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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 94, juin-juillet-août 2014

Inde : M le Modi : une vague nationaliste emporte les élections législatives

Mis en ligne le 14 juin 2014 Convergences Monde

Le Bharatiya Janata Party (BJP – « Parti du peuple indien »), principal parti nationaliste hindou, vient de remporter les élections législatives en Inde. C’est la première fois dans l’histoire de l’Inde indépendante qu’un autre parti que le Congrès, parti de Gandhi et Nehru, obtient une telle majorité.

Les mystères de la chambre Safran

Narendra Modi, candidat du BJP, a été élu triomphalement dans la ville de Bénarès, sur les rives du Gange dans l’Uttar Pradesh, région qui incarne le cœur de l’Inde du Nord par ses 200 millions d’habitants parlant hindi. Son parti, représenté par le safran, couleur fétiche des nationalistes hindous, a recueilli sur l’ensemble du pays 100 millions de voix de plus qu’en 2009, ce qui, avec le scrutin uninominal majoritaire à un tour, lui offre la majorité absolue des sièges bien qu’il n’ait obtenu que 31 % des voix.

La plupart des autres forces politiques ont essuyé une nette défaite. Grand perdant, le Congrès n’a plus à la Chambre que 44 députés sur 543, contre 206 en 2009. Plombé par le ralentissement de la croissance, enlisé dans des affaires de corruption, et discrédité par l’inflation qui a fait perdre en deux ans à la roupie 35 % de sa valeur, il n’a pu résister à la vague Modi.

Du côté des autres opposants, la prétendue croisade du Aam Admi Party (« Parti de l’homme ordinaire ») pour « balayer le système », qui avait pourtant suscité de nombreux espoirs en s’opposant à la corruption, s’est en réalité illustrée par des déclarations sexistes, racistes et anti-ouvrières, et n’a pas fait recette. Quant au principal Parti communiste indien, depuis longtemps serviteur loyal des industriels à grands coups de « zones économiques spéciales » pour mieux exploiter les ouvriers des régions qu’il administre, il paye le prix d’un programme social inexistant remplacé par la prétendue défense de la « laïcité » et de la « démocratie ».

La campagne du « Boucher du Gujarat »

Narendra Modi est tristement célèbre pour sa responsabilité dans les émeutes anti-musulmanes qu’a connues en 2002 le Gujarat, un État côtier de l’ouest du pays, frontalier du Pakistan. 2 000 musulmans avaient trouvé la mort au cours de ces pogroms, ce qui valut à Modi son surnom de « boucher du Gujarat » et a construit son profil politique autour d’une haine des musulmans et des étrangers. Alors chef du gouvernement régional, il avait encouragé l’escalade des violences avec la complicité active des autorités de l’État. Milice s’inspirant, à sa fondation en 1925, des chemises noires mussoliniennes, le « corps des volontaires nationaux » dont est issu le mouvement nationaliste hindou de Modi n’hésite pas à organiser des ratonnades contre les musulmans, les basses castes ou les immigrés venus d’autres régions indiennes. Durant la campagne, Modi a multiplié les provocations contre musulmans et migrants, alors que les violences intercommunautaires, qui se sont développées depuis la fin des années 1970 dans un contexte de défaites du mouvement ouvrier, se déroulent au jour le jour, divisant les travailleurs entre eux et détournant la colère populaire.

De son côté, le parti du Congrès, comme d’autres, a amplement agité la menace Modi. Une hypocrisie sans nom quand on sait leur propre responsabilité dans certains épisodes de haine intercommunautaire, comme les émeutes anti-sikhs des années 1980. D’ailleurs, suite à ces élections, les députés élus sont du même acabit que les précédents : 34 % des nouveaux membres du parlement sont liés à des affaires criminelles, et 21 % à des affaires telles que viols, meurtres ou enlèvements.

