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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 31, janvier-février 2004

Le gouvernement Lula et les défis de la gauche révolutionnaire

Mis en ligne le 12 janvier 2004 Convergences Monde

Des camarades du PSTU (Parti socialiste des travailleurs unifié) brésilien nous ont adressé cette tribune libre. Cela ne signifie pas évidemment que nous en partageons toutes les analyses et n’avons pas d’interrogations sur la politique du PSTU (comme de toute l’extrême gauche brésilienne). Nous les avons d’ailleurs exprimées en partie dans la tribune de la Fraction publiée dans Lutte de classe numéro 76 intitulée « Les trotskistes et ’l’expérience’ Lula ». Mais, c’est une des raisons d’être de Convergences révolutionnaires : nous croyons à la nécessité du débat au sein de l’extrême gauche française comme internationale et celui-ci passe évidemment par la possibilité pour les différentes organisations de faire connaître leurs positions les unes aux autres.


L’élection de Lula a exprimé le rejet de huit années de gouvernement FHC [1] et de la politique économique du FMI ainsi que le refus du chômage, des pertes de salaire, du démantèlement du service public...

Le désir de changement a été canalisé dans le processus électoral. Lula a su incarner ce désir et son élection a été vécue par les masses citadines et rurales, et fêtée, comme une victoire. Mais certains secteurs de la classe moyenne, espérant le changement, ont aussi voté pour Lula.

Et, au moment où la social-démocratie européenne perdait plusieurs gouvernements, certains ont vu dans son gouvernement un nouveau type de gouvernement de gauche.

De plus, encore plus que le PT (Parti des travailleurs), Lula était tout un symbole : un enfant pauvre du Nordeste devenu ouvrier métallurgique, leader des grandes grèves des années 70-80, presque un mythe pour la classe travailleuse et les exploités.

Une victoire déformée des masses

Néanmoins, par son programme et ses alliances, le gouvernement Lula est un gouvernement bourgeois, de soumission à l’impérialisme. La classe dominante s’était d’ailleurs assurée - dès avant l’élection - que leur victoire serait dérobée aux masses.

La crise a causé d’innombrables fissures dans la bourgeoisie et dans la coalition de partis qui avaient mené au pouvoir le gouvernement FHC. Des secteurs minoritaires, mais de poids, de la bourgeoisie ont pris au bond le train Lula. A commencer par le vice-président du PL, Alencar, magnat du textile, à la tête d’un patrimoine de 13 milliards de reals (soit environ 4 milliards d’euros).

En 1989, le président de la FIESP [2], M. Amato, déclarait que si Lula gagnait les élections, 800 entrepreneurs quitteraient le Brésil. Aujourd’hui, l’actuel président de la FIESP, H. Lafer Piva, dit : « Il faut que l’opposition dépose les armes, car bien des propositions sont identiques. C’est un moment d’union nationale, il faut se donner la main pour construire.  »

Cette attitude de la bourgeoisie brésilienne et de l’impérialisme face au PT, s’explique par deux raisons fondamentales : d’abord le PT s’est institutionnalisé, c’est un parti de l’ordre avec un programme capitaliste, capitulant devant l’impérialisme ; ensuite, la bourgeoisie, en raison de la profonde crise traversée, a voulu éviter l’éclosion de luttes et la possibilité d’une crise révolutionnaire.

Le FMI domine le jeu et l’ALCA s’accélère

Fait décisif pour rassurer la bourgeoisie : Lula encore candidat a donné son aval à l’accord signé par FHC avec le FMI. Puis il l’a renouvelé, après 15 jours de gouvernement, et a présenté un document défendant « des réformes dans le budget social » qui suivait les directives de la Banque mondiale. Enfin, à Miami, il a fait aboutir les négociations de l’ALCA [3] qui devrait entrer en vigueur en 2005.

L’objectif pour le gouvernement, en s’engageant à respecter tous les contrats, à maintenir la loi de responsabilité fiscale, le solde positif des caisses publiques et la politique anti-inflation, est d’obtenir l’approbation des marchés financiers.

La victoire des masses a été volée. C’est un gouvernement de collaboration de classes, semblable à ceux dit de Front populaire, qui, sous la férule du FMI, va gérer l’Etat bourgeois et le capitalisme brésilien en voie de colonisation.

Dynamique de crise : nouvelle étape de la lutte des classes

La situation mondiale et latino-américaine a placé en peu de temps le gouvernement Lula dans une situation difficile. Lula doit appliquer la même politique pro-marché que FHC, mais dans une conjoncture d’épuisement du modèle et de crise mondiale. Ce gouvernement tend donc à s’user plus rapidement que prévu. Les révolutions sur le continent et la croissance de la conscience anti-impérialiste, au moment d’une terrible crise sociale, laissent prévoir le retour des luttes au Brésil.

