La victoire de Hollande : Vague de ras-le-bol plus que vague rose
Mis en ligne le 19 mai 2012 Convergences Politique
Exit donc Sarkozy. Il ira sans doute rejoindre les momies du Conseil constitutionnel, ses deux prédécesseurs : 12 000 euros par mois d’indemnités, cumulables avec sa retraite de président et quelques autres activités ou jetons de présence que sa carte de visite peut lui offrir.
Le rejet de Sarkozy, un fond largement partagé
Le « bon débarras ! » a même été la recette de base qui a assuré la victoire de Hollande alors que la somme des voix de la droite et de l’extrême droite au premier tour dépassait largement celle de l’ensemble de la gauche (54 % contre 46 % des voix).
Car si Sarkozy était honni du monde du travail, il n’avait pas non plus que des amis dans les rangs de la droite. Au point qu’un Bayrou a préféré annoncer qu’il voterait Hollande (sans parler de Chirac…).
Quant à l’extrême droite, Sarkozy avait réussi à capter une bonne partie de son public à l’élection de 2007 en entonnant la même démagogie sécuritaire et xénophobe que le Front national. L’opération n’a pas marché deux fois, même pour un simple second tour. Bien des électeurs du FN ont dû voter Sarkozy, certains peut-être Hollande, mais une bonne fraction a visiblement suivi le conseil de leur candidate de voter blanc. En tout cas l’explosion des bulletins blancs ou nuls (plus de 2 millions, soit 5,85 % des votants) présente une répartition géographique qui suit la carte des fiefs du vote FN. Par exemple à Saint Gilles, dans le Gard, 6,4 % des votants. À Marignane, dans les Bouches du Rhône, le taux de bulletins blancs a grimpé à 7,22 %. Même chose des villes du Nord-Pas de Calais, où le FN a eu un succès au premier tour, comme Liévin avec 29 % de voix FN, puis 7,4 % de bulletin blancs, et évidemment Hénin-Beaumont, le fief de Marine Le Pen (35,5 % des voix) où près d’un votant sur dix (9,5 %) a voté blanc au second tour.
Autant de gagné pour Hollande face à Sarkozy.
Bénéfice pour le PS d’un petit vent de « vote utile »
Le moins qu’on puisse dire est donc que l’élection de Hollande n’a rien de la vague rose. Mais pas son contraire non plus, puisque, même minoritaire, le score de Hollande au premier tour, et plus encore le total de Hollande et du Front de Gauche, ont fait bonne figure au regard des scrutins passés.
En effet, au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, l’ensemble de la gauche plus l’extrême gauche avait recueilli 42,87 % des suffrages, à comparer aux 46 % de 2012. PS et PC payaient l’écoeurement d’une partie de leurs électeurs pour la politique menée par le gouvernement de « gauche plurielle » de Jospin. La multiplication des candidats de gauche (Chevènement, Taubira) avait fait le reste en faisant passer Jospin lui-même en dessous de Front national. L’extrême gauche (LO, LCR et Parti des travailleurs) avait exprimé la colère des déçus de la gauche, totalisant 10,44 % des suffrages. Mais en 2007, où Ségolène Royal avait figuré au second tour, la gauche plus l’extrême gauche n’avait totalisé que 36,43 % des suffrages (dont 5,7 % pour l’extrême gauche). Malgré cinq ans de pouvoir de la droite, la gauche ne s’était pas remise de son passage au gouvernement. Et, malgré les avances que Ségolène Royal faisait à Bayrou, elle n’avait pas eu un score suffisant pour tenter celui-ci.
Cinq ans de Sarkozy et de sa morgue ont permis à la gauche de refaire surface et, certes avec quelques aides venue d’en face, de l’emporter au second round.
