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Guinée : partie remise ?

1er février 2007

59 morts : c’est le bilan dont font état les ONG et les médias après plus de deux semaines de grève générale et de manifestations en Guinée, durement réprimées par le régime.

On n’aura pas manqué de remarquer, au passage, la discrétion des médias français, frisant la complicité. En dépit - ou à cause - du caractère sanglant de la répression, une insurrection populaire de grande envergure, qui plus est dans un pays francophone, aura été largement ignorée des journaux télévisés. Qu’on se souvienne, à titre de comparaison, de l’abondante couverture accordée à la (soi-disant) « révolution orange » ukrainienne il y a un peu plus de deux ans. Et quand, de temps à autres, les événements de Guinée faisaient l’objet d’un article dans les quotidiens, on y évoquait le sort du « président » Conté, là où quelques semaines auparavant on déblatérait sur le « dictateur » Castro.

Il y aurait pourtant à dire sur la Guinée. Un pays dont la richesse par habitant est le double de celle du Nigeria, et même supérieure d’un tiers à celle de la Côte d’Ivoire, les deux pays les plus industrialisés d’Afrique de l’Ouest. Pourtant, le système médical guinéen est à vau-l’eau, l’électrification peu avancée, le réseau téléphonique en panne chronique. Les routes sont défoncées et l’analphabétisme règne. Quant à l’eau courante, elle n’est plus pour beaucoup qu’un souvenir. L’exploitation des ressources minérales - notamment la bauxite - profite essentiellement à des multinationales et à une petite clique regroupée autour de Lansana Conté, un ancien sergent de l’armée française, arrivé au pouvoir à la suite d’un putsch militaire en 1984 et régulièrement réélu depuis au cours de scrutins truqués. L’autre source d’enrichissement pour cette minorité privilégiée est le contrôle des importations de produits de première nécessité comme l’essence ou le riz dont le prix n’a cessé de flamber ces dernières années, alimentant le désespoir de la population. Lors de la grève de février 2005, on avait appris que les salaires des enseignants ne suffisaient même plus, pour beaucoup d’entre eux, à financer le déplacement domicile-travail !

C’est la libération arbitraire d’un dirigeant du patronat, condamné pour détournement de fonds publics, qui a mis le feu aux poudres. La population, déjà descendue dans la rue en 2005 et 2006, s’est à nouveau heurtée au pouvoir par la grève générale et les manifestations. Le courage des manifestants contraste avec le caractère timoré des revendications mises en avant par les principaux syndicats, la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) : ceux-ci mettent l’accent sur la personne du président, dont l’état de santé justifierait la destitution. Au plus fort de la répression, ils demandaient la saisine « de la Cour suprême (...) pour constater la vacance du pouvoir ». Ou encore une meilleure séparation des pouvoirs, afin d’éviter l’ingérence de l’exécutif dans les affaires judiciaires.

Certes, quand les principaux dirigeants du mouvement font mine de prendre au sérieux les oripeaux démocratiques dont se couvre un régime qui n’est rien d’autre qu’une clique mafieuse prête à tous les crimes pour défendre ses voitures de luxe, ses villas et ses piscines, il nous est difficile de dire d’ici s’il s’agit d’une politique correspondant à la conscience actuelle des manifestants ou de la volonté de trouver un dérivatif à la colère populaire, conduite ainsi à une impasse. Certaines scènes (rapportées par Le Monde par exemple) décrivant ces dirigeants houspillés par leurs propres troupes semblent militer pour la seconde hypothèse. Et il est sûr en tout cas que la population pauvre n’a rien à attendre d’un Conté ou d’un autre dirigeant des partis d’opposition, qui osent à peine se mouiller aux côtés des manifestants et se bornent à réclamer piteusement un « débat national ».

La pusillanimité des mots d’ordre politiques laissait malheureusement présager du dénouement de la lutte : il aura suffi que le président accepte la nomination d’un chef du gouvernement avec qui il devra partager le pouvoir (mais dont la désignation échoit, c’est un comble, au dictateur lui-même !) pour que les chefs syndicaux appellent à la reprise du travail. Quant aux concessions faites par le pouvoir sur le terrain social en matière de prix du riz, de l’essence, de retraites et de salaires des fonctionnaires, elles apparaissent bien minces. Et surtout leur respect dépendra du maintien du rapport de forces.

Les masses guinéennes ont trouvé l’énergie d’affronter les balles de la garde présidentielle, il leur faudra maintenant se donner une organisation et une direction politique à la hauteur de leurs aspirations.

Julien FORGEAT

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