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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 3, mai-juin 1999

La barbarie de Milosevic n’a d’égale que celle de ses suzerains impérialistes

Mis en ligne le 1er juin 1999 Convergences Monde

Voilà six semaines que la sale guerre de l’OTAN – dont la France « socialiste » – s’intensifie contre la Yougoslavie. Certains, comme Jospin, font une subtile et hypocrite distinction entre bombardements et guerre. Les bombardements seraient de la coercition. La guerre, selon lui l’engagement terrestre contre les forces serbes, ne serait pas commencée.

Elle fait des morts pourtant en Serbie où les bombes et missiles atteignent des cibles civiles autant que militaires. Et les responsables de l’OTAN ont beau ne parler que de solution politique, ils accumulent toujours plus d’hommes et d’armements aux abords de la Serbie.

En tout cas, il y a un sacré décalage entre les bobards servis à la population et la réalité.

Si les Docteurs Folamour de l’OTAN avaient voulu aider Milosevic, ils ne s’y seraient pas pris autrement !

Les dirigeants de l’OTAN voulaient arrêter les exactions serbes au Kosovo et protéger la population albanaise ? Mais les bombardements ont exacerbé la répression contre la population albanaise du Kosovo, accéléré l’exode et en ont fait une « catastrophe humanitaire ». Avant le début des bombardements, quelque 150 000 Kosovars avaient déjà été chassés de leur pays. Ils sont aujourd’hui quelque 750 000 réfugiés, parqués dans des camps en Albanie, en Macédoine, au Monténégro ou expatriés vers quelques autres pays.

Les dirigeants de l’OTAN voulaient éradiquer la dictature d’un nouvel Hitler ? Mais les bombardements ont atteint surtout la population serbe et l’ont poussée vers Milosevic. Les opposants au dictateurs sont affaiblis, bâillonnés, menacés.

Les dirigeants de l’OTAN voulaient empêcher un « nouveau Munich » ? C’est pourtant avec Milosevic que les responsables des grandes puissances envisagent toujours de négocier et signer une paix pourrie. Comme ils l’ont déjà fait en 1995 à Dayton, pour régler le sort d’une autre partie de l’ex-Yougoslavie. Paix qui confirmait entre autres ce statut du Kosovo contre lequel la population albanaise s’insurge aujourd’hui.

Et les chefs des grandes puissances guerrières qui exploitent l’émotion et l’élan de solidarité envers les Kosovars massacrés ou expulsés, n’ont rien fait, ou bien peu et bien tard, pour les aider. Ils ont laissé agir les organisations humanitaires et les ont utilisées pour leurs buts qui n’ont rien d’humanitaire ! Alors qu’en France, des dizaines de milliers de personnes se seraient portées volontaires pour accueillir des réfugiés, le gouvernement Jospin se flatte d’en accueillir un nombre dérisoire – au maximum 2000 – qui plus en leur refusant le statut de réfugié.

Sans oublier ce qu’on nous sert comme pseudo explication à ce nouveau drame : que les conflits, guerres, massacres colleraient à le peau de cette partie de l’Europe, partagée entre trop de peuples, de religions et de langues.

La crise sanglante qui secoue l’ex-Yougoslavie est malheureusement on ne peut plus moderne

Les ressorts n’en remontent pas au XIX° siècle, ni même à la première moitié du XX°. L’essentiel s’est houé depuis vingt ans, quand aux problèmes posés par la succession de Tito, est venue s’ajouter ce qu’il est convenu d’appeler la « crise » de l’économie mondiale. Les créanciers impérialistes, par diktats du FMI interposés, ont mis le couteau sous la gorge et cette politique a fait des ravages.

D’année en année, durant toute la décennie 1980, ont grimpé inexorablement en Yougoslavie : l’inflation (qui est passée de 40 % à 150 % par an de 1981 à 1987, jusqu’au 2500 % de l’année 89), le chômage (qui a dépassé largement le million en 1987, soit près de 20 % de la population active et 75 % des jeunes de moins de 25 ans), la dette extérieure (qui en 1987 représentait déjà 40 % de la valeur des exportations). Les conséquences en ont été une chute dramatique des salaires et du niveau de vie.

Cette politique n’est pas restée sans riposte de la part de la classe ouvrière. Des luttes grévistes ont eu lieu. Pas de la même ampleur, certes, qu’en Pologne à la même époque, au moment où Solidarité s’est imposée, mais d’importance cependant. Elles ont d’ailleurs commencé au Kosovo en 1981 où à la fin mars, des étudiants sont descendus dans la rue, rejoints par les ouvriers et les chômeurs demandant du travail et de meilleurs salaires. Ces manifestations et grèves (tolérées mais pas autorisées) ont culminé en Croatie et en Macédoine en 1987 où le pays a connu officiellement 1570 grèves auxquelles ont participé 365 000 travailleurs.

