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La mondialisation des déplacements

6 octobre 2015 Convergences Monde

Terre de départ il y a un siècle, lorsque la forte croissance de sa population incitait des millions d’Irlandais, de Russes ou d’Italiens à tenter leur chance en Amérique, l’Europe est aujourd’hui plutôt une terre d’accueil. Les migrations y sont perçues comme un afflux en Occident des pauvres du Tiers-monde. Elles ne se résument pourtant pas à cela…

Trop nombreux, les migrants ?

Par rapport à la première vague migratoire de l’ère capitaliste (1850-1930), la seconde, dans laquelle nous serions entrés depuis 1990, se traduit par un accroissement des circulations… à relativiser au regard de la population mondiale : sur les 7 milliards que nous sommes, seuls 240 à 250 millions, soit 3,6 %, vivent hors de leurs frontières. Bien moins que le milliard d’humains dont l’existence ou la santé sont menacées par la faim…

En fait, lorsque migrer est une question de vie ou de mort, celui qui part s’arrête dès qu’il peut, d’abord faute d’avoir de quoi poursuivre sa route, mais aussi afin de rentrer plus facilement dans ses pénates une fois la crise (sécheresse, guerre civile, inondation…) passée. Aussi, peu de migrants parvenant en Occident sont des réfugiés. Et, parmi les réfugiés, bien peu vont en Europe ou aux États-Unis. Par exemple, quelques milliers d’Afghans s’y dirigent… quand plus de deux millions vivent dans les pays limitrophes, surtout l’Iran et le Pakistan. D’ailleurs, une forte proportion des réfugiés échappe le plus souvent à la statistique des migrations puisqu’ils cantonnent leur déplacement à l’intérieur de leur pays. Près de 90 % des réfugiés du Darfour, une région du Soudan en proie à la guerre civile, sont ainsi des « déplacés internes » [1]. De même, les quelques dizaines de milliers de Syriens affluant en ce moment en Europe sont infiniment moins nombreux que les plus de six millions qui ont migré dans une autre région de leur pays.

Des directions multiples et mouvantes

Comme le montre le tableau (ci-dessous), on migre dans toutes les directions. Bien des migrants ne traversent pas la planète mais se fixent dans un pays proche du leur mais économiquement plus dynamique. C’est par exemple le cas en Afrique australe des Congolais ou des Zimbabwéens installés en Afrique du sud.

En outre, les flux se déplacent en permanence. Au Maroc, les migrants d’Afrique noire ne faisaient auparavant que passer. Ils sont de plus en plus nombreux à y rester, notamment parce que le passage vers l’Espagne est de plus en plus dangereux. En butte au racisme, ces hommes – peu de migrantes s’arrêtent au Maroc – occupent les emplois les plus mal payés, comme en Europe. Certains trouvent des compagnes parmi les « Marocaines victimes d’exclusion sociale, comme les femmes divorcées ou les mères célibataires » [2]. La mondialisation ne se cantonne pas à l’Occident.

Planète VIP et planète sans visa

L’actualité braque les projecteurs sur l’immigration clandestine. Pourtant, 90 % du million d’étrangers entrant chaque année en Europe voyagent légalement. Et ces exilés côtoient autant de migrants venus d’un autre pays du continent. Autrement dit, les peuples d’Asie ou d’Afrique sont infiniment moins mobiles que les Occidentaux.

La raison en est toute simple : le système des visas maintient dans les limites – parfois bien étroites – de leur pays la plupart des peuples. Parfois, c’est leur État qui s’oppose à leur sortie, comme en Ouzbékistan. Mais la plupart du temps, l’Occident impose des conditions telles que même les riches peinent à les satisfaire. Nombre de musiciens africains, en dépit d’invitations en règle de festivals européens, restent ainsi coincés dans leur pays. En 2013, ils n’étaient pas moins de 846. Par rapport à eux, les Français confrontés aux procédures ubuesques pour obtenir une autorisation de séjour au Canada ou aux États-Unis restent des privilégiés.

Qui migre ?

Le profil type du migrant parvenant en Europe évolue aussi. Il s’agit de plus en plus souvent d’un diplômé ou d’un travailleur qualifié venu faire fructifier ses années d’études ou d’apprentissage. Les migrants diplômés de l’enseignement supérieur sont ainsi quatre fois plus nombreux en France depuis 1982 [3]. Les États accompagnent cette évolution plus qu’ils ne la suscitent au travers de politiques de sélection des migrants, non seulement sur leurs compétences mais aussi sur leur « capacité à s’intégrer ». C’est la politique du « brain drain » (le drainage des cerveaux) américain ou de « l’immigration choisie » en France. Outre des effets mitigés dans le pays d’accueil, où un ingénieur d’origine immigrée ne trouve pas nécessairement de poste à la hauteur de ses compétences, cette politique aboutit au pillage intellectuel des régions d’origine. Une dizaine de pays africains voient ainsi plus de 40 % de leurs ressortissants qualifiés travailler à l’étranger. La Silicon Valley offre des perspectives d’emploi autrement plus alléchantes que Bangalore, la capitale indienne des start-ups. Lorsqu’un ingénieur indien s’y fait embaucher, les États-Unis économisent le coût de sa formation… que l’Inde a financée en pure perte.

Les femmes représentent depuis peu la moitié des migrants. À la figure de l’épouse rejoignant son mari dans l’émigration se substitue de plus en plus celle de la travailleuse, dans le secteur de la santé ou du « service à la personne », parfois une autre façon de parler des domestiques. Les habitants de Hong Kong emploient par exemple pas moins de 290 000 étrangères pour s’occuper de leur intérieur et de leurs enfants [4]. De fait, les migrants assurent des tâches essentielles dans les sociétés où ils s’installent. Même en retranchant de leur nombre les businessmen et les cadres des multinationales, ils forment dans leur grande majorité la partie la plus internationalisée d’un prolétariat qui n’a que ses chaînes à perdre…

Mathieu PARANT


Répartition des migrants dans le monde

Trajet migratoire Arrivés dans un pays riche Arrivés dans un pays pauvre
Venant d’un pays pauvre Venant d’un pays riche Venant d’un pays pauvre Venant d’un pays riche
Migrants (millions) 97 37 74 40
Pourcentage du total des migrants 39,1 % 14,9 % 29,8 % 16,1 %
54 % 46 %

Source  : Catherine Wihtol de Wenden, Les nouvelles migrations, lieux, hommes politiques, éd. Ellipses, janvier 2013.

Le gouvernement hongrois contre les réfugiés (automne 2015)


[1Marc-André Lagrange, « Darfour, des réfugiés indésirables au Sud comme au Nord ? », Afrique contemporaine n°219, mars 2006.

[2Ibrahima Koné, Le Maroc, nouvelle terre d’accueil des immigrés, 29/09/2010, www.yabiladi.com.

[3Article Les travailleurs immigrés sont-ils qualifiés ?, sur le site du musée de l’histoire de l’immigration : www.histoire-immigration.fr.

[4Julien Brygo, « Profession, domestique », Monde diplomatique, septembre 2011. Voir aussi dans le même numéro le reste du dossier « Mirages des services à la personne ».

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