Du soulagement, mais peu d’illusions
L’expérience des trahisons passées de la gauche vis-à-vis des intérêts des couches laborieuses qu’elle prétend défendre n’est pas oubliée pour autant. Pas plus que ne sont passées inaperçues les politiques anti-ouvrières menées ces dernières années en Grèce comme en Espagne par des gouvernements socialistes. Sans parler de l’attitude de Hollande lui-même qui tenait surtout à se montrer responsable vis-à-vis du grand patronat et des banques.
L’une des caractéristiques de ce retour au pouvoir des socialistes est qu’il se fait sans grande illusion ou presque. Rien à voir avec l’euphorie passagère qui avait marqué l’arrivée de Mitterrand il y a 30 ans, alors que la gauche n’avait pas fait au premier tour beaucoup plus qu’en 2012 (46,82 % des voix contre 46 % aujourd’hui). Cela avait permis à Mitterrand de bénéficier d’une période « d’état de grâce », comme on a dit, c’est à dire d’attentisme, de calme social, de collaboration avec les directions syndicales qui lui avait permis de préparer ses mauvais coups.
En 2012, ce manque d’illusions en Hollande, surtout dans le monde ouvrier (y compris parmi ceux qui ont voté Hollande d’entrée pour en finir avec Sarkozy), est de bon augure pour les combats qui nous attendent.
Le Front de gauche : verbe haut, politique en caoutchouc
C’est surtout le Front de gauche, avec Jean-Luc Mélenchon, qui a capté au premier tour les voix de ceux qui voulaient manifester leur défiance en Hollande, en recueillant 11,1 % des suffrages. Ses partisans en rêvaient tellement plus, trompés par les sondages, qu’ils en ont été déçus. Et pourtant c’est sans comparaison avec les scores précédents du PC (la principale force militante du Front de gauche) qui étaient tombés à 3,4 % en 2002 et 1,9 % en 2007. Mélenchon a fait campagne sur un terrain de pure démagogie politicienne, promettant non les luttes mais la « révolution citoyenne » par les urnes, avec une petite dose de flatterie des sentiments franchouillards (défense de l’industrie française ou la « souveraineté » nationale), et sa mythique « 6° République » tout aussi bourgeoise que les numéros précédents. Mais sa « grande gueule » a paru à beaucoup la meilleure façon de voter à gauche en montrant sa méfiance.
L’extrême gauche : peut-être plus d’audience que de voix
L’extrême gauche, du coup, a fait ses plus bas scores (1,15 % pour le NPA, 0,58 % pour LO). Mais les deux seuls candidats lutte de classe dans cette élection, l’enseignante Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière, l’ouvrier de l’automobile Philippe Poutou pour le Nouveau parti anticapitaliste, qui déclarait se trouver moins à l’aise seul sur un plateau de télé qu’en envahissant le bureau de son patron avec ses camarades de travail, mais qui savait très bien ne pas mâcher ses mots, ont pu faire entendre un programme de défense des travailleurs face à la crise. Et c’est cela le plus important. Car il ne s’est évidemment pas agi de candidatures « identitaires » ou « isolationnistes » comme le leur reprochent ceux qui, au sein du NPA, ont rallié Mélenchon, ni de candidatures de « témoignage » (formule a posteriori de LO pour justifier de faibles scores).
La tâche essentielle des révolutionnaires dans cette campagne était de populariser un programme pour les luttes à venir, pas seulement dans le lointain mais pour les combats qui nous attendent dès aujourd’hui : interdiction des licenciements, hausse générale des salaires, nationalisation des banques sans indemnités, contrôle ouvrier et nécessité de faire converger toutes les luttes vers une lutte d’ensemble, seul moyen de changer le rapport de force entre travailleurs et patronat. Et ce n’est pas tombé dans l’oreille de sourds.
Grandes manœuvres pour petit jeu
C’est cette même propagande pour les luttes que nous aurons à faire dans la campagne des législatives, face à un gouvernement prétendu de gauche qui s’apprête à imposer l’austérité au service des patrons. Mais dans les limites d’une campagne qui sera, par sa forme même (peu d’audience nationale), moins écoutée et d’une élection qui présente encore moins d’enjeu que la présidentielle. Car depuis que les législatives se déroulent dans la foulée des présidentielles, le président élu est quasiment assuré de se faire accorder par les mêmes électeurs la majorité qu’il souhaite.