Il s’est trouvé en Yougoslavie une cohorte de politiciens, chefs de bande, aventuriers réactionnaires, d’origine serbe, croate, slovène ou bosniaque, pour attiser les braises nationalistes et en faire un contre-feu à un mouvement d’ensemble potentiel des exploités et opprimés de toute la Yougoslavie. Très vite, les dirigeants « grands serbes » qui avaient entre leurs mains la puissance de l’Etat centralisé et tout particulièrement son appareil militaire, se sont révélés les plus nuisibles. Mais ils ont favorisé leurs homologues croates ou bosniaques. Et du côté de la classe ouvrière, les luttes ont eu lieu en ordre dispersé, sont restées cantonnées sur un terrain syndical. Aucune force politique indépendante de classe ne s’est constituée pour contrebalancer les différentes cliques nationalistes bourgeoises, encouragées par les grandes puissances occidentales (l’Allemagne appuyant le séparatisme slovène et croate, la France, le centralisme grand serbe).

C’est avec sa politique nationaliste dite de « réveil serbe » qu’à l’automne 1987, Milosevic s’est imposé à la tête du Comité central du PC de Serbie. Il s’agissait de dresser les Serbes contre tous les autres, dans les différentes républiques. Milosevic n’apportait évidemment aucune solution à la crise, mais juste son slogan démagogique « Le Kosovo nous appartient ».

Le Kosovo, prétendu berceau historique des Serbes et peuplé à 90 % d’Albanais, fut le premier visé et touché. En riposte à une grève générale qui secoua en 1989 la province à l’initiative des mineurs en lutte, les bureaucrates serbes réprimèrent durement et instaurèrent dans la province un régime militaro-policier : purges massives, arrestations, tortures, dissolution des institutions locales, chasse à la langue albanaise, mesures de ségrégation dans la vie sociale, dans les écoles en particulier.

De 1989 à 1995, ce furent au tour de la Croatie puis de la Bosnie-Herzégovine d’être le lieu de guerres, massacres, déplacements de population tragiques (150 000 morts et 2 millions de réfugiés pour la seule Bosnie-Herzégovine), qui ont amené au pouvoir des dictateurs pas plus tendres ni plus aimés que ne l’étaient les prédécesseurs yougoslaves ou serbes.

Malgré l’effervescence sociale importante de ces années-là, Milosevic réussit donc à dévoyer le mécontentement sur des rails nationalistes et une fois la machine infernale du nationalisme lancée, difficile de l’arrêter, la répression des uns engendrant la haine des autres.

Les grandes puissances impérialistes n’ont pas contrecarré l’offensive de Milosevic, ni en Croatie ou en Bosnie de 1991 à 1995, ni au Kosovo depuis 1989. Fondamentalement, elles ont considéré Milosevic comme l’homme fort et donc le meilleur gardien de leur ordre dans la région. Elles l’ont soutenu quand il s’est trouvé, en Serbie même, aux prises avec une opposition de masse à sa politique de guerre et d’ « épuration ethnique ».

En 1991-1992, des jeunes ont manifesté par centaines de milliers contre la conscription et la guerre en Croatie. Durant la guerre de Bosnie, des villages et des régions se sont organisés pour protéger leurs minorités et refuser l’épuration ethnique. Il y a deux ans à peine, du printemps 1996 à l’hiver 96-97, une nouvelle vague de contestation a secoué le pays – parce que la population ouvrière tout particulièrement n’en pouvait plus des sacrifices que le pouvoir voulait lui imposer. Les grèves ouvrières et enseignantes se sont succédées, engendrant une crise politique dont le pouvoir de Milosevic s’est finalement tiré parce qu’une partie de son opposition politique bourgeoise l’a rallié, craignant autant que lui l’effervescence sociale.

Les grandes puissances se sont finalement résolues à la guerre actuelle quand l’UCK, au Kosovo, a démarré une guérilla indépendantiste contre l’hégémonie serbe. Elles se sont d’ailleurs explicitement prononcées contre l’indépendance du Kosovo à la conférence de Rambouillet – en exigeant le désarmement de l’UCK comme des troupes serbes.

Alors, que faire ?

C’est la question qui sert d’excuse à tous les va-t’en guerre. Mais même ceux qui les critiquent, qui se montrent « réservés » vis-à-vis des bombardements, posent le problème dans les mêmes termes : que devraient faire les grandes puissances « civilisées », « démocratiques », pour arrêter Milosevic ? Et de faire appel à l’ONU ou à l’embryonnaire OSCE, pour chercher laquelle des « cavernes de brigands » pourrait mieux que l’OTAN et en froissant moins leur sensibilité humanitaire, faire la même tâche, et dans quels pays il vaudrait mieux puiser les hommes de la « force d’interposition », nom que l’on donne aujourd’hui aux armées d’occupation.