Gourou de l’exploitation

Modi a réussi à s’imposer comme candidat du BJP grâce aux soutiens de grands capitalistes, lesquels ont massivement financé sa campagne, lui permettant de placarder son visage partout. « Self-made man », il joue sur ses origines modestes de chaïwala (vendeur de thé) ayant gravi un à un tous les échelons, et se présente comme le porte-parole de couches intermédiaires de la société indienne. Il prétend n’avoir pas pris de vacances depuis 12 ans et se pose en gourou du prétendu « modèle de développement gujarati ». [1] Sa recette ? Il l’explique ainsi au Time Magazine de mars 2012 : « utiliser les avantages naturels du Gujarat : ses kilomètres de côtes, sa force de travail non syndiquée et ses terres ». Que le Gujarat soit dans le bas du classement des régions d’Inde en termes d’alphabétisation, de mortalité infantile ou de pauvreté, ne semble pas entrer dans l’équation. Ou peut-être que si ? Dans les « plus », une main d’œuvre surexploitée qui s’entasse dans des ghettos au bord des centres commerciaux flambants neufs et des projets immobiliers de luxe, le tout saupoudré d’une pluie de subventions publiques aux industriels de la région. On comprend que certains ne soient pas restés insensibles aux charmes de Modi.

Pourtant la colère sociale gronde en Inde

Le 18 juillet 2012, une émeute éclate à Manesar, gros centre industriel dans la banlieue de Delhi, au nord de l’Inde, au sein de l’usine automobile Maruti Suzuki. Usine célèbre pour les vagues de grèves qui l’avaient secouée un an plus tôt, elle se situe au cœur d’une zone industrielle où se concentrent 60 % de la production automobile du pays ainsi que de très nombreux call-centers. Un manager y trouve la mort et une centaine d’autres sont blessés. 2 200 des 2 500 travailleurs temporaires et 550 des 1 000 travailleurs permanents sont licenciés, tandis que 147 d’entre eux sont emprisonnés. [2] Au cours du long lock-out qui suit l’émeute, la firme déclare perdre l’équivalent de 10 millions d’euros par jour. Mais malgré la dureté de la répression, suite à cette lutte et aux nombreux conflits dans ce secteur depuis plusieurs années, les salaires des travailleurs à Manesar ont considérablement augmenté. [3]

L’hiver suivant, la médiatisation du viol et du meurtre d’une étudiante de New Delhi a provoqué une vague de manifestations monstres et spontanées chez les étudiants de la capitale, bientôt rejoints par des manifestants d’autres régions et d’origine parfois bien plus populaire. Faisant irruption sur la scène politique, ces dizaines de milliers de jeunes ont crié leur colère dans un contexte où, avec la complicité de l’État malgré quelques cas médiatiques, l’impunité est la règle.

Cette année, fin mars, entre autres exemples de réactions ouvrières, des travailleurs des usines Napino, spécialisées dans l’électronique et situées dans la banlieue de Delhi, font grève pendant 10 jours et occupent leur usine de jour comme de nuit. Alors qu’au cours d’une précédente grève en 2010, les femmes occupaient le jour mais rentraient chez elles le soir, elles ont cette fois occupé également de nuit.

La vague nationaliste qui s’exprime dans les élections est, ici comme ailleurs, l’un des problèmes de l’heure. Il appartiendra à la colère et aux grèves des travailleurs indiens de trouver et d’offrir à tous d’autres perspectives politiques.

28 mai 2014, Kris MICLOS


[1Des firmes menacent sans cesse de délocaliser leur production dans la région, comme le fit Tata en 2008, sans que la région n’attire en réalité plus d’investissements étrangers que les autres au cours des dernières années.

[2Ce type d’arrestations massives n’est pas une exception. Suite à la grève générale de février 2013, 150 travailleurs du district de Noida sont également emprisonnés, la police possédant des dossiers très complets sur les « meneurs » et n’hésitant pas à aller les chercher dans d’autres États.

[3À Maruti, les salaires des embauchés ont plus que doublé. À Hero ou Honda, en 2012, les salariés embauchés ont obtenu des augmentations de 17 000 roupies sur 3 ans. Dans cet État, le salaire minimum lui-même est passé en janvier 2014 de 5 300 à 8 100 roupies (de 65 à 100 euros).

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