problème ?

DOSSIER : L’immigration, un problème ?

Les combats et les dérives du mouvement ouvrier

Mis en ligne le 1er août 2000 Convergences Politique

Dans les pays industrialisés, la classe ouvrière fut d’emblée composée de multiples nationalités. Le mouvement ouvrier n’a pas été pour autant toujours internationaliste !

Bien sûr, il y avait le poids des préjugés xénophobes, présents dans la classe ouvrière comme ailleurs. Il y eut aussi la dégénérescence de nombreuses organisations, politiques ou syndicales, qui finirent par faire de toute façon la politique que dictaient les intérêts patronaux. Mais également parfois de graves dérives politiques pour des militants ouvriers sincères, et pas spécialement xénophobes eux-mêmes.

Quand le patronat « importa » des Irlandais en Grande-Bretagne ou des Belges et des Italiens en France, nom`re de travailleurs « natifs » eurent le réflexe de se défendre contre la concurrence organisée par le patronat en luttant... contre les immigrés eux-mêmes. Au moment de la crise économique des années 1890, dans le Nord, des mineurs français manifestèrent pour refouler les frontaliers belges. Le premier syndicat créé dans une fonderie à Longwy exigea... le licenciement des étrangers. Le pire eut lieu en 1893, à Aigues-Mortes, où la Compagnie des Salins du Midi employait manœuvres français et saisonniers italiens. À la suite de fausses rumeurs, un demi millier de personnes, années de gourdins, de pelles et de fusils, se livra à un véritable pogrom contre les Italiens, en massacra des dizaines. Tous les Italiens furent licenciés et expulsés.

Limiter l’immigration...

Des syndicats réclamèrent très tôt des clauses protectrices contre l’emploi de travailleurs étrangers, voire la fermeture des frontières. Une telle politique se prétendait déjà « réaliste », et apparaissait parfois convaincante même pour des travailleurs dénués de préjugés racistes. En attendant la plus ou moins utopique « société socialiste », où les frontières pourraient toujours disparaître, comment limiter la pression à l’exploitation engendrée par l’immigration, sans limiter cette immigration elle-même ?

Ce raisonnement fallacieux amena en France, la première loi restrictive de l’immigration en 1899, œuvre... du ministre « socialiste » Millerand. Les industriels ne pouvaient plus faire appel à la main d’œuvre étrangère que dans des proportions comprises entre 5 et 30 % des effectifs. La loi aggrava surtout les contrôles policiers sur les immigrés.

Aux Etats-Unis, les syndicats corporatistes de l’AFL, au début du siècle, refusaient d’organiser les non-qualifiés, ce qui voulait souvent dire les nouveaux immigrants. Des grèves furent organisées jusque dans les années 1950 pour interdire l’embauche de travailleurs noirs. En Afrique du Sud, les travailleurs blancs des mines avaient mené des luttes quasi-insurrectionnelles contre les compagnies, dans les années 20. Cette partie du mouvement ouvrier est morte avec l’apartheid, quand la bourgeoisie « accorda » aux travailleurs blancs le monopole des emplois qualifiés.

Car partout, la bourgeoise a su conjuguer une politique de mise en concurrence directe des nationaux et des immigrés (ou des Blancs et des Noirs) avec une discrimination dans le travail, les tâches les plus pénibles et les moins payées pour les immigrés, le monopole des meilleurs postes de travail pour les nationaux. Cela pour monter les travailleurs les uns contre les autres, acheter un peu de « paix sociale » chez les uns et isoler les autres, et maintenir ainsi sa domination sur l’ensemble. Elle a ainsi pu retourner en sa faveur des « revendications », réactionnaires, que reprenaient des travailleurs ou leurs organisations, aidant ainsi à préparer de futures attaques contre eux-mêmes.

... ou lutter pour une seule classe ouvrière ?