Mais ce sont précisément les mêmes grandes puissances « civilisées », « démocratiques », qui portent une grande part de responsabilité dans la ruine de l’ex-Yougoslavie et son éclatement. Ce sont elles qui se sont accommodées d’un Milosevic ou d’un Tudjman, qui ont soutenu leurs pouvoirs pendant des années et qui demain s’accorderont peut-être à nouveau avec le dictateur Milosevic, pour peu qu’elles obtiennent de lui, en bombardement son peuple, en ruinant son pays, qu’il leur obéisse. Quant à la Russie, laissée pour l’instant hors du coup, c’est le Joker de secours, l’intermédiaire éventuel pour négocier un tel compromis. Clinton ou Chirac le pensent autant que Hue (qui veut concilier les sentiments anti-guerre de ses militants avec son soutien au gouvernement en y allant de ses couplets anti-OTAN au nom de la France et de l’Europe, tout en affirmant sa totale solidarité avec Jospin et Chirac).

Des « forces d’interposition », on en a déjà vues à l’œuvre au sud Liban par exemple, contrôlant les camps palestiniens, surveillant les milices de l’OLP ou des Hezbollahs sur la ligne de démarcation imposée de fait par les troupes d’Israël, leur imposant un barrage hermétique du nord vers le sud, mais véritables passoires du sud vers le nord pour les raids israéliens.

Les Albanais du Kosovo ont donc à leur tour aujourd’hui leurs camps aux frontières de l’Albanie et de la Macédoine, premiers fruits de la guerre menée par l’OTAN. Les mêmes camps seront peut-être transférés demain dans le sud du Kosovo après ce qu’on nous présentera comme une « victoire » sur Milosevic. Où tout le Kosovo lui-même ruiné par les bombes de l’OTAN et les obus serbes ne sera plus qu’un vaste camp de réfugiés. Les Kosovars bénéficieront alors peut-être de leur force multinationale d’interposition. Qu’elle arbore le logo de l’OTAN ou de l’ONU, peu importe. Elle ne sera là que pour surveiller les camps, pour y éviter les révoltes.

De cette guerre que les gouvernants occidentaux ont déclenchée en Yougoslavie ne peut sortir que l’aggravation de la misère, la multiplication des camps de réfugiés, l’exacerbation des nationalismes, y compris aujourd’hui en Macédoine et en Albanie, ou bientôt entre le Monténégro et la Serbie, si ce n’est entre la Hongrie et la Serbie. Le seul espoir serait une révolte des peuples qui en sont victimes, contre la dictature et la guerre.

Il est de notre responsabilité que déjà, ici, les travailleurs ne soient pas dupes. Qu’ici s’exprime le plus largement possible, par des manifestations, des prises de position syndicales et politiques, une opposition à la politique criminelle de l’impérialisme français. Cela peut compter pour freiner l’escalade guerrière, à en juger par les précautions que, par crainte de l’opinion publique, le gouvernement prend à filtrer des informations sur les conséquences de la guerre pour les populations civiles de Serbie et du Kosovo.

La guerre menée par l’OTAN renforce inévitablement en Serbie les courants nationalistes. Une opposition aux bombardements, ici, de la part de ceux qui sont à la fois contre la politique des grandes puissances et pour le droit des peuples du Kosovo à disposer d’eux-mêmes, pourrait être un encouragement là-bas, en Yougoslavie, à tous ceux qui d’eux-mêmes voudraient s’opposer à la politique de guerre et d’oppression nationale de Milosevic. Au nom des intérêts communs des peuples et des travailleurs de toute la région.

Dans cette Europe où la crise et le chômage engendrent des Le Pen ici, des Milosevic là-bas, et des massacreurs à Matignon et à l’Elysée, cette guerre de Yougoslavie nous concerne tous. Les réfugiés du Kosovo nous ressemblent terriblement. Si nous n’arrivons pas, tous ensemble, travailleurs et peuples d’Europe, à faire un front commun contre les brigands impérialistes qui exploitent et bombardent, nous seront tous, chacun notre tour en commençant par les plus pauvres, écrasés, déplacés, vaincus.

La lutte d’ensemble, à l’échelle européenne et au-delà, des travailleurs et des classes populaires contre les accapareurs bourgeois, leurs gendarmes et bombardiers, est la seule qui puisse apporter à la fois la fin de l’exploitation et de l’oppression.

Le 5 Mai 1999

Michelle VERDIER

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