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DOSSIER : L’hôpital malade, vu par celles et ceux qui le font fonctionner

La marche vers la privatisation et les effets de l’externalisation : un avant-goût venu d’Allemagne

Mis en ligne le 28 novembre 2012 Convergences Monde


L’externalisation des agents de service

Aux Hospices civils de Lyon, la direction a décidé de privatiser le travail de tous les agents de services hospitaliers (ASH), sous prétexte que cela ferait faire 49 % d’économies sur le budget affecté aux ASH dans les services de soins – selon les devis faits par des sociétés extérieures. Il s’agit donc de confier le ménage des chambres à une boîte privée, la GSF (Groupe Services France). Cette société s’occupe déjà d’une partie du ménage dit extérieur (lieux communs, couloirs, bureaux, etc.). Concrètement, la direction procède service par service, en évitant de s’attaquer à tous en même temps pour éviter une réaction collective.

Par exemple, à l’hôpital de la Croix-Rousse, le bâtiment de la maternité est le premier touché.

Mais les agents de service hospitaliers ne font pas que le ménage des chambres (voir « La journée de Flora »). Toutes leurs tâches vont donc retomber sur le reste des équipes soignantes déjà surchargées de travail. On devine le résultat, en termes de salaires, conditions de travail et prise en charge des patients, en particulier au vu ce qui se passe en Allemagne où ce système est déjà en place depuis plusieurs années.

F. K.



L’hôpital universitaire berlinois, La Charité, 15 000 personnes sur 3 sites, a fait passer en 2006 deux mille de ses salariés dans une filiale, la CFM (Charité Facility Management). Le nettoyage, l’entretien électrique, la cuisine, le transport des malades, la stérilisation, la logistique, etc. ont été réunis en une seule entreprise, qui appartient aujourd’hui pour 51 % à La Charité, pour l’heure encore un établissement public. Les 49 % restant appartiennent à trois autres entreprises privées. Voici ce qu’en pensent les salariés concernés.

  • Moritz [1] (nettoyage) :

Aujourd’hui c’est l’arbitraire le plus complet. Exemple : les collègues qui pendant la semaine travaillent 7 heures doivent, pendant le week-end, nettoyer la même surface en 5,5 heures. Mais la Charité paye la CFM toujours au même tarif par mètre-carré.

  • Cem (logistique) :

Avant 2006, nous étions toujours 30 dans l’équipe du matin. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 12 – quand nous avons de la chance ! Souvent, nous ne sommes que 7. Les collègues du ComCenter, chargés de coordonner les commandes médicales et les urgences, ne sont souvent que deux devant une douzaine d’ordinateurs.

  • Magda (service du nettoyage en salle d’opération) :

Même le week-end, nous ne faisons plus de pause. C’est comme à la chaîne. Quand c’est fini pour un patient, c’est déjà le suivant qui arrive. Tu ne sais plus où donner de la tête.

  • Nathalie (service des stérilisations) :

Pendant le week-end, c’est le pire. Les chefs exigent de l’équipe du soir de travailler jusqu’à 4 heures du matin. Ou bien on téléphone chez toi à 5 heures du matin pour te demander de venir sur-le-champ. Beaucoup d’entre nous le font, hélas ! Il s’agit souvent de collègues en CDD. C’est pour les intérimaires que c’est le pire. Ils doivent toujours boucher les trous. Le comble, c’est que la CFM a créé sa propre entreprise d’intérim, à ses conditions ! 

  • Tim (service des ambulances) :

À la création de la CFM, tous les salariés des nombreuses petites entreprises privées ont tout simplement été repris et on a aussitôt baissé les salaires. À la CFM, nous n’avons aucune convention collective et sommes embauchés depuis 2006 à des conditions totalement arbitraires. Au service des ambulances, nous avons en plus une « prime de présence » de 150 euros, qui se traduit en fait par une amende pour absence : pour chaque jour d’absence, on nous retire 15 euros. Au bout de 10 jours, adieu la prime ! À la fin du mois, tu te retrouves avec tout juste 1 200 euros net.

  • Moritz (nettoyage) :

La CFM reçoit 300 euros de la Charité chaque fois qu’elle procède à la désinfection d’une chambre ou d’une salle d’opération. Et que reçoivent ceux qui sont chargés de la désinfection ? 10 euros !

En outre, il y a un manque constant de matériel. Dernièrement, faute de tenue adaptée, la chef d’équipe a même envoyé un stagiaire sans blouse de protection dans une chambre contaminée. Ces choses-là sont monnaie courante. Beaucoup de nos collègues n’ont pas de directive quand ils procèdent à la désinfection de chambres contaminées. En fin de compte, on se borne à nous regarder de haut, nous autres du nettoyage, et à nous prendre pour des ignorants. Mais on ne veut pas non plus que nous soyons compétents, on veut simplement que nous fassions le travail sans nous douter de rien.

Sans parler des conséquences pour les malades : aujourd’hui, près de 40 000 personnes meurent chaque année en Allemagne par suite d’infections nosocomiales.

Souvent, nous ne procédons qu’à un nettoyage superficiel afin que la chambre paraisse propre et correcte. Les germes pathogènes ne se voient pas à l’œil nu. Nous ne sommes plus en mesure de faire le travail. Nous nettoyons les chambres puis nous faisons le café pour les infirmières et les infirmiers et nous faisons leur vaisselle. Hygiène est un mot qui, à notre corps défendant, nous est devenu étranger.

  • Tanja (infirmière) :

Nous aussi, nous souffrons des restructurations et des privatisations qui ont eu lieu depuis 2006. Nous devons de plus en plus nous charger d’activités qui relèvent de la médecine… et aussi du travail de documentation. Depuis quelques années, nous devons rentrer tous les documents et de façon détaillée dans l’ordinateur afin que cela finisse par être facturé aux caisses de maladie. Pour compenser notre surcroît de travail bureaucratique, on embauche de plus en plus de personnel de service qui coûte moins cher et assure les simples soins.

Et, par-dessus le marché, la direction nous invite, nous, personnel soignant et agents de service, à cesser d’être « sympas » avec ceux du nettoyage : en clair, à ne plus donner un coup de main en cas de besoin. La direction tente de renforcer consciemment la division entre nous.

La physiothérapie et le labo ont été privatisés. Bien des physiothérapeutes ne viennent plus qu’une fois par semaine au service. C’est insuffisant pour une rééducation des malades. Le labo est maintenant une entreprise privée. Les prises de sang ne sont effectuées que le matin et elles ne sont de retour qu’au bout de plusieurs heures parce qu’elles doivent faire un aller-retour en traversant toute la ville.

  • Moritz (nettoyage) :

L’an dernier, nous avons fait une grève de plusieurs semaines contre l’arbitraire de la direction. Mais, pour l’heure, nous avons perdu cette bataille. C’est sans doute partie remise, quand nous descendrons tous ensemble dans la rue.

Propos recueillis par Pauline BAUM


[1- Les prénoms ont été changés

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Numéro 84, novembre-décembre 2012

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