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DOSSIER : Europe : la conquête de l’Est par le capital de l’Ouest, mythes, réalités et conséquences

Horizons et stratégies du capital ouest-européen

Mis en ligne le 2 mai 2005 Convergences Monde Économie

Les entreprises européennes investissent aujourd’hui massivement à l’Est, en particulier dans les pays qui viennent d’entrer dans l’Union ou dans les pays candidats. Dès 1989, les capitalistes d’Europe de l’Ouest ont cherché à développer leur emprise sur les marchés potentiels et les réserves de main-d’oeuvre qui s’offraient à eux. Les États ont joué les éclaireurs et préparé le terrain, notamment via l’Union européenne et par le biais des « aides » versées aux pays candidats. [1]

Les crédits ainsi alloués par l’UE pour mettre les économies de l’Est « à niveau », suivis par des IDE (investissements directs à l’étranger) massifs [2] ont imposé aux anciennes Démocraties populaires une réorientation radicale de leur commerce extérieur vers l’Ouest. Plus de 50 % de leur commerce international se fait actuellement avec l’Union européenne, contre 20 % en 1989. Si l’on prend le cas de la France, entre 1992 et 2002, elle a plus que quadruplé ses exportations à destination des pays candidats. Le niveau de ces exportations est maintenant nettement supérieur à celles concernant la Chine ou l’Amérique latine, et surtout plus stable.

La foire aux privatisations

Dans une première phase, au début des années 1990, les investissements se sont faits à la faveur des vagues de privatisations. Les grandes entreprises européennes ont joué la stratégie de l’acquisition et des pans entiers de l’industrie polonaise ou tchèque sont ainsi passés sous contrôle étranger.

La France s’est implantée en Pologne au travers de sociétés publiques comme EDF, qui a racheté des centrales électriques, ou ex-publiques comme France Télécom, qui a racheté l’opérateur national polonais. Cette phase de privatisations est aujourd’hui presque achevée pour la plupart de ces pays. Ainsi, en 2001, seuls 5 % des IDE entrant en Hongrie visaient des privatisations, contre 66 % en 1990.

Une économie toujours plus colonisée

Après l’étape des privatisations, les capitalistes européens ont voulu profiter du faible coût salariaux à l’Est : aux rachats ont succédé les implantations directes. L’Allemagne, suivie des États-Unis et de la France, sont actuellement les pays qui investissent le plus à l’Est, de façon très inégale selon les pays [3].

Ces ramifications à l’Est ne sont pas le fait des seuls gros groupes, en tout cas pour l’Allemagne où 60 % des entreprises de moins de 5 000 salariés ont aujourd’hui créé des filiales dans les nouveaux États membres. La France, elle, compte près de 2 000 implantations en Europe centrale et orientale, qui emploient plus de 300 000 personnes. [4]

La présence des groupes européens est parfois cachée par le recours aux sous-traitants. C’est monnaie courante pour l’industrie française en Roumanie : Technic plastic Roumanie travaille pour Salomon, Solectron fabrique des boîtiers de téléphones pour Philips... Réciproquement, les vêtements Lacoste, Etam, Pierre Cardin ou Hugo Boss fabriqués à Bucarest dans l’usine d’Alca Group ne sont pas étiquetés « made in Romania ».

Surexploitation

Si des pays comme la Pologne ou la République tchèque sont très attractifs, c’est parce qu’ils conjuguent les fortes traditions industrielles et le savoir-faire, hérités des Démocraties populaires, et des salaires très bas. Le niveau moyen des salaires des dix nouveaux de l’UE est inférieur des deux tiers à ceux de l’ancienne Union à 15. Ce qui n’empêche pas que, grâce aux « fonds structurels » désormais versés par l’Union européenne, les aides aux entreprises soient comparables à celles de l’Europe de l’Ouest, sans compter des fiscalités extrêmement avantageuses... Mais même les pays qui ne permettent pas encore de récupérer la manne européenne peuvent être intéressants. En Roumanie l’équivalent du Smic est à peine à 70 euros mensuels, le salaire moyen de 160 euros et un ingénieur coûte 600 euros.  [5]

La situation sociale catastrophique, la pression du chômage et de la précarité (qui touche 40 % de la population active des Peco) permettent aux patrons une véritable surexploitation. En Pologne, où le capital français dans le secteur du commerce est omniprésent, les Carrefour, Auchan ou Leclerc payent leurs employés en retard, ouvrent les grandes surfaces le dimanche en rémunérant les salariés au même tarif qu’en semaine. Elles jouent sur la flexibilité, changeant les horaires du jour au lendemain. En Macédoine, dans les entreprises grecques, on est proche de l’esclavage moderne : le Courrier des Balkans rapporte ainsi le cas d’une usine textile où les ouvrières sont enfermées au cadenas pour éviter les inspecteurs du travail. Bien souvent, les heures de travail ne sont pas comptabilisées et les salaires sont versés de la main à la main, sans fiche de paye. Les congés maladie ne sont pas payés, les syndicats sont interdits.

