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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 59, septembre-octobre 2008 > DOSSIER : Le droit à l’avortement de plus en plus menacé

DOSSIER : Le droit à l’avortement de plus en plus menacé

Histoire succincte du droit à l’IVG

Mis en ligne le 2 octobre 2008 Convergences Société

Dès la fin du dix-neuvième siècle, un mouvement pour le contrôle des naissances, le néo-malthusianisme, se développe en Angleterre. Reprenant du pasteur et économiste Thomas Malthus l’idée qu’il faut faire décroître la population, il en renverse la perspective en prônant la contraception et le contrôle volontaire des naissances comme instrument d’émancipation. En France, les idées des néomalthusiens sont reprises par un petit nombre de militantes et de militants, anarchistes surtout, mais aussi féministes, syndicalistes des bourses du travail ou socialistes. L’idée que les femmes doivent pouvoir maîtriser leur fécondité et choisir le moment des grossesses fait son chemin et on commence au début du vingtième siècle à trouver dans quelques foyers des moyens de contraception, diaphragmes, préservatifs ou éponges de sûreté.

Pourtant la France mène une politique très vigoureusement nataliste, bien illustrée par les déclarations en 1918 du Docteur Doléris, membre de l’Académie de médecine : la maternité «  est proprement la signification et l’unique raison d’être de la femme. (...) Une femme saine et robuste peut engendrer et conduire à bien dix à douze enfants au cœur de son activité génitale sans dépasser l’âge de quarante-cinq ans. (...) Quel est le grand devoir de la femme ? Quelle est sa rayonnante mission, la tâche sacrée que la nation attend d’elle ? Enfanter, encore enfanter, toujours enfanter. Que la femme se refuse à la maternité, qu’elle la limite, qu’elle la supprime et la femme ne mérite pas ses droits ; la femme n’est plus rien... Volontairement stérile, elle retombe au rang de prostituée, de la fille de joie dont les organes ne sont que des instruments, des jouets obscènes au lieu de rester le moule auguste, vénérable de tous les siècles futurs.  » [1]

En France, la loi scélérate de 1920

Dans l’ambiance guerrière et patriotique de l’immédiat après première guerre mondiale, une véritable armada juridique contre les femmes se met en place. La « loi scélérate » de 1920, adoptée à l’Assemblée Nationale par 500 voix contre 51, réprime non seulement l’avortement et la contraception, mais aussi toute «  propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité  ». Les militants néomalthusiens sont immédiatement pourchassés et, par exemple, Eugène et Jeanne Humbert, libertaires et pionniers du néomalthusianisme en France sont condamnés en 1921 respectivement à trois et cinq ans de prison pour «  propagande antinataliste  ». Les années 1930 ne voient aucune amélioration, bien au contraire. Sous Vichy, l’avortement est un crime passible de la peine de mort.

Années 1950 : les avortements clandestins

Dans les années 1950, la situation des femmes n’a guère évolué. Sans aucun moyen d’accès à la contraception, sans autre possibilité de régulation des naissances que les méthodes dites « naturelles » dont l’efficacité est d’autant plus limitée que l’information sur la sexualité est inexistante, les femmes n’ont pas d’autre recours contre une grossesse non désirée que les avortements clandestins. Pour les plus fortunées, les premières filières d’avortement vers la Suisse ou l’Angleterre se mettent en place. Pour l’immense majorité des autres, c’est l’horreur des « faiseuses d’anges » ou la débrouille individuelle. Dans des conditions d’hygiène déplorables, la peur au ventre, elles posent elle-même des sondes où utilisent un objet pointu pour déclencher une fausse couche. Elles se retrouvent ensuite à l’hôpital pour un curetage dans le meilleur des cas, avec une hémorragie ou une infection bien souvent. Et la plupart du temps, avec le mépris et la violence d’un corps médical très hostile.

