La grande arnaque du « Crédit d’impôt recherche »
Mis en ligne le 20 novembre 2014 Convergences Société
Tout le monde a entendu parler du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), ce mécanisme fiscal qui a permis aux entreprises d’économiser 33 milliards d’euros en 2013 et 2014. Mais ce CICE n’a rien à envier à l’autre énorme niche fiscale que représente le Crédit d’impôt recherche (CIR). Depuis 2007, il permet de reverser entre 3 et 6 milliards d’euros par an principalement aux grandes entreprises, soit près de 40 milliards d’euros sur 8 ans, pour un résultat plus que discutable [1]. Le chimiste et syndicaliste Henri Audier précise à ce propos que le montant annuel de ce cadeau fiscal « équivaut au budget de tous les organismes de recherche (CNRS, Inserm, INRA, Inria…), salaires inclus, plus le budget de la recherche universitaire » [2].
À la création de ce CIR (en 1983, époque où un gouvernement socialiste prétendait déjà relancer la croissance en choyant les grands patrons), il s’agissait, en principe, d’augmenter des dépenses consacrées à la Recherche et développement (R&D) d’une entreprise en lui octroyant un remboursement d’une partie de son impôt sur les bénéfices. Le montant de ce remboursement portait sur 25 % des dépenses de R&D, à hauteur de 3 millions de francs maximum (450 000 euros). Rendu permanent en 2004, le plafond du remboursement est passé de 25 % à 50 %, et le maximum de 450 000 euros à 16 millions d’euros avant que ce plafond soit purement supprimé en 2008... Bien entendu, toutes ces aides fiscales sont cumulables avec d’autres systèmes de crédit d’impôt.
Les entreprises ont tout de suite vu dans le CIR les avantages financiers qu’elles pouvaient en tirer. Les cabinets de conseil financier ont donc tourné à plein rendement afin de permettre aux grandes boîtes de justifier, frauduleusement, leur prétendue augmentation de dépenses en R&D.
Pour profiter de cette poule aux œufs d’or, les magouilles des entreprises sont légion. Ainsi, pour contourner le plafond de remboursement, avant qu’il soit supprimé, les grands groupes constituaient une multitude de filiales dont les dépenses en R&D se situaient toutes en deçà du plafond. Les effectifs des chercheurs peuvent aussi être artificiellement gonflés d’une année sur l’autre pour justifier d’un accroissement du budget de recherche.
On comprend que les entreprises n’hésitent pas à engager de tels cabinets au prix fort : pour la seule année 2013, le montant du CIR a atteint 5,2 milliards d’euros (de quoi financer la création de plusieurs dizaines de milliers de postes d’enseignants ou de chercheurs dans la recherche publique !). Et 2014 promet d’être encore plus généreuse (7 milliards, d’après l’intervention télévisée de Hollande le 6 novembre).
Efficacité de ces milliards d’assistance ? L’emploi dans la recherche privée a chuté de 11 % depuis 2008. Selon Henri Audier, le total des dépenses de R&D des entreprises est passé de 24 milliards en 2006 à… 27 milliards en 2010. Dans le même temps, elles touchaient presque 15 milliards d’euros de CIR. Sanofi, qui était encore récemment en tête du CAC 40, a profité du système pendant des années malgré des profits exorbitants. Ce qui ne l’a pas empêché de supprimer plus de 900 postes en 2012, d’en prévoir la suppression de 2 500 de plus et de toucher en parallèle la même année 130 millions d’euros au titre du CIR...
S.C.