Quand les travailleurs de l’Est sont mis en concurrence entre eux

Directive Bolkestein, délocalisations, on parle beaucoup de la concurrence des pays de l’Est, mais c’est surtout entre eux que les salariés de l’Est subissent cette concurrence. Des pays déjà membres de l’UE comme la Hongrie ou la République tchèque enregistrent actuellement des transferts de capitaux vers des pays candidats, comme la Roumanie ou l’Ukraine.

Quand après quelques années d’implantation les salaires augmentent un peu, les « chasseurs de coûts » vont lorgner plus à l’est. Même dans la très pauvre Roumanie, des ateliers textiles ont été déménagés du jour au lendemain vers la Moldavie. Et comme le salaire d’un ingénieur roumain a doublé en quatre ans à Timisoara, les patrons européens commencent à se dire que les ingénieurs bulgares ou ukrainiens sont moins chers et tout aussi bien formés...

Les alléchantes possibilités d’exploitation de la main-d’oeuvre de l’Est ne sont pourtant pas l’unique explication à la présence des capitalistes européens en Europe centrale et orientale. Les implantations les plus récentes, telles que Renault en Roumanie et PSA en Slovaquie, tablent aussi sur le développement de nouveaux marchés. Les prévisions de croissance dans ces pays sont partout supérieures à 4 % par an. Autant de nouveaux consommateurs espérés, autant de profits en perspective - pour le capital occidental.

Lydie GRIMAL


Renault en Roumanie : t’as pas 5 000 euros ?

En rachetant l’usine automobile Dacia en Roumanie, Renault a lancé l’idée de la Logan, sa voiture à 5000 euros pièce, et fait le pari de la conquête de nouveaux marchés.

La mise en œuvre de cette stratégie s’est traduite par le licenciement de près de la moitié de l’usine (sur les 28 000 salariés employés avant le rachat, il n’en reste que 16 000) et des salaires mensuels moyens par ouvrier de 143 euros. Des conditions à l’image de ce qui se passe dans une bonne part de la société roumaine. Car la « transition » économique pour la Roumanie, c’est plus de la moitié de la population du pays qui vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, tandis qu’une minorité a accumulé des fortunes colossales.

La constitution d’une classe moyenne tant attendue pour consommer tarde pourtant à venir et le marché local s’avère beaucoup plus restreint que prévu. Qu’à cela ne tienne, Renault projette de vendre sa Logan dans d’autres pays voisins, voire en Russie ou même en Chine. Il mise sur 700 000 véhicules par an, vendus aux quatre coins de la planète, pour un prix un peu supérieur, aux alentours de 7 000 euros... 4 ans de salaire de l’ouvrier roumain qui les construit.


[1Lancement dès 1989 du programme Phare, pour « Poland, Hungary, Aid for the Reconstruction of the Economy », concernant d’abord les pays de l’acronyme ; étendu en 1990 à la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, l’Allemagne de l’est, en 1991 à la Roumanie et en 1992 à la Slovénie et aux trois pays baltes. À partir de 1992 « accords d’association » européens préparant à terme l’adhésion à l’Union.

[2Le volume cumulé à ce jour des IDE dans les 10 pays candidats représenterait plus de 120 milliards de dollars, soit le quart des PIB de ces pays.

[3Les principaux pays destinataires que sont la Pologne, la République tchèque et la Hongrie attirent à eux seuls deux tiers des capitaux.

[4Elle est le premier investisseur étranger en Pologne et en Roumanie, et arrive en 3e position en Hongrie avec plus de 200 filiales d’entreprises.

[5La Roumanie présente encore l’avantage d’être un pays de langue latine, où la population est exceptionnellement francophone et bien formée. Les centres d’appels fleurissent donc, pour les fournisseurs d’accès Internet tels que Noos.

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