La bourgeoisie va pourtant chercher à donner au gouvernement les possibilités de mener à bien les réformes. Et le mouvement de masses donnera lui aussi un temps au gouvernement, en fonction de ses illusions et attentes, mais aussi parce que la CUT [4] s’opposera aux luttes.

La gauche brésilienne

Pour certains camarades, le gouvernement Lula serait un gouvernement hybride, sans nature de classe, un gouvernement à conquérir. D’un côté, il y aurait le FMI et la bourgeoisie, de l’autre le mouvement social, et au milieu Lula, pouvant pencher d’un côté ou de l’autre.

Dans ces courants hétérogènes, on trouve la Démocratie Socialiste - organisation du Secrétariat Unifié - qui a des différences minimes avec le courant majoritaire du PT et ne voit aucun problème à participer directement à un gouvernement de cette nature : elle a participé à la gestion du ministère de la Fazenda [5] et au gouvernement de l’Etat du Rio Grande du Sud, qui a appliqué la politique et le programme que Lula se propose de mettre en place pour le gouvernement central.

Opposition ou appui critique ?

De l’autre côté, nous avons les organisations et les courants qui ont été à la tête des luttes rurales, sont partisans d’une rupture avec l’impérialisme, et ont joué un rôle important dans la campagne contre l’ALCA : les camarades du MST [6], des Pastorales Sociales [7], de la Consultation Populaire [8]...

Pour certains secteurs de ces organisations, une mobilisation permettrait de pousser la gouvernement Lula à gauche pour affronter l’impérialisme. C’est pourquoi, ils proposent une politique de soutien critique au gouvernement.

Cette analyse et la politique qui en découle sont pour nous erronées. Même s’ils maintiennent une certaine indépendance dans le cadre d’actions et de conflits, en prônant un soutien critique ces mouvements finiront par faire partie, devant les masses, du même bloc que le gouvernement. Ils apparaîtront simplement comme une aile plus à gauche, critique, du gouvernement. Ils ne pourront pas constituer une alternative de gauche, indépendante, une opposition de gauche. Car celui qui adopte cette position de soutien critique sera finalement obligé d’occuper le rôle de défenseur du gouvernement et de répercuter ainsi la pression du gouvernement contre des positions plus à gauche.

A long terme cette position ne peut même pas empêcher un affrontement entre les masses et le gouvernement bourgeois de collaboration de classe, seulement mener à l’épuisement de ces deux camps. Mais le pire est qu’elle ne permet pas de construire une alternative de gauche révolutionnaire pour les masses. Or partout où n’existait pas une alternative révolutionnaire de poids, de tels gouvernements ont conduit à la déroute du mouvement.

Construire un nouveau parti révolutionnaire

L’expulsion annoncée des Radicaux du PT [9] fait partie du processus de recomposition politique ; un processus qui va se prolonger, dans la mesure où certains secteurs ne vont pas rompre maintenant mais le feront peut-être dans le futur, et dans la mesure où le gouvernement du PT apparaîtra de plus en plus clairement pour ce qu’il est.

Le PSTU qui regroupe une autre fraction de la gauche socialiste brésilienne défend la nécessité de construire un nouveau parti qui unifie toute la gauche brésilienne. Dans d’autres partis de gauche et dans divers mouvement sociaux aussi l’inquiétude grandit devant ce qui se passe avec le PT et ses alliés au gouvernement. Et avec cette inquiétude la conscience de la nécessité d’un nouvel instrument politique.

Nous sommes donc face à une opportunité historique. La recomposition en cours peut aboutir à l’unité de la gauche socialiste, en construisant une alternative politique supérieure à toutes celles aujourd’hui existantes. Il ne s’agit pas ici des desiderata de tel ou tel secteur. Il s’agit d’affronter les défis de la lutte des classes dans un nouveau cadre politique. Au Brésil, aucun des secteurs de la gauche socialiste aujourd’hui n’est capable de relever seul les défis posés. La dispersion des socialistes aurait en ce moment des conséquences tragiques. L’unité s’impose comme nécessité pour notre classe. La responsabilité de tous est en jeu.

Mariucha FONTANA

Membre de la direction nationale du PSTU


[1Du nom du précédent président Fernando Henrique Cardoso.

[2Fédération des industries de l’Etat de Sao Paulo (principal syndicat patronal)

[3ALCA : Área de Livre Comércio das Américas (Zone de Libre Echange des Amériques)

[4Centrale Unique des Travailleurs, principale confédération syndicale ouvrière

[5Ministère de la Fazenda : ministère de la réforme agraire

[6MST : Mouvement des Sans Terre

[7Pastorales sociales : organisations militantes catholiques dans les campagnes fondées par le courant théologie de la libération.

[8Consultation Populaire : Campagne de janvier 2002 pour dire non à l’Alca

[9Certains, comme la sénatrice Heloisa Helena, sont effectivement exclus maintenant, depuis le milieu décembre 2003.

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