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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 77, septembre-octobre 2011 > Crise de la dette, crise du capitalisme !

Crise de la dette, crise du capitalisme !

La grande arnaque du « nous dépensons trop ! »

Mis en ligne le 25 septembre 2011 Convergences Politique

Avec la crise de la dette européenne, les gouvernements ont ressorti leur rengaine : «  nous vivons au-dessus de nos moyens  ». Comme si on pouvait donner du « nous » là où exploités et exploiteurs ont des intérêts contradictoires, et comme si la dette venait de dépenses trop élevées, notamment sociales.

En réalité, les dépenses dites publiques (État, collectivités territoriales et Sécurité sociale), mélangeant allègrement le budget de l’armée, les aides aux entreprises, le service de la dette aux banques avec le budget de l’Éducation ou les dépenses sociales, n’ont pas beaucoup augmenté. Elles ont même diminué en valeur relative, passant de 55 % du PIB en 1993 à 53 % en 2008, pendant que la dette grimpait de 45 % à 68 % du PIB.

Alors d’où vient la crise de la dette ?

À nouveaux besoins du capital, nouvelles réponses de son État

À l’origine de la croissance de la dette publique en France, il y a déjà une décision politique, prise en 1973 : celle de ne plus financer les éventuels déficits publics par la « planche à billets », mais par des emprunts auprès des banques privées, compagnies d’assurance, « investisseurs institutionnels » (sociétés d’investissements, fonds de pension…) ou fonds d’État étrangers. Il s’agissait prétendument de limiter l’inflation, causée par l’émission monétaire. Pas si simple en réalité. Car en dehors de l’émission monétaire directe monopole de la banque centrale, les banques privées créent aussi de la monnaie, précisément par les prêts qu’elles accordent qui dépassent largement l’argent qu’elles ont préalablement reçu en dépôt. La décision du gouvernement de recourir aux emprunts privés plutôt qu’à la Banque de France a surtout permis aux sociétés financières, banques ou autres, de bénéficier de placements sûrs pour leurs capitaux qui commençaient à être surabondants avec le ralentissement de la croissance, et de s’assurer une rente, via l’intérêt de la dette.

En même temps qu’il faisait voter cette loi en janvier 1973, Giscard alors ministre de l’économie de Pompidou, lançait son grand emprunt, inaugurant cette nouvelle politique de l’État français, dont la dette publique d’aujourd’hui est un peu l’enfant. Premier cadeau royal aux créanciers, puisque indexé sur l’or, l’emprunt a été remboursé quelques années plus tard à 4,5 fois sa valeur d’émission.

De l’emprunt Giscard au « grand emprunt » Sarkozy

En 1981, pour restaurer les taux de profit, le gouvernement de Mitterrand a nationalisé un grand nombre d’entreprises, indemnisant grassement les capitalistes, puis réorganisé l’appareil productif à grands renforts de « recapitalisations », c’est-à-dire d’injections d’argent public. Une fois rentables, ces entreprises ont pu être à nouveau privatisées dans les années 1990, laissant l’ardoise des restructurations à l’État... et aux travailleurs mis au chômage.

Non contents de transformer l’argent public en capital privé, les gouvernements successifs se sont également attelés à améliorer les revenus des plus riches par divers cadeaux fiscaux : baisses d’impôts, niches fiscales, exonérations, etc.

Le caractère progressif de l’impôt sur le revenu, censé toucher davantage les hauts revenus, a été à plusieurs reprises attaqué : de 13 tranches en 1986, il est passé aujourd’hui à 5, la plus haute n’étant plus taxée qu’à hauteur de 41 % au lieu de 65 % auparavant. Même en ne remontant qu’au barème de 1999, l’impôt sur le revenu rapporterait 15 milliards d’euros supplémentaires à l’État [1], à comparer aux déficits compris entre 40 et 60 milliards dans les années précédant la crise. L’impôt sur les bénéfices des sociétés a lui aussi été allégé, passant de 45 % en 1986 à 33,3 % actuellement. Mais avec les mesures dérogatoires, les entreprises, essentiellement les plus grandes, économisent davantage : celles du CAC 40 ne paient réellement que 8 % d’impôt.

En 2007, Sarkozy s’est illustré par son paquet fiscal dont le fameux bouclier protecteur des riches, en 2010 par la suppression de la taxe professionnelle, en 2011 par l’allègement de l’impôt sur la fortune.

Les multiples « niches fiscales » ont largement contribué à la baisse des recettes, bénéficiant essentiellement aux riches (seules quelques « niches » comme la prime pour l’emploi, faisant exception). Le manque à gagner qu’elles représentent pour l’État atteint 65 milliards d’euros. En comptabilisant de nombreux autres dégrèvements ou rabais sur les impôts des sociétés, le journal Alternatives économiques chiffre le total de ces réductions d’impôts à 145 milliards [2]. Un chiffre qui représente 95 % du déficit budgétaire actuel.

