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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 19, janvier-février 2002 > DOSSIER : Insécurité : des voyous, des flics et des démagogues...

DOSSIER : Insécurité : des voyous, des flics et des démagogues...

Le mythe du laxisme, la réalité de la répression

Mis en ligne le 1er février 2002 Convergences Politique

Laxiste, la justice ? La police aime beaucoup se plaindre de la supposée tendance des juges à relaxer les délinquants, ou de certaines carences juridiques, qui empêcheraient de les sanctionner.

« On est plus répressif, c’est comme ça ! »

Quand elle était Garde des Sceaux, Guigou l’avait pourtant avoué tout net dans Libération (9 juillet 1999) : « On est plus répressif, c’est comme ça, il ne s’agit pas de le contester ». Il n’y a certes pas eu une inflation carcérale comparable à celle qui a couvert le territoire américain de nouvelles prisons dans les 20 dernières années, faisant par exemple de l’administration pénitentiaire le premier employeur californien. 1,7 million d’adultes sont emprisonnés aux Etats-Unis, et le taux d’incarcération est passé de 96 détenus pour 100 000 habitants en 1970 à... 648 en 1997 (contre 90 en France, dans la moyenne européenne).

En France, les chiffres ne montrent pas spécialement la clémence des tribunaux : la population carcérale a doublé entre 1975 et 1995 pour atteindre un record historique de 58 000 personnes détenues en 1996. Elle a certes décru depuis, passant à 51 534 détenus en 2000 : il y a eu un effort pour désengorger des prisons surpeuplées de façon explosive, en diminuant massivement les détentions en préventive.

Cependant, les mesures de remise de peine et de libération conditionnelle ont elles aussi été limitées, et ont diminué de moitié ! Il ne s’agit donc pas d’un infléchissement général vers la clémence. Depuis 5 ans, les tribunaux se montrent de plus en plus sévères : onze fois plus de peines de plus de 5 ans, trois fois plus de peines de plus de 10 ans, deux fois plus de condamnations à perpétuité. Entre 1975 et 1998, la durée moyenne de détention a presque doublé, passant de 4,3 mois à 8,3 mois.

Quelques exemples de « l’indulgence » coupable des juges : – un jeune a été condamné à 10 mois de prison ferme pour avoir participé à des dégradations lors des manifestations lycéennes d’octobre 1998 ; – une jeune fille de 18 ans, inconnue des services de police, a été condamnée à 18 mois de prison, dont 8 fermes, pour avoir incendié une voiture lors d’émeutes à Strasbourg ; – un Haïtien en situation régulière a été condamné à une interdiction définitive du territoire pour possession d’un gramme de cannabis ; – la 14e chambre correctionnelle de Bobigny détient le record de la plus lourde condamnation pour « séjour irrégulier » et refus d’embarquer : trois ans de prison ferme.

Bien sûr, ce ne sont que quelques exemples, pas un aperçu fidèle de l’ensemble des peines distribuées. Mais ils suffisent à relativiser les quelques anecdotes de « laxisme judiciaire » que policiers, journalistes et politiciens se plaisent si souvent à diffuser, en les faisant passer pour l’ordinaire de la justice...

Que faire des « sauvageons » ?

Une autre rengaine voudrait que les délinquants mineurs ne soient pas « punis ». Faute de s’attaquer au chômage et à la précarité qui frappent massivement les familles de la plupart de ces jeunes délinquants, les démagogues s’en donnent à cœur joie. En janvier 1999, Jospin annonçait la création de « centres de placement immédiat strictement contrôlés », destinés à « éloigner » les mineurs « multirécidivistes », bref, une remise au goût du jour des maisons de correction pour les « sauvageons » dénoncés par son ministre de l’Intérieur Chevènement. D’autres, et pas seulement à droite, réclament la révision dans un sens plus répressif de l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, ou encore la suppression des allocations aux parents de jeunes « récidivistes »¼

Des mesures dont on voit mal comment elles pourraient remettre « dans le droit chemin » des adolescents agressifs et passablement paumés. Le taux de récidive pour les mineurs incarcérés est d’ailleurs estimé à plus de 75 % (dans les 5 ans qui suivent leur sortie de prison). Car la prison existe bel et bien pour les mineurs, même s’il leur est accordé des circonstances atténuantes et des diminutions de peine dues à leur jeune âge. 2368 mineurs ont été incarcérés en 1993, 4030 en 1998.

Une fois de plus, la campagne contre le prétendu laxisme des juges maquille les réalités, évite les vrais problèmes et écarte la discussion des possibles solutions.

Bernard RUDELLI


Une justice de classe

Depuis quelques années les gouvernements, dans le souci proclamé d’éviter des relaxes « choquantes », ont fait la promotion du « traitement de la délinquance en temps réel » et de la « comparution immédiate ». Il s’agit en fait de faire porter les efforts des magistrats, de façon prioritaire, sur les infractions constatées sur la voie publique, autrement dit certains vols (et généralement les plus petits larcins) et les infractions à la législation sur les stupéfiants et à la police des étrangers. Cela cible donc tout naturellement des catégories particulières de la population : jeunes des quartiers pauvres, sans-papiers, sans-abri. La délinquance économique et financière, elle, peut attendre... Dans l’affaire Elf, le juge Eva Joly disposait d’un enquêteur policier et demi, pour l’assister dans son enquête !

Si laxisme judiciaire il y a, c’est pour les patrons. L’insécurité au travail, aggravée par les multiples infractions au code du travail que pratiquent les employeurs, n’est pas une priorité. Les inspections dans les entreprises sont de plus en plus rares : en 1974, 30 % des entreprises ont été contrôlées, contre 14 % en 1993. Seuls 1250 inspecteurs et contrôleurs couvrent l’ensemble des entreprises privées du territoire français (14 millions de salariés). La plupart des infractions constatées sont suivies de relaxe ! Sur un million en 1995, 30 000 (3 %) ont donné lieu à une observation ou à une mise en demeure, et sur ces 30 000, 25 % ont abouti à une condamnation ! Condamnations accompagnées, évidemment, de sanctions le plus souvent ridicules.


Des prisons « 3 étoiles » ?

L’idéologie pénitentiaire officielle veut que l’enfermement serve non seulement à punir, et à dissuader ainsi d’éventuels imitateurs ou la récidive, mais aussi à transformer le délinquant et préparer sa réinsertion dans la société.

Des vœux pieux ridiculisés par la réalité des conditions de détention. Les prisons françaises sont surpeuplées, avec un taux moyen d’occupation de 119 % en 1999. Ce qui signifie parfois 4 à 5 détenus enfermés ensemble dans des cellules de 9 m2, trois lits superposés, 2 matelas à terre, les WC au milieu.

Les conditions d’hygiène sont bien souvent lamentables. Les normes officielles prétendent garantir aux détenus « trois douches par semaine ». Mais à la Santé, par exemple, il y a trois douches par étage, pour 100 personnes, et on y attrape mycoses et diverses maladies.

Promiscuité, état de grande pauvreté de nombre de détenus, conditions de vie dégradantes, humiliations, les prisons sont des enfers, bien faites pour fabriquer des délinquants. D’autant plus et surtout qu’à la sortie de prison il est souvent plus difficile de trouver un toit et un boulot qu’il ne l’était déjà avant d’y entrer. Ou que les seuls qui vous en offrent sont les relations dans le milieu, celles qu’on a pu se faire... en prison justement.

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