Il n’y a d’enjeux que politiciens à petite échelle. Marchandages à gauche pour le partage des circonscriptions ou les désistements, chaque composante voulant sa part du gâteau gagnant. Conflits pour sauver les meubles à droite. Et à ces législatives, Marine Le Pen, forte de ses 18 % au premier tour, espère bien jouer les trouble-fête en profitant de la déconfiture de la droite pour récolter des sièges de députés, et même, qui sait, pour trouver dans l’UMP des alliés, voire y piquer quelques transfuges pour son rêve d’un grand parti de la droite extrême.
Permanence des idées d’extrême droite, mais pas de « vague bleue marine »
Pourtant le relatif succès du Front national n’est pas non plus la « vague bleue marine » que prétend sa leader. Il ne fait que confirmer la permanence en France des préjugés que colporte le Front national depuis des années. Marine Le Pen a récolté 950 000 voix de plus que la somme des voix de Jean-Marie Le Pen plus son dissident Bruno Mégret à la présidentielle de 2002, mais pour un nombre total d’électeurs plus élevé qu’il y a dix ans. Par rapport au nombre total d’électeurs inscrits le pourcentage des voix d’extrême droite est pratiquement le même qu’en 2002 (13,9 % contre 13,2 % en 2002). [Voir les détails dans notre encart]
Mais rien que cette permanence des scores de l’extrême droite depuis bien plus de dix ans (Le Pen, le père, avait déjà eu plus de 4 millions de voix, soit près de 15 % des suffrages en 1988 et 1995) est un fait d’autant plus inquiétant, que les préjugés qu’ils reflètent sont cultivés aussi par le reste de la classe politique (souci électoraliste oblige). Pas seulement par des Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, mais aussi par la gauche, avec Hollande par exemple qui a fait lui aussi sa surenchère sécuritaire et proclamé qu’il n’est pas question de régulariser les immigrés, qu’il faut en réduire le flux. Et si la gauche, revenue au pouvoir, écœure à nouveau les couches populaires par la politique d’austérité qu’elle prépare, ce sera du bon pain pour le développement des idées d’extrême droite.
Mais lutter contre ces idées, mortelles pour la classe ouvrière, ne se fera ni par des interdits, ni par les urnes, ni par de prétendues campagnes pour interdire les meetings !
Pour les travailleurs ce n’est pas sur le terrain électoral que ça se joue
« 1 700 €, c’est maintenant » disaient des pancartes brandies le 6 mai place de la Bastille au rassemblement pour la victoire de Hollande. Ce n’est pas ce qu’on entend depuis dans la bouche de Mélenchon. Et encore moins qu’il faudrait préparer les luttes pour les obtenir. Non, Jean-Luc Mélenchon a décidé de braver Marine Le Pen dans sa circonscription d’Hénin-Beaumont. « Je crois qu’il ne peut plus vivre sans moi » a ironisé l’intéressée. Quoi qu’elle en dise, elle y rira peut-être jaune si elle ne gagne pas le siège qu’elle convoite. Mélenchon espère y arracher le sien… de « haute lutte ». Bien qu’il soit moins bien placé pour cela que le candidat PS de la circonscription (à la présidentielle Marine Le Pen a eu 31,76 %, Hollande 28,35 %, et Mélenchon 14,75 % des suffrages mais 10,94 % des inscrits, moins que la barre pour pouvoir se maintenir au second tour). Simple coup de poker donc ! Ce geste « remettrait la gauche au niveau où elle doit se mettre pour empêcher un hold-up électoral de Marine Le Pen », a déclaré avec enthousiasme le chef du PC, Pierre Laurent ? Est-ce le seul souci de ces gens-là, les postes au parlement qu’ils ne voudraient pas se faire « voler » ?
