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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 40, juillet-août 2005 > DOSSIER : Main basse sur l’argent public

DOSSIER : Main basse sur l’argent public

Fiscalité : mille et un tours de passe-passe

Mis en ligne le 4 juillet 2005 Convergences Société

On a bien tort de parler de « néolibéralisme » : en France, à peu près 45 % du revenu national transite par l’État et les organismes sociaux. En d’autres termes l’État prélève et réaffecte près de la moitié des ressources...

Prétendre que cela « coûte cher » n’a guère de sens : une partie de la richesse change simplement de forme et/ou de destinataire. D’un côté, des revenus sont ponctionnés (impôts, taxes, cotisations, amendes), mais ils sont redistribués soit en argent (allocations, pensions, subventions, salaires de fonctionnaires, service de la dette publique, commandes de l’État), soit en nature (service publics gratuits ou en tout cas moins chers).

Insaisissable redistribution

En ce qui concerne les impôts et les prestations, bien malin qui pourrait identifier les gagnants et les perdants. Considérons l’allocation logement. Dans les chiffres officiels, elle représente une grande partie des « transferts sociaux » qui sont censés réduire les inégalités. Mais à qui profite-t-elle en dernier ressort, aux locataires ou aux propriétaires - à qui elle est d’ailleurs parfois directement versée ? Sans l’allocation logement, les bailleurs ne pourraient plus exiger des loyers aussi élevés, car les travailleurs ne pourraient plus suivre, à moins de que les patrons augmentent les salaires.

La complexité des mécanismes fiscaux et du système de prestations est délibérément entretenue pour rendre l’ensemble indéchiffrable.

Certains s’y essayent pourtant. Et leur bilan est bien modeste : selon Alain Lipietz, « dans la population française, entre la moitié qui gagne le plus et la moitié qui gagne le moins, par tous les mécanismes monétaires, le transfert des premiers (ceux d’en haut) vers les seconds (ceux d’en bas) est de 3 %. 3 % du PNB est donc reversé chaque année par des mécanismes monétaires très compliqués de la moitié d’en haut vers la moitié d’en bas ». Pour le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, l’imposition entraînerait un transfert de 3,1 % de la moitié d’en haut vers la moitié d’en bas et les prestations sociales de 2 %.

Dans les classes populaires, pourtant le sentiment trompeur de cette redistribution existe : on est beaucoup plus à même de mesurer ce qu’on reçoit que ce qu’on paye. Par choix politique, la lourde ponction subie par les revenus est prélevée de façon diffuse et invisible (TVA, taxes diverses, cotisations sociales et CSG, prélevées à la source). Par contre, les prestations sont très visibles : allocations familiales, allocation logement, allocation de rentrée scolaire, minimum vieillesse, RMI, prestations des Assedic, remboursements des soins de santé...

En revanche, ce dont la majeure partie de la population n’a pas conscience, c’est des mécanismes scandaleusement avantageux dont bénéficient les catégories aisées.

Doubles allocs pour les riches

Qu’on soit Rmiste ou millionnaire, les allocations familiales, c’est 0 € pour le premier enfant, 115 pour deux enfants, 262 pour trois et 147 par enfant supplémentaire. Pas de quoi faire ripaille.

Considérons maintenant un couple de cadres supérieurs déclarant chacun 100 000 € de revenus salariaux annuels. Avec un enfant, leur quotient familial augmente d’une demie part et leur impôt annuel diminue de ce fait de 2 121 €. Le second enfant leur ferait économiser 4 242, le troisième 8 784, l’éventuel quatrième 12 726 euros ! Ainsi, sous forme de ristourne fiscale, ils perçoivent l’équivalent d’une allocation mensuelle de 176,75 € pour un enfant, de 353,50 € pour deux enfants, de 732 pour trois et de 1060,5 pour quatre. Cadeau qui s’ajoutent évidemment aux allocations familiales normales. En d’autres termes, le Trésor Public de Neuilly fonctionne comme une super-Caf !