Une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) estime en 1966 le nombre d’avortements clandestins à 250 000 et le nombre de décès à 250 par an. Une estimation minimaliste qui ne rend pas compte des innombrables cas de stérilité définitive, des traumatismes et des souffrances endurées. Devant l’ampleur du drame, les consciences commencent à bouger doucement pour la libéralisation de la contraception. La « Maternité heureuse », premier nom du Planning familial, est formée en 1956. Mais les femmes ont contre elles toute la société, l’Église bien sûr, le conseil de l’Ordre des médecins qui suspend le Docteur Marie-Andrée Lagroua Weil-Hallé, fondatrice du Planning familial, mais aussi le Parti communiste. Jeannette Vermeersch explique que «  les femmes travailleuses n’ambitionnent nullement d’accéder au mode de vie des bourgeoises, souvent poupées luxueuses et inutiles, considérées comment telles par leur monde. (..) Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais.  » [2]

Cela n’empêche pas d’ailleurs des militants communistes des deux sexes de s’engager aux côtés du planning (au moins l’un d’eux sera exclu du parti) et le PC changera de position en 1965. Finalement, la loi Neuwirth est votée en décembre 1967. Elle autorise la contraception et la vente de la pilule sur prescription médicale pour les femmes majeures – et la majorité est alors à 21 ans – mais n’abroge pas la loi de 1920 qui continue à réprimer toute propagande antinataliste.

Après mai 68 : le combat du MLF et le « manifeste des 343 salopes »

Il faut attendre le renouveau du mouvement féministe après Mai 68 pour que le débat sur l’avortement soit relancé. Le 26 août 1970, quelques militantes tentent de déposer une gerbe à la mémoire de la femme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe à Paris et sont embarquées par la police. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) est né. Il va mettre à l’ordre du jour un slogan inédit et inimaginable jusque-là, «  l’avortement libre et gratuit  ». Le 5 avril 1971, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur publie le « manifeste des 343 salopes » où 343 femmes, célèbres ou anonymes, déclarent au mépris de la loi avoir avorté et réclament l’avortement libre. En 1972, le procès à Bobigny de Marie-Claire, jeune fille de 17 ans poursuivie pour avortement alors qu’elle était enceinte à la suite d’un viol, crée un scandale national. Gisèle Halimi, avocate de Marie-Claire, en fait le procès de la répression de l’avortement et appelle à témoigner, entre autres célébrités, Jacques Monod, prix Nobel, et Simone de Beauvoir.

Le Mlac

En 1973, le Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (Mlac) est fondé. Il rassemble, autour du MLF et du Planning Familial, des médecins, des syndicats, le PS, le PSU et l’ensemble de l’extrême gauche. Des comités départementaux se créent sur tout le territoire. Pendant un an et demi, le Mlac organise l’accueil des femmes, pratique des avortements quand c’est possible et organise sinon des voyages vers la Hollande ou l’Angleterre. Il bafoue la loi quasi au grand jour et provoque même ouvertement les pouvoirs publics, en faisant par exemple stationner les cars d’un voyage vers la Hollande devant les Galeries Lafayette avec des banderoles où on peut lire « Pour nous la Hollande c’est pas les tulipes, c’est l’avortement. »

Déstabilisé par le succès des mobilisations et le retournement de l’opinion publique, le gouvernement ne sait que faire et tergiverse mais sans oser poursuivre les militant(e)s du Mlac.

La loi Veil et ses limites

Finalement, après l’élection présidentielle de 1974, la loi Veil de 1975 organise une dépénalisation partielle et très encadrée de l’avortement. Il n’y est pas question de la liberté des femmes mais uniquement de recours dans les situations de détresse. L’avortement, possible jusqu’à 10 semaines de grossesse, est soumis à l’autorisation des parents pour les mineures, à un entretien préalable obligatoire pour toutes. La loi est votée pour une durée limitée de cinq ans – c’est une innovation législative – et prévoit une « clause de conscience » pour les médecins qui voudraient refuser de pratiquer des avortements. La loi de 1920 n’est pas abrogée et la propagande pour l’avortement et la contraception reste interdite. Malgré toutes ces limites dont les opposants à l’avortement n’ont pas manqué de s’emparer, la loi laisse le dernier mot aux femmes, seules maîtresses désormais de décider de poursuivre ou pas une grossesse non désirée.

En 1979, la loi est définitivement confirmée. En 1982 l’IVG est enfin remboursée puis, sous la pression du Sida, la publicité autorisée pour les moyens de contraception. En 2001 disparaît l’entretien préalable obligatoire et l’autorisation parentale pour les mineures. Le délai légal est porté à 12 semaines de grossesse et l’IVG médicamenteuse commence à se généraliser.

V. B.


[1Liberté Sexualité Féminisme, 50 ans de combats du planning pour les droits des femmes, Mouvement français pour le planning familial.

[2France Nouvelle, 12 mai 1956, cité par Liberté Sexualité Féminisme, 50 ans de combats du planning pour les droits des femmes, Mouvement français pour le planning familial .

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