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DOSSIER : Migrants : Contre les démagogues de tous bords, opposer la solidarité des travailleurs

Allemagne

Immigration : « aubaine » ou pas ? Et pour qui ?

Mis en ligne le 5 octobre 2016 Convergences Monde

Les élections en Mecklembourg-Poméranie occidentale et à Berlin ont confirmé les succès de l’AfD (ou Alternative pour l’Allemagne), variante allemande du Front national français (voir notre article), faisant monter d’un ton les bisbilles entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD (sociaux-démocrates), qui gouvernent ensemble le pays et ces derniers temps ont tous redoublé d’appels à la fixation d’une limite pour les flux de réfugiés, à des expulsions plus rapides ; et de brandir par ailleurs la menace terroriste que représenterait l’arrivée de réfugiés « radicalisés ».

Dure vie pour les nouveaux arrivés

Déjà, depuis l’automne 2015, plusieurs ‘paquets’ de mesures ont été prises par le Bundestag et qui pourrissent la vie des migrants. La déqualification du Kosovo et de l’Albanie comme « pays à risques » fait que ceux qui en viennent ne peuvent plus prétendre à l’asile politique. Et le nombre des expulsions augmente : 17 015 au total en 2015 et déjà 13 130 fin juillet 2016. Plus grand encore est le nombre des « départs volontaires », en échange d’un peu d’argent et de beaucoup de pression : 35 514 au total en 2015 et déjà 35 000 fin juillet 2016.

Alors que plus d’un million de personnes sont arrivées dans le pays, le durcissement de la politique à l’égard des réfugiés va probablement accroître le nombre des rejets de demandes d’asile. Mais il est peu concevable que le gouvernement renvoie, on ne sait trop où d’ailleurs, des centaines ou même des dizaines de milliers de migrants : au-delà de son coût logistique et financier, une telle opération aurait un coût politique. Car, en Allemagne, pour une bonne partie de la population, subsiste un sentiment de sympathie à l’égard de ceux qui y ont trouvé définitivement ou momentanément refuge.

Asile rejeté mais...

Le gouvernement fédéral vient de d’indiquer que presque 550 000 déboutés du droit d’asile vivent en Allemagne, généralement, depuis plusieurs années.

À ce jour, il n’existe que des estimations sur le nombre de migrants vivant illégalement et travaillant (de façon précaire) dans le pays : l’office fédéral des migrations évaluait leur nombre à un million pour 2015 [1]. Les déboutés du droit d’asile ont-ils un autre choix ? Ni le retour au pays ni le renvoi en Grèce ou en Italie – où ils auraient dû déposer leur demande d’asile selon les accords de Dublin entre États de l’UE – ne sont une solution. Il est donc plutôt vraisemblable que se développe en Allemagne, comme dans d’autres pays d’Europe, un milieu de migrants dont le statut sera, dans un premier temps au moins, précaire et qui seront donc acculés à de petits jobs illégaux pour vivre, sur des chantiers ou dans la restauration.

Votre force de travail nous intéresse, chantent les patrons...

Dans les hautes sphères de l’État, il est beaucoup question de la « chance » pour l’économie que représenteraient les réfugiés. D’un côté, certains instituts calculent que l’immigration coûterait davantage que ce qu’elle peut rapporter ; de l’autre on trouve l’affirmation, elle aussi étayée par des chiffres, que « l’afflux d’immigrants est nécessaire à l’Allemagne, pour lui apporter la nouvelle main-d’œuvre qui fait défaut du fait du déclin numérique et du vieillissement de sa population. » (étude du DIW ou Institut allemand pour la recherche économique). Des économistes keynésiens présentent même les réfugiés comme « une aubaine » dans la conjoncture actuelle.

Depuis des années, en effet, se multiplient les études qui alertent sur le manque croissant de main-d’œuvre, en particulier qualifiée, sur le problème démographique de l’Allemagne, proposant des règles plus souples en matière d’accueil de migrants jeunes, formés, qui seraient autorisés à travailler. Publiée l’été dernier, l’une d’entre elles prévoit que, en 2030, le marché du travail sera déficitaire de 3,5 millions de personnes par rapport à aujourd’hui [2].

Selon l’Office fédéral des migrations, 50 % des réfugiés arrivés l’an dernier en Allemagne ont entre 18 et 27 ans, 30 % ont entre 28 et 37 ans : ils sont donc jeunes. Près de 22 % ont le bac et 18,4 % un diplôme de fin d’études universitaires ; parmi les Syriens et Iraniens, les nouveaux arrivants ont un niveau moyen de formation bien meilleur encore : une bonne partie des couches moyennes se sont lancées l’an dernier sur les routes vers l’Europe. Selon un sondage de l’Office fédéral des migrations, réalisé en janvier 2016, 85 % veulent rester en Allemagne. Ils manquent encore de connaissances en allemand, de qualifications, toutes choses qui ont un coût et que les milieux patronaux veulent faire payer à l’État. C’est-à-dire aux contribuables : il est question d’une nouvelle taxe sur les carburants...