Il est à noter que pendant qu’ils accordaient des cadeaux fiscaux aux plus riches, les gouvernants relevaient la TVA, l’impôt pesant le plus sur les travailleurs. Celle-ci, de 17,6 % en 1954, est montée à 18,6 % en 1982, puis 20,6 % en 1995, pour revenir à 19,6 % à partir de 2000.

Cerise sur le gâteau, Sarkozy confiait en 2009 à une commission présidée par son ami Juppé et le socialiste Rocard la mise au point d’un « Grand emprunt »… finalement plus petit que prévu (35 milliards) et auquel seules ont pu souscrire les banques et sociétés financières. N’empêche que c’est ce même Sarkozy qui nous reproche aujourd’hui de « nous » être trop endettés.

Les aides aux capitalistes français font exploser la dette

La crise de l’automne 2008 a entraîné une explosion des dettes publiques : en France, elle est passée de 64 % du PIB en 2007 à 82 % en 2010.

En 2009, les recettes fiscales ont chuté de 37 milliards d’euros, surtout à cause de la récession (l’impôt sur les sociétés, notamment, s’est effondré de 38 %). Et l’État a eu quelques frais supplémentaires du côté des dépenses « sociales », à savoir 5 milliards de plus pour l’indemnisation du chômage créé par les patrons [3]. Mais le plus gros chapitre, de loin, qui a fait exploser ces dépenses a été le soutien financier accordé aux banques et grandes entreprises. Le gouvernement prétend que le sauvetage des banques n’aurait rien coûté, car les 360 milliards du plan de sauvegarde n’auraient été que des prêts ou garanties, tous remboursés. Mais à côté de ces « garanties » aux banques, l’État a bel et bien dépensé de la monnaie sonnante et trébuchante pour son plan de relance : 6,6 milliards de prêts et subventions à l’automobile, 13,3 milliards de « soutien à l’activité et l’emploi », 18,2 milliards de « soutien à la trésorerie des entreprises » et 9,8 milliards d’investissements publics. Des milliards dépensés pour sauver les profits capitalistes et tenter de relancer la machine. Sans compter les opérations dont le coût final n’est toujours pas connu : sauvetages de Dexia et de la BCPE, création de la Société de financement de l’économie française (SFEF) pour garantir les créances pourries des banques...

Dans le reste du monde  : mêmes causes, mêmes effets

La plupart des États européens ont vu leur dette se creuser depuis 30 ans, à la faveur des baisses d’impôts et des cadeaux faits aux plus riches. Tous les pays notamment ont réduit leurs impôts sur le revenu et sur les sociétés. En Grèce par exemple, ce dernier est passé de 40 % à 24 %. En Irlande, il a chuté de 50 % à 12,5 %. Des réformes économiques et fiscales sont intervenues partout, avec pratiquement le même timing, dans le même cadre d’une offensive contre le monde du travail.

La dette irlandaise est passée de 25 % du PIB en 2007 à 80 % en 2010, celle de l’Espagne de 36 % à 62 % dans le même temps. Avant la crise, ces deux pays avaient basé leur croissance sur la spéculation immobilière. Lorsque le marché immobilier s’est effondré, les banques se sont retrouvées avec des actifs « pourris » plein les bras. Les gouvernements ont alors décidé de socialiser les pertes : par la nationalisation et recapitalisation de certaines banques, mais aussi par la création de Bad Banks — des sociétés créées spécialement pour racheter, avec des fonds publics, les actifs douteux des banques. Dotées de 22 milliards d’euros en Irlande et de 30 milliards en Espagne.

Le cas de la Grèce est différent puisque la montée de sa dette date de la dictature des colonels (1967-1974). Elle s’est amplifiée par la corruption à grande échelle, et surtout par les achats d’armes. Mais c’est la spéculation sur la dette grecque, par les mêmes banques ou Hedge funds qui avaient de 2001 à 2008 spéculé sur les prêts immobiliers, qui a fait tout exploser. Une spéculation déclenchée notamment par la Goldman Sachs, qui connaissait par cœur la situation des finances de l’État grec, pour avoir été payée par ledit État pour le conseiller.

La crise de la dette grecque, première sur la sellette, résume la crise endémique actuelle des dettes publiques : une histoire de loups de la finance qui croquent les mains qui les ont nourris.

Maurice SPIRZ


[1Les chiffres indiqués ici viennent du livre d’Attac Le piège de la dette publique, comment s’en sortir, Édition Les Liens qui Libèrent, mai 2011. D’autres chiffres sont disponibles dans le livre de François Chesnais Les dettes illégitimes, Quand les banques font main basse sur les politiques publiques, Éditions Raisons d’agir, juin 2011.

[2Thierry Pech, « Les vrais comptes des niches fiscales », dans Alternatives Économiques, n°305, septembre 2011.

[3La dépense de l’assurance chômage est passée de 23,3 milliards en 2008 à 28,3 milliards en 2009.

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