Il n’y a donc jamais eu d’autre politique viable qu’internationaliste, celle qui consiste non seulement à organiser une solidarité d’un pays à l’autre, mais aussi à organiser les travailleurs immigrés et les entraîner dans les luttes de toute la classe ouvrière. Encore faut-il pour cela ne pas se sentir lié aux intérêts de « son » Etat national et lutter contre tout ce qui divise la classe ouvrière, même si parfois cela semble à contre-courant, voire contre l’intérêt particulier d’une fraction d’entre elle, comme les « nationaux ».

Cela le mouvement ouvrier sut aussi le faire. Ainsi le Parti communiste tenta de recruter largement au début des années 1920, en France, chez les ouvriers italiens, juifs d’Europe centrale ou encore polonais. Il créa parfois des groupes séparés et une presse dans leurs différentes langues. Mais sans leur proposer un combat séparé de celui des Français, en tentant au contraire de les intégrer pleinement au syndicat et au parti. Quand la CGT réformiste exigeait l’arrêt de l’immigration dès 1924, la CGTU communiste proposait d’organiser les immigrés.

C’est ainsi que le mouvement ouvrier fut capable de faire avancer « l’intégration » des immigrés, quand la participation de ceux-ci à la lutte collective balayait parfois les préjugés et unissait concrètement, comme en 1936, Français et immigrés. Sans oublier que jusqu’à aujourd’hui, les organisations syndicales ont trouvé bon nombre de leurs cadres dans l’immigration. Dans certaines industries, à Citroën par exemple, les étrangers forment l’essentiel des effectifs de la CGT, comme en d’autres temps les Italiens dans la sidérurgie.

Et aujourd’hui ?

En France, on a vu se développer pendant 20 ans le vote pour le FN, y compris dans la classe ouvrière. Mais on n’a pas vu de grèves contre les immigrés, fort heureusement. Les syndicats mettent volontiers en avant des militants issus de l’immigration, s’opposent au racisme et ont soutenu, au moins partiellement, la lutte des sans-papiers.

Mais dans la politique des syndicats ou du PCF on trouve aussi de tristes avatars modernes de la vieille politique de « lutte contre l’étranger » : le slogan « Produisons français » du PCF en 1980, auquel Le Pen n’eut plus qu’à ajouter « avec des Français » ; plus récemment la position de la CFDT contre la régularisation de tous les sans-papiers, sous prétexte que « l’ouverture des frontières » est une politique ultra-libérale !

Dans la Fonction publique la plupart des directions syndicales défendent le principe de nationalité à l’embauche, sous prétexte de défendre les « statuts », l’emploi, et les salaires des Français, De même, le PCF et la CGT ont protesté contre les lois de 1991 et 1996, qui autorisent l’embauche de ressortissants de l’Union Européenne dans les secteurs « industriels et commerciaux » de l’Etat. Cela n’empêche pas l’Etat d’exploiter dans l’Education Nationale, dans les hôpitaux, à la Poste, à la SNCF ou encore dans les collectivités des dizaines de milliers d’étrangers, mais il les utilise justement comme des travailleurs précaires et privés des avantages « statutaires ».

Le problème d’un fossé entre nombre de travailleurs français et immigrés demeure donc. Du côté des Français, avec la crise, la faiblesse des luttes sociales et la politique de la gauche, les préjugés ne semblent pas avoir reculé... Et chez nombre d’immigrés, la tentation du repli sur leur communauté est aussi réelle, d’autant plus lorsqu’ils sont coupés du reste de la classe ouvrière par leurs professions, leur statut, leurs conditions d’installation en France.

Une division que le mouvement ouvrier ne peut surmonter qu’en luttant contre toute discrimination, quelle qu’elle soit, tout en s’efforçant d’organiser ensemble l’ensemble des travailleurs, toutes catégories confondues. Mais surtout en proposant à tous une lutte pour les revendications générales qui changeraient le sort de tous. Car ce n’est que dans les luttes communes pour des buts communs que la classe ouvrière s’est toujours retrouvée unifiée, toutes nationalités mêlées.

Bernard RUDELLI

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