Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Autres > Tribunes de la Fraction dans l’hebdomadaire Lutte ouvrière > 2005 > juillet > 28

Le nouvel habeas corpus : présomption de culpabilité

28 juillet 2005

Dans le jargon policier, politicien ou médiatique, on appelle ça une « bavure ». Jean Charles Menezes était un électricien brésilien installé à Londres depuis cinq ans. Pour s’en sortir il cumulait ce travail avec celui d’aide cuisinier dans le quartier de Charing Cross. Il a été abattu par les forces spéciales du SO19 dans le métro à la station Stockwell. Tout semble indiquer qu’il était déjà immobilisé, ventre à terre, quand il a reçu les balles mortelles en pleine tête. Quel était le crime de cet homme de 27 ans ? Avoir porté un manteau d’hiver trop ample, comme on nous l’a dit ? D’avoir eu peur, lui le travailleur immigré, de policiers en civil qui le suivaient depuis une demi-heure.

Les policiers se sont trompés. Après pas mal d’atermoiements, ils le reconnaissent. Mais ils se sentent couverts par la nouvelle procédure anti-terroriste et le feu vert donné pour l’exécution sans sommation de tout suspect qui pourrait constituer une menace à leurs yeux. En revanche, dans le climat qui doit régner aujourd’hui à Londres et en Grande-Bretagne, avec des policiers qui ont reçu justification par avance de tout usage de leurs armes sur simple présomption qu’ils pourraient avoir affaire à un individu dangereux, ce sont les civils qui ne doivent pas se sentir couverts. En particulier ceux originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique dont la couleur de peau est trop foncée pour l’atmosphère britannique, mais pas seulement eux.

Car une telle bavure s’explique d’abord par la nervosité de policiers qu’on a mis sur le qui vive, qui se sentent eux-mêmes menacés et dont on a gonflé la tête en décrétant qu’en tant que protecteurs de la nation, ils peuvent tout se permettre. Mais ce qui est sûr aussi c’est que les racistes parmi eux doivent se sentir les coudées encore plus franches que d’habitude. L’assassinat de J.C. Menezes ne montre-t-il d’ailleurs pas les préjugés qui règnent parmi la gente flicarde britannique : après tout, c’est bien sur la simple couleur de sa peau qu’il a été suspecté et pris en filature... et pas par n’importe quel flic mais par des soi-disant experts de la lutte anti-terroriste ! Des experts dont la science semble donc se limiter à juger que tout individu au teint bronzé est un poseur de bombe en puissance.

Si aucun Britannique ne peut se sentir en sécurité (et pas seulement à cause des assassins de la mouvance d’Al-Qaïda) ce sont les millions d’habitants originaires des pays du Sud ou de l’Est qui le peuvent encore moins, eux qui, déjà tout aussi menacés par les poseurs de bombes islamistes, le sont de plus par le racisme de certains policiers.

Un racisme encouragé par la politique sécuritaire du gouvernement de Blair, ce rideau de fumée pour éviter qu’on remette en question sa participation à la guerre en Irak.

Un racisme encouragé par le gouvernement mais aussi par tout l’establishment politique, de droite comme de gauche : c’est sans peine que Charles Clarke, ministre de l’Intérieur, a obtenu l’union de tous les députés, conservateurs, libéraux-démocrates et, bien sûr, travaillistes pour faire passer un volet législatif anti-terroriste, basé sur des allégements des garanties de libertés individuelles, et augmenter les pouvoirs de la police. Et cette union sacrée fait écho à une campagne de grande ampleur de la presse qui, du Sun au Times, parle « d’ennemi intérieur » ou du silence de « populations qui ont quelque chose à cacher ». Certes, Blair et ses ministres appellent au calme devant les médias, mais le dispositif sécuritaire qu’ils mettent en place accrédite l’idée qu’il y aurait bel et bien un problème du côté de la population immigrée. Ce qui renforce les préjugés dans la population britannique qui ne peuvent eux-mêmes que renforcer ceux de la police qui peut ainsi s’appuyer sur un prétendu consensus dans le pays.

Les agressions racistes signalées (on estime leur nombre réel quatre fois plus important) contre les 3% de musulmans ont redoublé : 800 en quinze jours à Londres, 1 200 dans tout le pays, les dégradations et « délits à caractère religieux » selon les critères de la police sont passés de 30 pour la même quinzaine l’année dernière à près de 200. Dans la banlieue pauvre de Leeds, Beeston, on a vu un rassemblement d’une centaine de militants du National Front parader et provoquer dans les quartiers immigrés.

La première conséquence de la politique criminelle des tenants d’Al-Qaïda, outre les dizaines de victimes, est donc d’avoir donné un nouvel essor aux préjugés et attentats racistes. Mais c’était bien là sans aucun doute le premier objectif de gens qui, pour mieux dominer la communauté musulmane, en Angleterre comme dans le monde, la veulent coupée des autres et en butte à l’hostilité du reste de la population.

Tout aussi remarquable pourtant est le fait que les mesures de sécurité du gouvernement anglais, prises paraît-il en réaction aux attentats islamistes et consistant à restreindre les droits de tous et assurer plus de marges à la police, aboutissent à conforter... la politique des assassins islamistes.

À méditer au moment où Blair, qui a pris lui-même exemple sur Bush, voudrait étendre son propre exemple aux autres pays européens... qui comptent eux-mêmes d’innombrables Sarkozy prêts à le suivre.

Tristan KATZ

Imprimer Imprimer cet article