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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 5, septembre-octobre 1999

Editorial

Le loup habillé en berger

Mis en ligne le 1er octobre 1999 Convergences Politique

Euphorique le gouvernement en cette rentrée de septembre 1999 ! Deux ans après son élection, Jospin est au plus haut dans les sondages. Rarement un premier ministre a reçu un tel soutien de la part des médias. Rarement du coup il a pu prétendre, avec une telle vraisemblance, s’appuyer sur le consentement de la majorité de la population. Rien ne semble l’inquiéter ou le menacer. Et sous le vernis de modestie adopté jusqu’alors par Jospin, et tant vanté, perce maintenant l’arrogance, voire l’insolence, de celui à qui tout réussit... ou qui a réussi à le faire croire aux autres. L’échéance des élections présidentielles de l’an 2002 reste lointaine, mais nul ne s’étonnerait sans doute aujourd’hui de voir Jospin sortir victorieux de cette compétition.

Un gouvernement à qui tout sourit...

Contrairement à son malheureux prédécesseur, Juppé, rapidement usé et concentrant sur lui le mécontentement populaire, tout ne sourit-il pas aujourd’hui à Jospin ?

D’abord un cadre économique général plus favorable, même si les signes restent contradictoires, avec notamment la crise financière asiatique ou le désastre socio-économique des pays de l’ex-URSS, et s’il convient d’être prudent en la matière. La croissance que connaissent les Etats-Unis depuis une dizaine d’années et la reprise en Europe depuis peu donnent une plus grande marge de manoeuvre à la gauche plurielle. Certes, cette croissance n’est en rien comparable à celle d’après guerre, et la prochaine récession n’est peut-être pas loin, mais une augmentation du PIB d environ 3 % sur quelque temps permet une plus grande souplesse dans la politique budgétaire et financière.

Grâce à ce contexte, auquel il n’est pourtant pas pour grand-chose, Jospin a réussi à se donner une image plutôt positive dans l’opinion publique et même à gérer le temps en déconnectant l’effet d’annonce et la perception immédiate des mesures prises de leurs véritables effets à long terme. Il peut ainsi expliquer que nous allons assister à une sensible baisse du chômage et même au retour du plein emploi... dans dix ans.

Ensuite la crise de la droite et son incapacité à s’unir, pour ne pas parler d’élaborer une orientation alternative qui la démarquerait de la gauche. Grâce à cette situation Jospin peut occuper le centre du paysage politique et se parer d’une légitimité supplémentaire puisque sans concurrence.

Enfin il y a la politique d’alignement et de capitulation des confédérations syndicales. Acceptant les privatisations, les emplois jeunes, la flexibilisation du temps de travail, le gel des salaires, les dizaines de milliers de licenciements depuis 1997, elles jouent le jeu de la gauche institutionnelle et entérinent défaite après défaite. La CFDT est à l’avant-garde d’un syndicalisme d’entente avec le patronat. La CGT poursuit son projet stratégique d’alliance avec la CFDT et ne veut surtout pas déstabiliser le gouvernement. FO cherche désespérément une place dans le jeu institutionnel. Sans outil organisationnel même les travailleurs et syndicalistes combatifs ne voient pas par quels moyens il est possible de sortir de l’impasse.

... mais à qui les travailleurs ont toutes les raisons de montrer les dents

Car, pour les classes populaires, le bilan du gouvernement Jospin est sans équivoque : davantage de privatisations que sous Juppé et Balladur ; acceptation des restructurations et soutien financier aux entreprises ; stagnation des salaires et du pouvoir d’achat des chômeurs ; refus de régulariser les sans-papiers ; poursuite de la construction de l’Europe des patrons ; participation aux alliances impérialistes comme lors de la guerre en ex-Yougoslavie.

La reprise économique enregistrée depuis quelques temps n’a pas profité de la même façon aux salariés et aux capitalistes, ni même de façon égale aux « exclus » et aux « classes moyennes », dont l’alliance serait devenue la stratégie politique du théoricien socialiste Jospin. L’économie française aurait, paraît-il, créé 567 000 emplois en deux ans. Il reste pourtant plus de 2 770 000 chômeurs officiellement recensés, 11,1 % de la population active. Et les emplois précaires ou à temps partiel forment maintenant 17 % du total, un travailleur de ce pays sur six... et trois travailleuses sur dix.

La récession approfondit la détresse des classes populaires, la reprise accroît les inégalités sociales : cette vieille loi du capitalisme s’applique toujours avec Jospin. Et le gouvernement y veille même soigneusement. Il est bien symbolique que, à la première annonce d’une petite recette budgétaire supplémentaire et inespérée, Strauss-Kahn, gauche plurielle mais ministre des finances, ait immédiatement décidé de l’utiliser en faveur des entreprises (c’est-à-dire leurs propriétaires) ou pour des baisses de TVA qui profiteront essentiellement à la petite ou moyenne bourgeoisie.

D’ailleurs, que le pays soit sorti ou pas du « trou d’air » qui avait donné quelques inquiétudes aux marchés à la suite de la crise financière asiatique, russe et latino-américaine de l’été 98, le gouvernement poursuit imperturbablement la même politique.

Deuxième loi Aubry qui - dans la continuité de la première - entérine une série d’attaques réalisées dans les accords de branche et d’entreprise, notamment la généralisation de la flexibilité, la déstructuration de la législation du temps de travail et l’abaissement du coût du travail.

Projet sur les retraites reprenant le plan Juppé et remettant en cause la plupart des acquis des travailleurs en la matière : d’une part l’alignement de la durée de cotisation du public sur celui du privé et d’autre part l’introduction des fonds de pension qui remplaceraient peu à peu le système actuel.

Plan de réforme hospitalière qui ferait courir des risques plus grands à la santé d’une partie de la population. Projet de réforme de la sécurité sociale qui ne pourrait qu’aboutir à empêcher un peu plus les plus pauvres de se soigner correctement.

Toutes ces attaques du gouvernement constituent un ensemble cohérent. Malgré la complaisance de certains à gauche, ou 1’ aveuglement d’autres à l’extrême gauche, qui soulignent les minimes différences entre Blair, Schroder et Jospin et veulent voir dans le gouvernement français un rempart à la « mondialisation libérale », Jospin semble bien au contraire le meilleur instrument que la bourgeoisie française puisse avoir dans la période actuelle.

En tout cas contre les travailleurs, qui n’ont d’autre choix, s’ils ne veulent pas être défaits à nouveau, que ce soit dans des attaques frontales, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans les années 80, ou par étapes successives plus insidieuses, que de mettre sur pied une riposte d’ensemble tout aussi cohérente que l’offensive des patrons et du gouvernement à laquelle préside aujourd’hui Jospin.

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