Avec quatre bambins, impossible de s’en sortir sans une solide domesticité : pas de panique, l’État y a pensé. Pour 100 euros versés à des salariés à domicile, 50 sont remboursés sous forme de baisse d’impôt. Dans le cas de notre couple de cad’sup, l’État remboursera jusqu’à 9 000 €. Prenez une femme de ménage, Bercy vous offre la nounou !

Ainsi, pendant qu’on manque d’argent pour les crèches ou les écoles, on rembourse à 50 % les gardes d’enfants et les cours particuliers des riches...

Écrasante TVA

Mais n’y a-t-il pas quand même un peu de justice dans notre système fiscal ? N’y a-t-il pas un impôt progressif sur le revenu ? N’y a-t-il pas des taux de TVA plus faibles sur les produits de première nécessité que sur le luxe ?

Commençons par la TVA : son taux normal est de 19,6%, mais sur un certain nombre de produits son taux est plus bas (5,5 %) : il s’agit essentiellement des produits alimentaires, qui pèsent plus lourd dans la consommation des classes populaires. La TVA serait-elle juste ?

En réalité, la modulation des taux de TVA ne change pas le caractère socialement injuste de cette taxe. Les classes aisées ne supportent plus le taux de luxe de 33 % qui a été tout bonnement supprimé. En revanche, grandes consommatrices de presse ou de spectacles, elles sont les premières à profiter du taux super réduit de 2,1 % sur les consommations culturelles. Et si une voiture à 10 000 € est un bien de luxe quand un bourgeois l’offre à un de ses enfants mais elle n’en est pas un quand de simples employés l’acquièrent au prix d’années de sacrifice. La TVA est la même dans les deux cas.

Surtout, taxer la consommation avantage par nature les plus aisés : plus fort est le revenu, plus faible est la part consacrée à la consommation, le reste allant à l’épargne. Un Rmiste supportera la TVA sur tout son revenu, un millionnaire seulement sur la fraction qu’il consomme. Ainsi, si vous faites partie des 5 % les plus pauvres, les taxes ponctionneront 13 ou 14 % de vos revenus. Si vous êtes au niveau des 1 % les plus riches, seulement 6 ou 7%. La TVA opère donc comme un impôt dégressif (plus je gagne, plus le taux de prélèvement est faible).

Chérie, j’ai rétréci l’impôt sur le revenu

Si l’on excepte l’impôt sur la fortune, seul l’impôt sur le revenu apparaît quelque peu juste. Progressif, il épargne les plus pauvres et ponctionne les autres plus que proportionnellement à leur richesse. D’où cette préoccupation constante des gouvernements de gauche comme de droite : comment s’en débarrasser ?

Ne nous y trompons pas cependant : l’impôt sur le revenu n’est pas une menace pour les sommets des classes possédantes. En revanche, il indispose quelques millions de petits privilégiés qui sont la base électorale de la droite et à qui la gauche n’ose pas s’en prendre, voire qu’elle préfère caresser dans le sens du poil.

Qu’elle semble loin l’époque où les plus hauts revenus étaient, à partir de la 13e tranche, imposés à 60 % (de 1974 à 1981) voire même à 65 % (de 1982 à 1985) ! C’était avant le déluge... des mesures favorables aux privilégiés. Depuis, simplifié sous Balladur et Juppé (il passe de 13 à 5 tranches) l’impôt sur le revenu a vu, au gré des alternances, dégringoler le taux de sa tranche supérieure : la droite le réduit à 58 %, la gauche à 56,8 %, la droite le re-réduit à 54 %, la gauche renchérit à la baisse à 52,75 % et l’actuelle majorité nous amène à 48,09 %. L’imposition des riches fond comme la banquise soumise à l’effet de serre.