Combattre l’influence des idées de l’extrême droite, surtout en cette période de crise, est une toute autre affaire. Il faut pour cela redonner espoir à tous ceux qui sont aujourd’hui victime des licenciements, du chômage, des revenus ou retraites de misère (et encore quand ils en ont) dont une partie peut se laisser entraîner par la propagande xénophobe de l’extrême droite ou par la démagogie contre les « assistés » qui empêchent de vivre les bons travailleurs ou ruineraient d’impôts les petits paysans ou artisans. Cela va de pair avec la lutte contre la crise, les licenciements, l’austérité. Cela ne se fera que si les travailleurs reprennent l’offensive et rassemblent leurs forces pour s’opposer à l’aggravation de leurs conditions de vie.
14 mai 2012
Olivier BELIN
L’électorat du FN : De Sarkozy à Le Pen, voyage retour
Avec 6 421 426 voix pour Marine Le Pen contre 5 471 739 pour Jean-Marie Le Pen, plus Bruno Mégret en 2002, on peut dire que l’électorat de l’extrême droite est pratiquement le même cette année qu’il y a dix ans, si l’on tient compte de l’augmentation de quatre millions du nombre d’électeurs inscrits en dix ans : les voix de l’extrême-droite représentent 13,9 % du total des inscrits en 2012 contre 13,2 % en 2002, après une chute à 8,62 % en 2007.
Et la répartition géographique semble pratiquement la même qu’en 2002, à quelques détails près : un peu moins de voix FN dans certains grands centres urbains où l’électorat ouvrier avait été, en 2002, particulièrement écœuré de la politique de Jospin, mais pas dans tous ; un peu plus de voix dans d’autres coins (régions rurales ou Est de la France), où le FN semble avoir un peu plus mordu sur un électorat traditionnellement de droite. Mais les endroits où l’extrême droite fait ses plus hauts scores sont les mêmes.
En banlieue parisienne, dans le département le plus pauvre de la couronne, la Seine-Saint-Denis, où l’extrême droite avait fait ses meilleurs scores en 2002, ceux-ci ont un peu baissé, y compris en valeur absolue : 72 335 votants contre 80 106 en 2002 alors que le nombre d’inscrits a augmenté. Ce qui fait 9,8 % des électeurs inscrits aujourd’hui au lieu des 12,7 % de Le Pen + Mégret il y a dix ans (et une chute bien plus grande du pourcentage des votes exprimés, 13,5 % des exprimés au lieu de 20,21 %).
Il n’en est pas de même dans le Nord ou le Pas de Calais, autres départements à forte population ouvrière. Elle a eu 300 000 électeurs dans le Nord au lieu de 260 000 en 2002 (21,9 % des suffrages exprimés comme en 2002), et 216 000 dans le Pas-de-Calais au lieu de 151 000 (25,5 % des suffrages exprimés au lieu de 20,6 %). Une progression notable y compris dans de grandes villes de ces départements. À Calais, ville de 51 000 électeurs où de 1971 à 2008 le maire était PC, l’extrême droite est passée de 6 346 voix en 2002 (toujours Le Pen + Mégret) à 9 538 cette année et de 20 % des suffrages exprimés à 25,7 %.
Dans l’est de la France, en Moselle le FN a eu 28 900 voix (20,7 % de l’électorat, 26,5 % des exprimés) contre 22 700 pour l’extrême droite en 2002 (16,34 % de l’électorat, 23,17 % des exprimés).
À Saint-Gilles dans la plaine agricole du Gard où le racisme anti-immigré est marquant et où Marine Le Pen a fait l’un de ses meilleurs scores, 35,4 % des exprimés avec un total de 2 451 voix. C’était déjà le cas en 2002 avec 38,9 % des exprimés (1 994 voix).
À en juger par les chiffres, à quelques glissements près selon les régions, le regain des voix de Le Pen alors qu’ont chuté celles de Sarkozy semble surtout être un voyage retour.
O.B.
Mots-clés : François Hollande