Le VRP du capitalisme français
Mis en ligne le 23 mars 2003 Convergences Politique
Voilà Chirac leader mondial des non-alignés. Champion du front anti-guerre. Ses acolytes Schröder et Poutine sont dans son ombre. Et d’étaler les nouveaux concepts de la diplomatie française. On n’intervient pas militairement sans l’assentiment de l’Onu (Tiens donc ! Et le Rwanda ? Et la Côte-d’Ivoire ?). On ne s’engage dans la guerre qu’en dernière extrémité. En l’occurrence, on doit laisser aux inspecteurs de l’Onu le temps de renifler ce qu’il reste à Saddam Hussein des armes vendues par les Anglais, Allemands, Français et Américains, il y a 15 ou 20 ans, au temps où Saddam était leur homme contre l’Iran.
Chirac se voyait déjà soi-même à l’Onu, avec au second plan les chefs d’Etats et de gouvernements du Conseil de sécurité. Toutes les caméras auraient filmé son « non », le fameux « veto »… Mais Bush lui a volé la photo en rappelant qu’il se fichait de l’avis de l’Onu.
Il y a un désaccord entre Bush et Chirac.
Pas parce que Chirac dénoncerait les buts de guerre américains. L’Onu n’est qu’un théâtre d’ombres, et la question du temps à laisser aux inspecteurs de l’Onu une charade : un peu, beaucoup, ou… l’éternité (a ironisé Bush).
Pas parce que Chirac se serait insurgé contre les bombardements anglo-américains, qui ont continué sur l’Irak alors même que se poursuivaient les inspections hypocrites. Il a garanti que, allié des USA, il ne leur refuserait ni le droit de survol du territoire ni l’accès aux aéroports.
Alors pourquoi Chirac ?
Il y a les petits calculs de politique intérieure. Il frétille devant les caméras quand un journaliste se hasarde à une comparaison avec De Gaulle ! Au moment où le gouvernement Raffarin fait les poches des travailleurs, ne lève pas le petit doigt devant les vagues de licenciements et s’apprête à rogner une partie des retraites, pourquoi se priver de la diversion de succès diplomatiques fallacieux ? Il y a toujours quelque chose à grappiller, à faire de l’antiaméricanisme, au pays de De Gaulle et des pommes frites.
Mais l’essentiel est ailleurs : là où sont les intérêts de la bourgeoisie française dans cette guerre américaine.
Les USA ont sans peine rallié le gouvernement britannique. La Grande-Bretagne a conservé bien plus d’intérêts au Moyen-Orient que la France. La City de Londres détient un gros paquet de capitaux koweitiens. Entre les capitaux américains et anglais, les liens sont plus étroits. La fusion en 1998 du groupe pétrolier britannique BP avec l’American Oil Company en a fait le troisième trust pétrolier mondial. Au lendemain de la guerre de Yougoslavie, en 1999, le trust d’armement britannique British Aerospace Systems, a obtenu de participer aux appels d’offre de l’armée américaine au même titre que ceux de ce pays.
Il en va autrement de la bourgeoisie française. Et toute la question pour les capitaux français est de savoir ce qu’ils peuvent obtenir des Etats-Unis, et comment, après un éventuel renversement de Saddam Hussein ? En particulier, qu’adviendra-t-il des contrats signés par Total avec le régime irakien ?
Alors pour le moment, c’est en Algérie que Chirac (accompagné d’une belle brochette d’industriels) est allé chercher les dividendes « des positions françaises au Moyen-Orient ». Car Allah est grand et le monde arabe, un grand marché !
La partie est donc loin d’être terminée. Chirac a déjà explicitement formulé ses offres de service aux Etats-Unis, pour participer à la « reconstruction » d’après-guerre. Pour peu qu’elle se fasse sous l’autorité de l’Onu, dit-il pour sauver la face. Le représentant des trusts français garde des œufs dans tous les paniers. Reste à voir ce que décideront les USA.
15 mars 2003
Olivier BELIN
Les intérêts des industriels français
Dans un communiqué du 20 février le PDG de TotalFinaElf, Thierry Desmarest, affirmait que la politique de Chirac « nous vaut un capital de sympathie dans le reste du Moyen-Orient ». Certes l’avenir des contrats signés par Elf pour l’exploitation des gisements de Bin-Umar et Majnoun pourraient être remis en cause par un nouveau pouvoir irakien. Mais, ajoute-t-il , « grâce à dix années de négociations avec le ministère du pétrole irakien, nous avons appris à connaître les gens, appris à identifier les champs qui nous intéressent. Nous avons eu accès à des informations techniques. Ces connaissances nous donnent un an d’avance sur nos compétiteurs au cas où les attributions se feraient dans des conditions normales ».
De quoi confirmer les dires de l’hebdomadaire anglais The Observer publié dans Courrier international, fin février : « TotalFinaElf est en pleine négociation avec les Etats-Unis à propos de la redistribution des régions pétrolières entre les principales compagnies mondiales ».
Et dans le quotidien La Tribune, du 5 février dernier :
« Les industriels français craignent de perdre leur prédominance sur le marché irakien. La France, depuis l’entrée en vigueur de la résolution 986 « pétrole contre nourriture » en 1996, est le premier partenaire commercial de l’Irak de Saddam Hussein. Selon le FMI, la France a renforcé en 2001 son rang de premier fournisseur : les ventes françaises totalisaient 1,6 milliard de dollars, soit plus du cinquième des importations irakiennes. Si le nombre de contrats a décliné en 2002, à cause des menaces de guerre, la France demeure le partenaire commercial privilégié de Bagdad. Les entreprises françaises ne se contentent plus d’exporter des denrées alimentaires et des médicaments. Progressivement, avec l’accroissement du nombre de produits autorisés à l’importation, elles ont vendu des biens à plus haute valeur ajoutée destinés à la reconstruction du pays. Dans un pays ravagé par huit ans de guerre et douze ans de sanctions internationales, elles occupent des niches commerciales stratégiques. D’Alcatel à Alstom, de Peugeot, qui a paraphé un contrat de 77 millions d’euros en août dernier à Renault Trucks et des sociétés plus petites spécialisées dans l’agroalimentaire et la santé, les entreprises françaises se sont faites leur place au soleil de l’ancienne Mésopotamie. »
Mots-clés : Impérialisme