Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 79, janvier-février 2012 > Russie : Poutine de capitalisme !

Russie : Poutine de capitalisme !

La Tchétchénie après deux guerres

Mis en ligne le 22 janvier 2012 Convergences Monde

Depuis avril 2009, la Russie a annoncé la fin de « l’opération anti-terroriste » en Tchétchénie, surnom officiel de la guerre lancée par Poutine en 1999, la deuxième, après la première menée par Eltsine de 1994 à 1996. À l’automne 1999, Poutine, candidat à l’élection présidentielle, avait choisi de baser une partie de sa campagne sur « l’ordre ». Il se voulait le nouvel homme fort de la Russie et axait toute sa démagogie sur le péril représenté par « l’ennemi intérieur », bien sûr mat de peau et aux traits caucasiens.

Vis-à-vis de l’extérieur, il la justifie a posteriori, après l’attentat du 11 septembre 2001. Il entonne alors le même chant que Georges Bush, contre le « terrorisme international » et bénéficie ainsi de toute la compréhension des puissances occidentales. Les prises d’otages dans un théâtre moscovite en 2002 et dans une école d’Ossétie du Nord en 2004, toutes deux dénouées dans la violence par les forces de l’ordre russes, par la mort de centaines d’otages, sont utilisées pour renforcer la propagande intérieure. Avec un succès déjà moins grand : la manière dont les autorités ont traité ces prises d’otages, le choix dans les deux cas de faire un bain de sang, ont suscité l’indignation des familles des victimes mais aussi plus largement, dans la société russe.

Poutine profite du climat de crainte et de xénophobie qu’il a créé pour restreindre la liberté de la presse. La corruption règne dans l’armée d’occupation, trafics orchestrés par les officiers, soldats du rang gangrenés de violence et de toute-puissance. C’est bien sûr la population originaire du Caucase – ou assimilée ! – qui en paye le prix, par les contrôles au faciès et la montée du racisme en Russie, avec la multiplication des crimes racistes et des ratonnades.

Derrière tout cela, bien sûr, des intérêts aussi économiques. L’enjeu n’est pas tant le pétrole tchétchène, qui ne représentait que 1 % de la production russe en 1994, que le parcours des oléoducs venant des bords de la mer Noire. D’autant qu’au Sud-Caucase les puissances occidentales ont leurs propres projets, dont l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan allant des puits d’Azerbaïdjan à la Turquie en passant par la Géorgie (aujourd’hui réalisé). Il importe donc de sécuriser les approvisionnements russes par le Nord, par ces oléoducs qui traversent la Tchétchénie.

Après toutes ces années de guerre, l’heure serait aujourd’hui à la « normalisation ». Mais comment ? À quel prix ? Par la méthode classique pour sortir de ce genre bourbier, celle des Américains en Irak ou en Afghanistan : la « tchétchénisa­tion » du conflit.

Poutine installe donc en Tchétchénie un pouvoir pro-russe en la personne d’un ancien mufti (chef religieux musulman), Akhmad Kadyrov, ex « rebelle » prônant le djihad contre Moscou pendant la première guerre, qu’il nomme président de la république tchétchène. Il devient la pièce maîtresse du jeu de Poutine, jusqu’à son assassinat en 2004. Le Kadyrov qui règne aujourd’hui est son fils, Ramzan, président depuis 2007 (après un intermède confié à un autre pantin, dont il était premier ministre).

La terreur n’en continue pas moins, que Ramzan Kadyrov fait régner par sa police et son armée, épaulées par des troupes russes, mais aussi par les milices personnelles de son clan. Proclamation de la charia, port du voile obligatoire dans tous les bâtiments publics, éloge de la polygamie, complètent le tableau.

Les deux guerres ont fait entre 50 000 et 100 000 morts pour la première, 25 000 et 50 000 pour la seconde. Des centaines de milliers de réfugiés ont fui vers des camps en Ingouchie, dont ils n’ont pu rentrer.

Sous la férule de Ramzan Kadyrov, rien n’est apaisé. Seuls 20 000 soldats russes sur les 50 000 cantonnés en Tchétchénie ont été retirés. Ceux qui restent ont consigne de ne presque plus sortir de leurs bases, laissant le terrain aux supplétifs tchétchènes. Ancien rebelle nationaliste repenti, Kadyrov et sa milice ont à portée de main tous les renseignements sur les partisans tchétchènes qui restent dans les maquis ou qui refusent simplement de rallier son pouvoir : rétorsions envers leurs familles, avec la même violence que pendant la guerre ; assassinats, tortures, maisons incendiées.

Dans ce pays ruiné par les deux guerres successives, il faut payer pour tout, pour suivre des études, passer des examens, avoir un emploi, alors que la pauvreté révolte la population et continue à pousser des jeunes à prendre le maquis pour rejoindre les différents groupes armés qui restent actifs, en dépit de la « normalisation ».

Mais Ramzsan Kadyrov, « médiateur entre dieu et le peuple » selon la télévision officielle, se fait passer pour le reconstructeur en menant de spectaculaires travaux à Grozny. L’État russe lui en donne largement les moyens. Ce que la Russie ne lui donne pas, il l’obtient par le racket. Parlant de ces chantiers qui commençaient déjà, la journaliste Anna Politkovskaïa écrivait en 2006 : « Deux projets seront financés conjointement par le budget d’État et par le Fonds fédéral de développement régional. (…) Kadyrov n’y peut rien. Il peut seulement veiller à ce que les moyens octroyés ne soient pas volés. Peut-il y voler lui-même ? C’est possible. Tout lui est permis. »

Lydie GRIMAL


Courte bibliographie :

  • Anna Politkovskaïa, Tchétchénie, le déshonneur russe, Folio documents, 2003.
  • Comité Tchétchénie, Dix clés pour comprendre, La Découverte, 2005.
  • Jonathan Littell, Tchétchénie, An III, Folio documents, 2009.

Mots-clés : | |

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 79, janvier-février 2012