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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 30, novembre-décembre 2003

Iran : Quand l’Union européenne courtise le régime des ayatollahs

Mis en ligne le 8 novembre 2003 Convergences Monde

Cet article est une contribution des camarades de la Ligue socialiste révolutionnaire d’Iran, qui publie Kargar-e Socialist. Il est basé sur un certain nombre d’extraits d’un article déjà publié dans ce magazine.


La mission récente des ministres britannique, français et allemand des affaires étrangères à Téhéran a permis au régime iranien de sauver la face tout en signant le protocole additionnel au traité de non prolifération nucléaire. Ce geste et le fait que Jack Straw, le ministre des affaires étrangères britannique, a effectué un total de cinq voyages en Iran, posent les bases pour la résolution de tous les différends que le régime entretient vis-à-vis de la « communauté internationale » et représentent une aubaine pour des « réformateurs » de plus en plus impopulaires. Cela aidera sans doute une future réconciliation entre l’impérialisme américain et le régime islamique. Mais surtout l’accord du 21 octobre est dans la ligne de l’orientation prise par l’UE depuis plus d’un an.

C’est une réunion des dirigeants des 15 pays de l’Union européenne à Luxembourg le 17 juin 2002, suivant elle-même une réunion des gouvernements un mois plus tôt, qui a commencé à renforcer les relations avec l’Iran. Au cours des mois suivants, les représentants des pays européens faisaient plusieurs fois le voyage en Iran, et en retour, des représentants du régime visitaient les pays européens et rencontraient leurs dirigeants. Dans ce contexte l’inscription de l’Organisation des moudjahidin du peuple d’Iran sur la liste des organisation terroristes et la reconnaissance par des organisations internationales de l’Iran comme un pays sûr, a fait partie des négociations qui se poursuivent en coulisse.

L’Europe contre les Etats-Unis

Le nouveau cours des chefs de gouvernement européens a été en partie une réaction à la politique aventuriste du gouvernement Bush (et de celui de Sharon). Après le 11 septembre 2001, celui-ci organisait l’attaque de l’Afghanistan pour résoudre la crise américaine, puis sous prétexte de « guerre contre le terrorisme », déclarait la guerre à tous ceux qui s’opposait à lui dans le Tiers-monde. Dans son discours du 29 janvier 2002 devant le Congrès, Bush qualifiait l’Iran, l’Irak et la Corée du nord « d’axe du mal ». Accusant ces pays de chercher à produire des armes chimiques, biologiques et nucléaires, il déclarait : « Avec la production de ces armes de destruction massive, ces régimes prennent le risque de creuser leurs propres tombes ». La raison d’une telle attaque ? Evidemment pas la nature de ces régimes, car les actes terroristes inspirés par les gouvernements d’Iran et d’Irak ne sont pas une nouveauté. Plutôt la crise économique aux Etats-Unis comme Bush lui-même l’admettait dans son discours, prononcé juste après la faillite d’Enron, une des plus grosses compagnies capitalistes américaines : « la société américaine est en récession économique ».

La politique agressive unilatérale du gouvernement des USA et l’intimidation de Bush vis-à-vis des ses adversaires du « Tiers-monde » n’avait pas l’accord des gouvernements européens. Il ne respectait pas les intérêts de leurs capitalistes. L’agression du capitalisme mondial contre les pays capitalistes du Tiers-monde est générale, mais chaque impérialisme a sa propre tactique. Et les intérêts économiques des pays européens ne correspondent pas uniformément et au même moment à ceux de la politique du gouvernement américain.

Les réformateurs contre les réformes

L’autre raison principale avancée par les dirigeants européens pour se rapprocher du régime était que l’aile « réformatrice » semblait s’y renforcer. Le point de vue d’Anna Lindh, ministre des affaires étrangères de Suède, avant et après son voyage en Iran, publié dans Dagens Nyheter (18 avril 2002), un des principaux journaux suédois, était que « le voyage en Iran est en fait un soutien aux réformateurs de ce pays ». Selon le compte-rendu de Dagen Nyheter, Anna Lindh a ensuite ajouté que l’oppression subie par le peuple d’Iran reste « inacceptable » mais que malgré cela, il y a eu des changements dans le pays. « En Iran, a-t-elle dit, les tendances réformistes grossissent. Ces groupes veulent changer l’Iran, le rendre moderne et démocratique, et le Président de l’Iran appartient à ce courant  ». Et elle aurait ajouté : « Pour tous ceux qui veulent faire avancer les réformes en Iran, il est nécessaire de s’y rendre et d’avoir des liens étroits avec lui ».