Haro sur les revenus du travail

Il n’y a pas pour autant « moins d’impôt ». Car tandis que l’impôt progressif décline, un autre prend le relais, un impôt « plat », qui frappe les revenus, à un taux uniforme : la CSG, flanquée de sa petite sœur, la RDS. Créée par Rocard en 1990, c’est sous Jospin qu’elle atteindra des sommets : Elle rapportait moins de 100 milliards de francs en 1995, en 2001 elle en draine 380, plus que l’impôt sur le revenu. Une entourloupe facilitée par l’apparence trompeuse de la CSG : prélevée à la source, elle voisine sur la feuille de paye avec les cotisations sociales. La gauche eut l’audace de présenter cet impôt uniforme comme juste parce qu’il frappe aussi les revenus de la propriété... et d’oublier au passage que la CSG est également prélevée sur les pensions de retraite et les allocations chômage.

Au total, l’impôt progressif a été relégué, année après année, au rang de ressource secondaire de l’État. Sur un prélèvement total de plus de 240 milliards d’euros (sans compter les prélèvements de la Sécurité sociale), l’impôt sur le revenu en rapporte à peine plus de 53 et l’ISF 2,3... soit même pas le quart du total. Plus de la moitié des recettes publiques vient des taxes : la TVA représente 110 milliards, la taxe sur l’essence 12 et celle sur le tabac 9. Quant à la CSG elle rapporte environ 65 milliards à elle seule.

Dans les années 70, les revenus du capital supportaient une taxation globale d’environ 50 %, contre 30 % seulement pour les revenus du travail. Aujourd’hui, les uns comme les autres sont imposés à 45 % environ.

Est-ce à dire que le patronat ne contribue plus au financement des dépenses collectives ? Si, il le fait, non plus au travers des impôts... mais en prêtant. Le creusement du déficit budgétaire et de celui de la Sécurité sociale reflète d’abord cette situation : les pauvres donnent leur argent à l’État, les riches le lui prêtent !

Julien FORGEAT


L’avoir fiscal supprimé ?

Une prime de 50 %, versée par l’État, sur tous les dividendes perçus par des actionnaires de sociétés françaises ? C’était pourtant le mécanisme qui a fonctionné en France de 1965 à l’an dernier.

Le prétexte ? Lorsqu’une société réalise des bénéfices, ils sont soumis une première fois à l’impôt sur les sociétés. S’ils sont versés aux actionnaires, au titre des dividendes, ceux-ci sont censés les intégrer à leur déclaration de revenu. Et la bourgeoisie de crier : double imposition ! Spoliation !

Toujours serviable, l’État mit en place le mécanisme de l’avoir fiscal : il consistait purement et simplement à rembourser aux actionnaire le montant de l’impôt sur les sociétés correspondant aux dividendes perçus. Ainsi, pour un million d’euros de dividendes, le Trésor Public en versait 500 000.

Pourtant, pour un salarié, être imposé plusieurs fois de suite sur le revenu est chose banale : ainsi, un salaire subit un premier prélèvement avant versement (cotisations et CSG), un deuxième après versement (impôt sur le revenu), un troisième lorsqu’on le dépense (TVA, TIPP...). Une triple imposition...

Le mécanisme de l’avoir fiscal a été supprimé l’an dernier : il bénéficiait trop à des actionnaires étrangers de sociétés françaises.

Qu’on se rassure, une consolation a été prévue : au moment de déclarer leur revenu imposable, les actionnaires bénéficient désormais d’un abattement de 50 % : un euro de dividendes devient 50 centimes dans la déclaration d’impôts.

Rappelons que pour les salaires, cet abattement n’est que de 20 %.


Laurent Fabius : NON...aux impôts sur les stock options

Arrivé au Ministère de l’économie, qu’il a dirigé de mars 2000 à mai 2002, Laurent Fabius ne s’est pas contenté de reprendre à son compte le plan Juppé de baisse de l’impôt sur le revenu pour les riches - plan qui avait été mis en sommeil en 1997-1998.

