L’alibi de la lutte contre la contrefaçon
Mis en ligne le 25 mars 2012 Convergences Société
La contrefaçon représenterait entre 5 et 10 % du commerce mondial, selon l’Institut national de la propriété industrielle. C’est officiellement contre elle que diplomates et lobbyistes de la propriété intellectuelle négocient depuis 2006 l’ACTA (pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement, en français Accord commercial anti-contrefaçon). Dans le plus grand secret : la Commission Européenne a ainsi refusé pendant plusieurs années de communiquer non seulement les textes, mais même les noms des négociateurs.
Et on comprend pourquoi. ACTA vise d’abord à protéger les entreprises détenant des marques génératrices de véritables rentes, comme Vuitton, Nike ou Pfizer, le créateur du Viagra, de concurrents usurpant le nom pour écouler à prix cassés une marchandise de moindre qualité. Ici, il n’est pas question de barrières douanières, mais carrément de saisies. Une fois adopté, le traité autoriserait les marques à les demander directement aux douanes des pays signataires, y compris pour les produits en transit. Dans le même ordre d’idée, les détenteurs de brevets ou de droits de copie pourraient faire censurer des sites internet dont ils jugeraient qu’ils pillent leur patrimoine intellectuel. ACTA enjoindrait enfin aux fournisseurs d’accès internet, voire même aux simples citoyens, de coopérer avec la police de chaque État.
« Le petit Yalta »
Prenons l’exemple des médicaments : certes, la production de produits pharmaceutiques falsifiés pose un problème de santé publique inquiétant. Leur part de marché dépasse ainsi parfois 50 % en Afrique. Quand on sait qu’il s’agit d’antipaludéens dépourvus de principe actif, ou de sirops contre la toux fabriqués avec des composants toxiques, cela fait froid dans le dos. Mais au nom de la lutte contre les mafias organisant ces trafics, ACTA sanctuariserait les brevets des trusts occidentaux, voire évincerait la concurrence, tout à fait légale et de qualité celle-là. Médecins Sans Frontières craint ainsi de voir des cargaisons de médicaments génériques interceptées, par exemple lors de leur transit dans un port européen entre l’Inde et l’Afrique. De telles saisies ont déjà eu lieu. L’adoption d’ACTA leur donnerait une base légale et ouvrirait la porte à leur multiplication. C’est alors des millions d’Africains qui, faute de pouvoir s’offrir le médicament de la marque, seraient privés par exemple de trithérapies contre le Sida.
D’où le surnom de « petit Yalta » donné à ACTA par une députée européenne : l’enjeu est les rapports de force de la nouvelle « économie de la connaissance », entre des pays riches où l’on « invente » et des pays pauvres qu’ACTA obligerait à payer la technologie au prix fort et réduirait au rôle de « fabricant ». En ce début d’année 2012 toutefois, les opposants à ACTA – les partisans de l’Internet libre ont rassemblé en Europe plusieurs dizaines de milliers de manifestants – ont poussé plusieurs pays à faire marche arrière.
M. P.