Si Annah Lindh et les dirigeants européens cherchaient vraiment où en étaient les réformes et les réformateurs, il leur aurait suffi de regarder la terrible situation des populations durant la période des soi-disant réformes du président. Et au lieu de « négociations » en coulisse avec ceux qui ont aidé à réprimer les droits des travailleurs, des jeunes et des femmes, ils auraient mieux fait de chercher à parler aux représentants de ces opprimés. Il semble donc évident que les motivations des dirigeants des pays européens n’étaient pas de découvrir la vérité, et que le tournant à l’égard du régime est basé sur les intérêts économiques des capitalistes internationaux.

Des « réformes « , même au sens bourgeois du terme, signifient la satisfaction de revendications comme l’indemnisation du chômage, une couverture sociale, des congés payés etc. une partie des revendications minima traditionnelles des prédécesseurs sociaux-démocrates d’Anna Lindh à la fin du XIXe siècle. Les « réformes » demandées en Iran sont même encore plus limitées que les exigences de la social-démocratie d’alors. Alors que les salaires des travailleurs restent souvent impayés durant six mois à un an, et que le régime et sa fraction réformiste a arrêté et emprisonné les travailleurs du textile de Barsh à Efahan ; alors que les travailleurs de Jamco et Shadanpoor se font tirer dessus devant le parlement ; et alors que la moindre protestation des travailleurs est écrasée - juste parce que les travailleurs réclament le paiement de leurs salaires - comment les dirigeants européens peuvent-ils défendre ce régime et imaginer que des réformes ont lieu et s’amplifient ?

...et les Européens aussi

Mlle Lindh oublie que Khatami, le dirigeant des réformateurs, est au pouvoir depuis plus de six ans, que les réformateurs ont aussi la majorité au parlement. Et que les assassinats et tabassages de travailleurs et d’étudiants se sont déroulés sous l’égide de ces mêmes « réformateurs ».

Des « réformes », comme l’obtention d’une indemnisation du chômage, d’une couverture sociale, du droit à avoir des congés ; des droits démocratiques comme la liberté d’expression, le droit de s’organiser et de faire grève, la liberté de créer des syndicats et des organisations ouvrières indépendantes, l’éducation gratuite pour tous les hommes et les femmes, le respect des droits humains, le droit pour tout citoyen de porter plainte et de poursuivre tout fonctionnaire du régime etc. : voilà les revendications approuvées par toute la société iranienne. Mais les réformateurs - même ceux qui sont actuellement dans l’opposition - ne veulent pas de telles réformes, et dans la pratique n’ont pas fait le moindre pas dans cette direction. Khameiny (le dirigeant des conservateurs NDLR) n’a eu qu’un mot à dire pour bloquer la proposition du parlement réformiste (en théorie ceux qui ont été élus par le peuple) en faveur de la liberté de la presse et des médias, y compris réformistes. Aucun réformateur n’a protesté. Comment peut-on en attendre qu’ils s’attaquent à d’autres problèmes fondamentaux.

Les dirigeants des pays européens, censés soutenir la liberté d’expression et les droits démocratiques, connaissent certainement la situation. Ils savent que la défense de réformes pour le peuple d’Iran est en totale contradiction avec le soutien aux « réformateurs » ; et que le meilleur et le plus rapide des moyens pour accomplir des réformes serait l’isolement international du régime en place, et non son renforcement. Par leurs contorsions et la signature de traités économico-politiques avec le régime, ils montrent donc dans la pratique qu’ils se moquent bien des réformes en Iran.

27 octobre 2003

Maziar RAZI

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