En attendant les retombées futures qu’elle produirait, c’est dès aujourd’hui que cette vague d’immigration alimente tout un réseau de profiteurs qui prennent le relais des passeurs dans l’exploitation du filon : construction et équipement de logements – aussi ‘pourris’ soient-ils –, reprise et gestion d’hôtels miteux transformés en centres d’accueil d’urgence, financement d’entreprises de « sécurité » pour, paraît-il, assurer la surveillance des foyers et autres zones d’hébergement. Sans compter les marges des supermarchés ou entreprises de restauration qui embauchent. Oui à coup sûr, un bon paquet de gens vont se faire « un nez en or », comme on dit en Allemagne !

Qui va payer ?

C’est la question sur laquelle un certain nombre de politiciens appuient une campagne destinée à attiser ce qu’ils pensent être l’opinion populaire. Dès l’arrivée massive des migrants, le ministre des Finances Schäuble s’est mis à égrener des chiffres sur ce que cela coûterait... et à faire monter l’émotion populaire.

Selon une estimation récente de l’Institut pour l’économie mondiale [3], la facture de l’intégration s’élèverait cette année à 20 milliards d’euros. Mais les évaluations sont diverses, voire contradictoires, et tout dépend évidemment de ce qu’on appelle une intégration. De bons logements, une bonne formation, de bons services de santé ? Ce n’est évidemment pas ce que les milieux gouvernementaux et patronaux envisagent eux qui, depuis des années, contribuent au contraire à dégrader gravement les conditions de vie et de travail des classes populaires.

Mais aussi élevé que soit le ‘coût’ (dont les patrons attendent explicitement un ‘retour’, même si c’est sur un ‘investissement’ qu’ils imposent à d’autres de faire pour eux !), il faut savoir qu’il ne représentera presque rien pour un des pays les plus riches de la planète. La somme de 20 milliards d’euros, c’est seulement 1,4 % de l’ensemble des dépenses publiques. Pas de quoi s’émouvoir, quand on sait que, en 2008, quand il s’est porté au secours des grandes banques allemandes, l’État a mobilisé plusieurs centaines de milliards d’euros. Quand on sait que les 10 000 plus riches en Allemagne possèdent des ‘biens’ pour un montant de 1 500 milliards, selon l’Institut allemand pour la recherche économique. Y’a donc à gratter ! L’imposition des fortunes à 2 %, réclamée depuis longtemps par les économistes keynésiens rapporterait 30 milliards [4].

Mais gouvernants et notables dirigeants n’ont aucunement l’intention de faire payer les riches. Ils jonglent avec chiffres à seule fin de tenter d’attiser les craintes des classes populaires, pressurées depuis des années déjà (en particulier, depuis les années Schröder, social-démocrate qui a pourri la vie des chômeurs par ses « lois Hartz »). Ce faisant, ils spéculent sur les idées xénophobes, ouvrant en particulier un boulevard à ce nouveau parti représentant une soi-disant « Alternative pour l’Allemagne » et à Pegida (mouvement qui a rassemblé à plusieurs reprises dans la rue des milliers de défenseurs de la chrétienté occidentale !).

Au-delà des besoins du capital, l’immigration est-elle une chance pour toute la société ? En particulier, les travailleurs nouvellement immigrés sont-ils seulement des ‘concurrents’ pour les travailleurs déjà présents ou sont-ils, en fin de compte, un renfort pour le monde du travail ? Ces questions sont aussi vieilles que... le capitalisme qui a toujours déplacé des populations entières au gré de ses besoins, d’une province à une autre, d’un pays à un autre.

Ce qui est sûr, c’est que les réfugiés et migrants nouvellement arrivés en Allemagne n’y auront pas la vie douce. Mais l’écrasante majorité du million déjà arrivé restera y vivre et travailler, dans des conditions plus ou moins précaires. Ils sont déjà ou potentiellement partie intégrante des classes populaires du pays. Pour le patronat allemand, c’est le dernier arrivage de nouveaux exploitables. Mais ceux dont le capital allemand voudrait qu’ils soient ‘concurrents’ des travailleurs déjà en place en Allemagne peuvent tout aussi bien devenir pour ces derniers de nouveaux alliés pour leurs luttes, capables d’enrichir ces dernières de leur propre expérience dans leurs pays d’origine.

À quelle classe sociale l’afflux d’immigrés ‘coûtera’-t-il ou, au contraire, ‘rapportera’-t-il ? Le chapitre est à écrire par la classe ouvrière allemande.

Sabine MÜLLER


[1ZEITmagazin, 22 septembre 2016.

[3Institut für Weltwirtschaft (Kiel).

[4Fred Schmid : Wider die Asyl-Lügen und Vorurteile (Contre les mensonges et préjugés à l’égard des demandeurs d’asile), isw-Report Nr.104

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