Il s’est également illustré en adoptant un régime fiscal exceptionnellement favorable pour les détenteurs de stock options : sur le premier million de francs, ceux-ci ne sont plus imposés qu’à 26 %, et à 40 % ensuite. Beaucoup moins que la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu. Et beaucoup moins, même, qu’aux États-Unis ! « Jackpot fiscal pour les cadres français » titrait alors l’Expansion.

Ah, vivement que le camp du « non de gauche » vienne au gouvernement : ça promet !

J.F.


Comment se faire payer une partie de son logement par le fisc

Le gouvernement a mis en place depuis fort longtemps des systèmes d’amortissement permettant de faire prendre en charge par le fisc une bonne partie de son achat immobilier, et donc de ses investissements « dans la pierre ». Mais pour cela, il faut bénéficier de confortables revenus, car il s’agit de déductions d’impôt.

L’amortissement Robien : le logement est payé à 50 ou 65 % par le fisc

Exemple : un couple avec deux enfants dispose de revenus nets de 100 000 € par mois ; il achète un logement de 120 000 € pour le mettre en location ; les recettes de ses loyers représentent 8 400 € par an.

Ces recettes s’ajoutent normalement à ses revenus imposables. Avec le système d’amortissement, il lui est possible de déduire 9 600 € (8 % du montant de son achat) du total des loyers perçus. Il se crée ainsi un « déficit foncier » de 1 200 € (9 600-8 400 €) qu’il peut déduire directement du montant de ses autres revenus.

Cette déduction de 8 % de son achat est possible pendant 5 ans, elle se réduit ensuite à 2,5 % pendant 4 ans. Au bout de 9 ans, il aura déduit de ses impôts 50 % de son acquisition. Il lui est même possible, s’il continue à louer 6 ans de plus, soit 15 ans au total, de poursuivre la déduction de 2,5% par an. Résultat : au bout de 15 ans, il aura payé son logement 35% de sa valeur !

Le couple aurait dû payer 11 946 € d’impôts. Grâce à ce système d’amortissement, il ne devra débourser, toutes déductions faites, que 5 870 €, soit moins de la moitié. Et il est évident que plus l’impôt à payer est important, plus la carotte fiscale est intéressante.

Notons encore qu’il est permis dans ce cas de déduire de ses loyers les intérêts payés pour son crédit, alors que cette possibilité a été supprimée pour la résidence principale.

L’investissement en loi Malraux : tous les travaux pris en charge par le fisc

À condition de payer beaucoup d’impôts, c’est le jackpot fiscal. Au titre de la restauration du patrimoine, cette forme d’investissement permet au contribuable fortuné de déduire entièrement de ses impôts le total des travaux entrepris pour restaurer un logement ancien situé dans un quartier, déterminé par l’État, où le dispositif s’applique. Le propriétaire disposera donc d’un logement en très bon état, acheté pour une bouchée de pain, et restauré aux frais du fisc. Faible contrepartie, il devra le louer pendant cinq ans... à qui bon lui semble.

L.V.


La bonne affaire pour « Dividendi »

L’enfer fiscal, la France ? Ce n’est pas l’avis de Vivendi Universal, qui a obtenu de Sarkozy, alors ministre de l’Economie, de bénéficier du « bénéfice mondial consolidé ». Ce dispositif permet de tenir compte des filiales étrangères pour l’évaluation des bénéfices, la manœuvre consistant à faire baisser le bénéfice déclaré ici en intégrant des prétendus déficits qu’on ferait à l’étranger. L’intérêt pour Vivendi se résume en un chiffre : 3,8 milliards d’euros d’économies escomptés sur les cinq prochaines années, soit l’équivalent d’un an de budget personnel de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, qui emploie près de 80 000 personnes.

La contrepartie ? Vivendi s’est engagé à ouvrir deux « call-centers » en France... Quelques centaines d’emplois sous-payés contre un cadeau de presque 4 milliards.

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